Procès sous pression

Succession de coups bas et de coups d’éclat devant le tribunal correctionnel de Bruxelles qui juge des membres du collège Saint-Pierre. Un spectacle affligeant

Il n’était guère difficile de le deviner avant la première audience. Les débats allaient être houleux devant la 54e chambre du tribunal correctionnel de Bruxelles, qui juge deux anciens directeurs et quatre professeurs du collège Saint-Pierre d’Uccle, poursuivis pour viol, attentat à la pudeur sur des mineurs de moins de 10 ans, non-assistance à personne en danger et association de malfaiteurs. On ne s’attendait, toutefois, pas à une telle succession d’incidents et de coups de théâtre au sein du prétoire.

Depuis que, dans son réquisitoire, le ministère public, représenté par Chantal Pensis, a évacué, faute de preuves matérielles, les préventions de viol et d’association de malfaiteurs (retenant celle d’attentat à la pudeur contre deux enseignants et celle de non-assistance à personne en danger dans le chef de l’ex-directeur général de l’établissement ucclois), plusieurs des avocats de la partie civile n’ont eu de cesse de crier au scandale, en tentant, par tous les moyens, de saboter le procès. Le 20 mars dernier, Jean-Paul Tieleman a quitté la salle d’audience, avec éclat, derrière les parents qu’il représente, avant la fin du réquisitoire. Boycottant une partie des débats, il a préféré plaider devant les micros et les caméras de télévision. Il a même annoncé sa démission de l’ordre français des avocats du barreau de Bruxelles, jouant le martyr en robe noire, avant… de revenir sur sa décision.

De son côté, Michel Graindorge, également avocat de la partie civile, n’a pas hésité à s’en prendre vivement au ministère public, évoquant la « partialité » et l' »incompétence » du premier substitut Pensis. Il a, en outre, demandé la suspension du procès, pour que le ministère de la Justice puisse lancer une enquête sur les relations entre le parquet de Bruxelles et le collège Saint-Pierre. En ligne de mire: le procureur du roi Benoît Dejemeppe, contre lequel Tieleman a déposé une plainte, et le procureur général, André Van Oudenhove. Tous deux auraient fait pression sur le dossier d’instruction. Le juge Damien Vandermeersch, au centre de l’enquête, est, pourtant, venu expliquer devant le tribunal qu’il n’avait pas reçu d’injonction dans un sens ou dans un autre. « Si tel avait été le cas, j’aurais dressé un procès-verbal pour le dénoncer », a déclaré le magistrat instructeur.

Plus surprenant: l’initiative impromptue du Pr Jean-Jacques Amy. Attisant encore un peu plus les braises allumées par Me Graindorge et Me Tieleman, le chef du service gynécologique de l’hôpital universitaire de la VUB a diffusé une pétition demandant au ministre de la Justice, Marc Verwilghen, qu’il fasse usage de son droit d’injonction pour enquêter sur la violation du secret de l’instruction et l’obstruction qui auraient été commises par le parquet. Une démarche, pour le moins curieuse, de la part d’un scientifique, dont l’autorité morale est reconnue. On sait que l’éminent professeur, promoteur de la loi sur l’avortement, est un anticonformiste, récalcitrant à l’autorité de l’ordre des médecins. Mais, en dehors de ce que la presse a relaté, que connaît-il du dossier d’instruction judiciaire dont il est, ici, question? Et pour quelle raison objective se permet-il de remettre ainsi en cause l’indépendance de la justice ?

Provocation

Les dérapages qui ont émaillé le procès du collège Saint-Pierre, à l’intérieur comme à l’extérieur du prétoire, sont inquiétants. On a l’impression que certains avocats de la partie civile, n’ayant plus grand-chose à se mettre sous la dent en ce qui concerne le fond du dossier, ont refusé de se battre à la loyale sur le ring, comme s’ils n’acceptaient pas le débat contradictoire. Préférant les coups bas, Me Tieleman – coutumier des effets de manche provocateurs et très soucieux de l’opinion publique par caméras interposées – et Me Graindorge ont sorti leurs cartes les plus fumeuses, n’hésitant pas à jeter la suspicion, sans argument convaincant, sur l’institution judiciaire. C’est évidemment une façon de se dédouaner vis-à-vis de leurs clients, au cas où ceux-ci n’obtiendraient pas gain de cause. Les avocats auront, en effet, tout tenté. Tant pis si la justice n’en sort pas grandie !

Dans son coin, l’air désabusé, Anne Krywin, qui défend aussi les intérêts d’un des enfants présumés abusés, semblait se demander, au fur et à mesure des audiences, dans quelle sinistre pièce elle jouait. Contrairement à ses deux confrères, elle s’est gardée d’évoquer toute pression de la part du parquet. Moins tapageuse, sa partition n’en était pas moins éloquente. Pour l’avocate, les rapports des experts pédopsychiatres qui ont entendu les enfants, il y a six ans, démontrent qu’il s’est bien passé quelque chose au sein du collège, au début des années 1990.

La défense des enseignants a tenté de démontrer que le discours des enfants à propos des abus sexuels dont ils auraient été victimes avait été orienté par le désir de vengeance des parents, outrés de ne pas se voir respectés par les responsables de l’établissement scolaire. Pour contrer cet argument, l’avocate a expliqué que son jeune client n’était pas un mythomane, qu’il n’avait jamais varié dans ses déclarations, bref, que l’on disposait de suffisamment d’éléments concordants pour le croire, même s’il n’y avait pas de preuves formelles. Dommage que l’on n’ait pu entendre les experts psychologues au cours du procès. Aucune des parties ne les avait cités comme témoin avant les débats. Et, lorsqu’en désespoir de cause Me Tieleman a pensé à le faire lors d’une des dernières audiences, la présidente du tribunal Claire De Gryse a refusé d’accéder à sa demande, suspectant visiblement un nouveau stratagème destiné à prolonger inutilement le procès.

La souffrance des enfants est réelle. Personne ne l’a nié. Mais à quoi correspond cette souffrance ? Le tribunal correctionnel rendra sa décision à la fin du mois d’avril. Le jour où Jean-Paul Tieleman a claqué la porte du prétoire, la présidente Claire De Gryse a souligné que le réquisitoire du ministère public ne liait pas le tribunal. Rappelons que les parties pourront également interjeter appel de l’arrêt rendu en première instance.

La présidente De Gryse a, par ailleurs, décidé de dissocier de l’affaire jugée les citations directes déposées par Tieleman à l’encontre du cardinal Godfried Danneels, primat de Belgique, et du chanoine Houssiau, président du pouvoir organisateur du collège ucclois, pour laisser aux intéressés le temps d’examiner le dossier. L’avocat frondeur soupçonne les deux hommes d’Eglise d’avoir protégé les responsables de l’école catholique. Le procès du collège Saint-Pierre est, sans doute, encore loin d’être terminé. Le premier round s’est conclu au finish, le 27 mars. Une procédure exceptionnelle, qui révèle à quel point les magistrats étaient sous pression au cours de ce procès dantesque, dans lequel les enfants présumés victimes ont, à l’évidence, été oubliés.

Thierry Denoël

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