Présidentielle Ecolo, journal de campagne

Le Vif/L’Express a suivi pas à pas la course à la succession de Jean-Michel Javaux. Compte rendu.

Dénouement imminent. Le dimanche 4 mars, à Louvain-la-Neuve, le peuple écologiste choisira à qui il confie sa destinée. Aux favoris, Emily Hoyos et Olivier Deleuze ? Aux challengers, Muriel Gerkens et Benoît Hellings ? Ou aux rebelles, Bernard Wesphael et Marie Corman ? Si l’on se fie aux rares échos qui percent de cette campagne tranquille, le match pourrait être serré.

LUNDI 21 NOVEMBRE

 » Jean-Mi  » a confirmé ce que tous pressentaient : oui, il quitte la présidence. Dès cet instant, la lutte pour sa succession s’engage. Dans la foulée du bureau politique hebdomadaire, la présidente du parlement wallon, Emily Hoyos, approche Olivier Deleuze, chef de groupe à la Chambre.  » Voyons-nous.  » Depuis plusieurs semaines, leurs noms circulent dans la presse. Eux, pourtant, n’ont encore rien décidé. Plus surprenant : ils se connaissent très mal et n’ont jamais travaillé ensemble.

VENDREDI 25 NOVEMBRE

Premier tête-à-tête au Venezia, à Lustin, entre Dinant et Namur. Une pizza pour elle, du jambon cuit sauce moutarde pour lui. Pendant deux heures, le moustachu bruxellois et l’ex-présidente de la Fédération des étudiants francophones (FEF) s’apprivoisent. Ils se racontent leurs trajectoires respectives, l’histoire de leurs parents, leur arrivée chez Ecolo.  » On savait qu’à la clé la question, c’était : on y va ou on n’y va pas ? A la fin, on a décidé d’y aller « , relate Emily Hoyos.

MARDI 29 NOVEMBRE

Pour contrer l’équipe  » Hoyeuze « , des alternatives se dessinent. Le député bruxellois Alain Maron, notamment, est à la man£uvre. Pour lui, le ticket gagnant réunirait le directeur politique du parti, Stéphane Hazée, hyper-compétent mais quelque peu austère, à l’étourdissante (mais parfois franc-tireuse) Zakia Khattabi, députée bruxelloise. Alain Maron rencontre Stéphane Hazée, tente de le persuader de se jeter dans la bataille. Ce dernier hésite. Il ne veut pas se mettre en porte à faux vis-à-vis de l’appareil d’Ecolo.  » Si Deleuze se présente, je n’irai pas « , conclut-il. D’autres, comme le député européen Philippe Lamberts ou la députée bruxelloise Barbara Trachte, viennent en renfort, avec l’espoir de concrétiser l’hypothèse Hazée-Khattabi.  » J’ai moi aussi essayé de faire mûrir cette candidature. Malheureusement, on s’y est pris trop tard « , confie Zoé Genot, députée fédérale.

MERCREDI 30 NOVEMBRE

Sénateur prometteur en 2009-2010, aujourd’hui président du port de Bruxelles, le jeune Benoît Hellings (il a 33 ans) désire lui aussi  » y aller « . Son analyse : confier les rênes du parti à un vieux briscard comme Olivier Deleuze, ce serait laisser croire que le parti ne réussit pas à faire émerger de nouveaux talents. La Liégeoise Muriel Gerkens, députée fédérale, fera équipe avec lui.

JEUDI 5 JANVIER

En 2003, il s’était présenté contre Jean-Michel Javaux. Avait perdu. Neuf ans plus tard, Bernard Wesphael veut à nouveau tenter sa chance. Mais le député wallon a un souci : les statuts d’Ecolo l’obligent à se présenter en tandem avec une Bruxelloise. Il a activé ses réseaux – notamment ses amis Josy Dubié et Jean-Claude Defossé – pour dénicher la perle rare. Sans succès. A trois jours de la date butoir, il cherche toujours.

DIMANCHE 8 JANVIER

Hoyos-Deleuze et Hellings-Gerkens déposent leur candidature. Mais aussi Bernard Wesphael, qui a trouvé in extremis une partenaire : Marie Corman, fonctionnaire à la Commission européenne, inconnue jusque-là, y compris dans la locale de Saint-Josse, où elle est affiliée.

LUNDI 9 JANVIER

 » Toute autre hypothèse que Deleuze-Hoyos précipiterait le parti dans de grosses difficultés « , souffle-t-on à diverses sources proches de la direction d’Ecolo.

LUNDI 16 JANVIER

 » Bonjour, je suis Marie Corman.  » La colistière de Bernard Wesphael est l’attraction de la réception de v£ux d’Ecolo, qui se tient au siège bruxellois du parti, place Flagey. Spontanément, elle se présente aux journalistes, aux parlementaires, et même aux ministres.  » C’est quand même ahurissant, s’énerve un député. Les ministres bruxellois, Evelyne Huytebroeck et Christos Doulkeridis, ne l’ont jamais vue. Elle ne connaît personne, elle n’a pris contact avec personne. Et elle annonce qu’elle veut devenir notre chef. Comment ne voit-elle pas qu’il y a un problème de légitimité ? Comment peut-on prétendre diriger une structure dont on ignore tout ? « 

MERCREDI 1er FÉVRIER

Au Mad café, à Liège, débat entre les six candidats. Le troisième du genre, après Marche-en-Famenne et Etalle. De l’avis général, la prestation des favoris Olivier Deleuze et Emily Hoyos est décevante. Cuisinés sur l’avenir de la sidérurgie, ils ont répondu par des propos évasifs, quand les régionaux de l’étape, Bernard Wesphael et Muriel Gerkens, ont su développer un point de vue détaillé. Quant à Marie Corman, pour un peu, elle ferait figure de révélation de la soirée.  » Elle a étonné tout le monde « , juge un militant.  » Calme, posée, claire. Vraiment, elle a des talents d’oratrice « , renchérit un autre.

VENDREDI 10 FÉVRIER

Un mojito à la main, Bernard Wesphael attend les journalistes. C’est un grand jour pour lui. Il présente son dernier ouvrage, Changez tout. Un livre  » décapant « , selon ses propres termes, où il brasse plusieurs sujets : fiscalité, particratie, Europe, immigration…  » C’est le fruit de trente-deux ans de pensée politique. Le résultat ultime d’un long cheminement. Le sens de ma vie. Au moins, je laisserai ça à mes enfants.  » Ironie, la photo qui orne la couverture date de 2003. Sur le cliché initial, Bernard Wesphael pose à la gauche de Jean-Michel Javaux, son adversaire d’alors dans la course à la présidence. Les lecteurs n’en sauront rien : la moitié droite de l’image a été coupée.

LUNDI 13 FÉVRIER

Ecolo world tour, la suite. Ce soir-là, les six prétendants à la présidence font escale à Bruxelles. Après un démarrage difficile, le tandem Hoyos-Deleuze monte en puissance. Plusieurs témoins, en revanche, jugent l’équipe Gerkens-Hellings moins percutante qu’en début de campagne. Quand vient le moment pour le public de poser ses questions, Jean-Claude Defossé prend la parole. L’ex-journaliste de la RTBF reconverti en député régional soutiendra Marie Corman, seule candidate issue de la société civile. Ecolo, dit-il, a besoin de renouveau.  » C’est dingue ! Il n’en fout pas une au parlement bruxellois et il vient nous donner la leçon « , s’étrangle un homme clé du parti. Autre temps fort : Deleuze et Hoyos annoncent leur intention de confier la fonction de directeur politique à Ronny Balcaen, député fédéral.

VENDREDI 24 FÉVRIER

Rendez-vous au Fornostar, pizzeria branchée du quartier Sainte-Catherine, à Bruxelles. Devant une assiette de raviolis, Benoît Hellings expose sa démarche.  » Ecolo est fort quand il montre qu’il est capable de gérer, quand il participe à des gouvernements, tout en conservant ce petit truc en plus qui en fait un parti alternatif. Ecolo doit garder un coup d’avance, un sens de l’anticipation. « 

Les débats internes ?  » Emily Hoyos et Olivier Deleuze répètent qu’ils seront opérationnels immédiatement, et qu’eux, en plus, ont l’expérience. Sous-entendu : nous pas. Mais ce n’est pas vrai. Nous aussi, on a l’expérience. Muriel est parlementaire depuis treize ans. Moi, comme président du port de Bruxelles, je gère une vraie boîte, en résistant à de puissants lobbys. « 

Le manque de notoriété ? Une opportunité, à l’en croire, qui permettra au parti de  » se re-raconter « ,  » sur des bases plus fraîches « , à travers des visages  » moins marqués « .

Pas de vin, pas de dessert. Le jeune homme veut rester  » fit  » pour aborder la dernière ligne droite qui mène à l’élection du 4 mars.

SAMEDI 25 FÉVRIER

Sur Twitter, un commentaire remarqué de Karim Majoros, blogueur et militant molenbeekois :  » Dans des genres différents, Hulot, Balladur, Jospin, Milquet… étaient aussi favoris. Coprésidence d’Ecolo : les membres décideront.  » Par téléphone, il développe :  » Je ne sais pas sur quoi se basent ceux qui considèrent Hoyos-Deleuze comme favoris. Fin 2008, Isabelle Durant était elle aussi pressentie pour la tête de liste aux européennes. Pourtant, Philippe Lamberts a gagné le poll, à une voix près.  » Lui ne cache pas sa préférence pour Hellings-Gerkens.  » Le pari peut paraître risqué, mais au fond, il ressemble à celui de 2003, quand Jean-Michel Javaux était sorti de nulle part. A l’époque, tout le monde était sceptique. Après coup, on se rend compte que c’est la meilleure chose qui pouvait arriver à Ecolo. « 

LUNDI 27 FÉVRIER

Un thé darjeeling fumant pour commencer la journée. A la boulangerie Normandie, à cent mètres du QG namurois du parti, Emily Hoyos affiche sa volonté de  » consolider  » Ecolo, de l’ouvrir vers de nouveaux publics. Deux  » cibles  » privilégiées, selon elle : les personnes qui vivent dans la précarité, les habitants des régions rurales. Les atouts de sa candidature ? Elle n’en dira mot.  » Les différences par rapport aux autres équipes existent. Elles concernent la stratégie, l’énergie politique, plus que le programme. Les militants choisiront en âme et conscience. « 

Par rapport à Jean-Michel Javaux, qui avait pris le dessus sur Sarah Turine, elle souhaite une autre forme de leadership.  » Entre Olivier et moi, il y aura une égalité totale dans la répartition des rôles, y compris pour l’exposition médiatique. Si Ecolo a choisi une présidence en binôme, avec un équilibre Wallonie-Bruxelles et homme-femme, ce n’est pas pour que l’un assume toutes les sollicitations externes pendant que l’autre gère la popote interne. « 

MARDI 28 FÉVRIER

A cinq jours du scrutin, les pronostics donnent un léger avantage au duo Hoyos-Deleuze. Malgré cette crainte exprimée ici et là : leur trop grande connivence avec  » l’appareil « . Un élu confie ses doutes :  » Ne seront-ils pas les marionnettes de certains ? Jean-Marc Nollet et Marcel Cheron tiendront-ils la boutique en coulisses ? Jean-Marc a une tendance naturelle à dominer. Si tu le laisses aller, the sky is the limit.  »

FRANÇOIS BRABANT

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