Les vies sont des romans

A 78 ans, l’ex-chef de cabinet du prince Albert s’aventure en terrain miné, en signant la bio époustouflante d’une enfant royale cachée. Mais sur les cours, l’aristocratie et la dureté des sentiments,  » Didi « , sûrement, n’a pas tout dit…

Ne lui parlez plus jamais de descendance, de lignage et de filiation. En tout cas, pas de la sienne. Cette rumeur tenace (il serait un fils illégitime de Léopold III, donc le demi-frère d’Albert II et de Baudouin Ier), Michel Didisheim, 78 ans, la traîne comme une vieille tante barbante, qui surgit toujours à l’improviste, et aux pires moments. Depuis plusieurs décennies, tant de murmures ont alimenté les conversations, tant d’allusions ont paru dans la presse ( » Y compris dans Le Monde « ) que l’intéressé ne s’est pas donné la peine de les relever.  » On ne polémique pas de gaieté de c£ur, et je n’ai pas systématiquement réagi.  » Mais voilà : récemment, la machine à ragots s’est emballée. Coup sur coup. Un livre en anglais de Paul Belien (un historien flamand proche du Vlaams Belang), puis celui du colonel Noël Vaessen (la bête noire de nos souverains), en ont chacun rajouté une couche. Et la vieille tante est apparue soudain très moche, très envahissante, très empoisonnante.  » On embête mes petits-enfants avec ça, eux qui n’ont pas tous connu leur arrière-grand-mère…  » Didisheim, qui déteste se faire piéger, est cependant assez futé pour l’admettre : cette fois, il a peut-être un petit peu  » tenté le diable « . Publié au début du mois d’octobre, son premier roman, intitulé Tu devais disparaître…, narre le destin très extraordinaire d’une descendante illégitime de la reine Victoria : Valeria Schwalb, née en 1900, fille d’un duc allemand et d’une mère dont personne, à présent, n’en sait plus que ce que révèle un document officiel slovaque ( » Une dame de haute naissance aristocratique dont le nom et le prénom ne peuvent être établis « ). Tiens, tiens. Enfance cachée, gotha coincé… : l’auteur, dont la plume force constamment l’admiration, connaît ces matières sur le pouce – lui qui, inclus pendant de nombreuses années dans le cercle intime du prince Albert, a abondamment fréquenté les cours belge et étrangères. Pour le reste, que les choses soient entendues : avec ses yeux bleu délavé qu’il peine à rendre méchants, Didisheim dément, une fois de plus et avec la plus grande fermeté, être  » qui que ce soit d’autre que le fils de René Didisheim et de Claire Maigret de Priches « , tous deux décédés. Qu’on les laisse désormais tranquilles. Et basta, aussi, de cette supposition tordue selon laquelle c’est le Palais qui exigerait ce silence, pour protéger la mémoire de la pauvre reine Astrid, victime supposée des frasques de son cavaleur d’époux – Michel Didisheim a vu le jour en avril1930, soit cinq mois avant le roi Baudouin.  » Le Palais ne m’a jamais rien demandé du tout « , insiste Didisheim.

Assez, donc. Il est des épisodes de son existence que cet homme prévenant, terriblement british dans ses manières et sa mise, préfère évoquer : telle la fondation, en 1971, d’Inter-Environnement, avec l’accord (tacite et confidentiel) du roi Baudouin. A l’époque, cette sorte de  » syndicat  » d’associations de protection de la nature et d’aménagement du territoire est plutôt perçu comme un mouvement gauchiste, donc contestataire. Pas vraiment la tasse de thé du milieu mondain auquel appartient Didisheim. D’où sa fierté :  » Relisez les textes de base d’Inter-Environnement. J’ose dire que, trente-sept ans avant Al Gore, nous soulevions déjà des questions essentielles, comme l’effet de serre. On se demandait juste s’il allait refroidir ou réchauffer la planète… « 

Difficile d’affirmer si Didisheim, qui a présidé vingt-cinq ans aux destinées de la Fondation Roi Baudouin, qui s’y entend mieux que quiconque en coulisses et travers de notre royauté, est, ou non, sensible aux honneurs. Il y a belle lurette que ne paraît plus aux cérémonies officielles celui qui admet aujourd’hui, avec une douce autodérision, avoir été  » ce jeune type qui, dans le sillage du prince, rencontrait Kennedy et d’autres gens au sommet « . Il ne lui plaît pas davantage de rappeler qu’en 1996 le roi l’a fait comte, à titre héréditaire,  » pour services rendus « . Des contacts qu’il a gardés avec certains membres de la famille royale, il ne parle pas volontiers, devoir de réserve oblige. Mais une tendresse non feinte  » perce « . Vague à dessein, Didisheim affirme les  » aime bien « , ces altesses et majestés,  » être resté en bons termes avec toutes « , sans arriver à dissimuler que Philippe fait partie de ses favoris.  » Je suis fâché de voir comment on le harcèle, de façon continue et injuste. L’aîné d’Albert et de Paola n’a pas un sens aigu de la communication, mais il a un excellent fond.  » Delphine ?  » Oh, Delphine…  » Didisheim écarte le pouce et l’index, en expliquant qu’il l’a connue  » grande comme ça « . Parce qu’il n’en dit pas plus, on devine que le cas de la benjamine royale, non reconnue, est une blessure. Pour lui, qui chérit cinq enfants  » magnifiques « , pour Delphine, bien sûr, pour tous ceux de Laeken, et pour une nation entière, peut-être… De ses études historiques, de ses fréquentations quotidiennes, Didisheim l’a maintes fois constaté : les  » grands  » de ce monde sont  » durs « ,  » impitoyables « .  » Pas seulement les rois. Aussi les présidents, les hommes d’affaires, les architectes et les médecins « divas » : tous jouent des coudes pour ne pas partager leurs privilèges…  » Et ça le gêne, oui. Comme les fausses idées qu’on pourrait se faire de lui. Bien au-delà des tourments des puissants, voilà un homme qui s’émerveille pourtant de la fragilité des choses (l’incommensurable beauté d’un camélia ressuscité, d’une renarde qui met bas au fond de son jardin, à Uccle…), mais qui redoute sottement qu’on y lise des aveux de faiblesse. A 78 ans, Didi est un sensible qui s’en défend.  » N’écrivez pas, s’il vous plaît, que j’aime les bébés.  » Trop tard, c’est noté.

Valérie Colin

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