Pourquoi la crise laisse Attac sans voix

Les dérives du capitalisme financier devraient faire le bonheur d’Attac en Belgique. Or les altermondialistes ratent cruellement le rendez-vous. Sophie Heine, politologue à l’ULB, décode l’étonnant paradoxe.

Le Vif/L’Express : Le capitalisme financier en crise devrait offrir une formidable caisse de résonance au combat d’Attac en Belgique. Or le mouvement reste inaudible. Etonnant ?

> Sophie Heine : Le silence d’Attac en Belgique est effectivement troublant, alors que la crise donne raison à tout son argumentaire par ailleurs très construit. Mais cette discrétion n’est pas étonnante au vu des nombreuses faiblesses qui affectent le mouvement depuis sa fondation, il y a dix ans.

De quels maux souffre donc Attac ?

>Dans une société belge articulée sur des piliers, Attac peine à faire son trou dans le paysage de gauche et à exister à côté des grandes organisations sociales et politiques telles que le PS et la FGTB côté francophone. Le mouvement, à l’inverse des courants altermondialistes dans d’autres pays, ne peut pas non plus s’appuyer sur une gauche radicale et communiste forte. Enfin, Attac souffre d’une faiblesse sur le plan organisationnel.

La machine ne tourne pas rond ?

>Le mouvement est très peu centralisé et repose sur deux organisations régionales : Attac Vlaanderen et Attac Wallonie-Bruxelles. Mais il fonctionne surtout sur une base locale. Certaines de ces sections locales développent un travail de réflexion impressionnant, mais qui souffre d’un manque de coordination sur le plan national. Ce qui nuit à la visibilité médiatique du mouvement.

Attac n’est-il pas en panne cruelle d’alternatives crédibles ?

>Le mouvement formule des propositions alternatives concrètes mais partielles : la taxe Tobin sur les flux financiers, la taxation des revenus du capital, le développement des services publics, etc. Il lui manque en revanche un projet de société global et cohérent, inscrit sur le long terme.

La matière ne fait pas débat au sein même du mouvement ?

>Attac a connu de fortes tensions internes entre 2000 et 2004, qui reflétaient une opposition plus fondamentale entre radicaux et modérés. Entre ceux qui prônaient une concentration du mouvement sur les questions financières, et ceux qui réclamaient l’élargissement à la critique générale du néolibéralisme ; entre les partisans de la démocratie locale et directe, et les tenants de la démocratie représentative ; entre ceux qui veulent garder une indépendance vis-à-vis du pouvoir politique ou du monde syndical, et ceux qui envisageaient la voie d’un statut d’ASBL subsidiée et du lobbying. Ces tensions se sont aplanies mais elles ont épuisé le mouvement, provoqué le départ d’une partie de ses leaders et engendré un déclin important du nombre de militants actifs. Depuis ce traumatisme, le clivage subsiste mais n’est plus exprimé, par peur de raviver ces luttes internes. C’est l’une des raisons de la faiblesse du débat d’idées en son sein, en plus d’un déficit à ce niveau dans la gauche belge en général.

Attac ne manque-t-il pas aussi d’un leadership charismatique ?

>On y trouve des personnalités potentiellement charismatiques. Mais la faiblesse du mouvement ne les pousse pas à s’investir pleinement.

On dit souvent que le mouvement est politiquement infiltré ?

>Cela relève du mythe. Attac n’est pas noyauté par l’extrême gauche. On y trouve aussi des militants proches du PS ou d’Ecolo.

Attac a-t-il encore une raison d’être ?

>Le mouvement est à la croisée des chemins, il vit une crise existentielle et une phase critique de son histoire. Dénoncer le capitalisme financier et ses dérives ne suffit plus dans le contexte actuel, car d’autres acteurs occupent aujourd’hui ce créneau. Quelle valeur ajoutée peut encore apporter Attac ? En jouant son rôle de forum de discussions et de confrontation des idées des différentes gauches.

Pour en savoir plus :  » Le mouvement Attac en Belgique « , Sophie Heine, Courrier hebdomadaire du Crisp, 2008.

ENTRETIEN : PIERRE HAVAUX

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