» Mohammed VI veut être aimé « 

Sociologue, Mohamed Tozy enseigne à l’université de Casablanca et à celle de Provence. Il analyse dix ans de règne.

Quel regard portez-vous sur les dix premières années du règne de Mohammed VI ?

>J’y vois beaucoup de contradictions et d’ambivalences. Le roi a instauré un style nouveau qui renvoie à sa personnalité, complexe. Avec ses proches, il peut être tour à tour magnanime et coléreux, voire violent. Sur le plan politique, alors que Hassan II imposait sa vision, la réflexion sur la manière de gouverner est beaucoup plus partagée. Il existe un réel espace pour les initiatives de l’entourage, même si celles-ci restent soumises aux jeux de cour.

C’est un roi moderne ?

>Mohammed VI est un roi qui veut être aimé. Le projet de société qui se dessine à travers les réformes entreprises au cours de ces dix dernières années est porteur de modernité. Mais certains archaïsmes subsistent, qui témoignent du souci de préserver les équilibres traditionnels.

Le fait que la monarchie détienne l’essentiel des pouvoirs explique-t-il le discrédit de la classe politique, qui s’est notamment traduit, il y a deux ans, par une abstention massive ?

>C’est un aspect du problème, mais il ne faut pas oublier non plus que l’offre monarchique de réforme est bien réelle, même si elle est opaque. Le gros problème, c’est surtout que cette offre ne suscite ni débat ni clivage au sein de la classe politique. Il y a, autour de ce projet plein de contradictions, un consensus mou, aucune discussion susceptible de mettre le monarque sous pression, de l’aider à faire des choix et à affronter ses soutiens, qui appartiennent pour la plupart au clan des conservateurs.

Parce que c’est le roi qui décide…

>Parce que les politiciens, y compris les démocrates, ne prennent pas de risques, qu’ils ne font pas de choix. Ils ont de réelles marges de man£uvre qu’ils n’utilisent pas. Il n’est pas sain qu’un Premier ministre dise qu’il n’a pas d’autre programme que celui du roi. Le gouvernement pourrait, s’il le voulait, faire voter davantage de lois, exercer plus de pressions. Cela dit, il y a un problème, celui du recrutement des élites. On fait plus vite carrière en intégrant la technostructure qui gravite autour du Palais qu’en adhérant à un parti. D’une certaine façon, on peut dire que le roi fait une concurrence déloyale à la classe politique.

Faut-il réformer les institutions afin de modifier l’équilibre des pouvoirs ?

>On peut en effet réformer la Constitution afin de définir un meilleur équilibre. Mais le texte actuel offre plus d’espace au gouvernement et au Parlement que celui qu’ils occupent dans la réalité. C’est à mon avis d’abord une question de pratique institutionnelle.

Beaucoup de Marocains préfèrent que ce soit le roi qui décide plutôt que les politiciens…

>C’est vrai. On revient à ce refus de prendre des risques. Il y a plus de courtisans que d’hommes politiques.

Propos recueillis par Dominique Lagarde

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