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Les stéréotypes de genre, une tache tenace

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Les garçons sont doués pour les maths. Mais les filles sont plus soigneuses. Faut-il faire table rase de notre conception de l’éducation pour mettre fin au sexisme et à tout ce qu’il implique? La parole aux acteurs de terrain.

Ils ne sont pas toujours identifiables et se cachent dans un mot, une vanne, une attitude. On pense en être débarrassé avant de s’apercevoir que les stéréotypes de genre sont toujours là, bien présents à toutes les étapes de la vie et dans tous les rouages de la société. Tenaces et profondément ancrés. Les violences faites aux femmes ne sont pas des événements accidentels, ils sont le produit d’une combinaison de facteurs individuels, structurels et sociétaux, dont font partie ces idées reçues qui assignent aux femmes et aux hommes des rôles étriqués et cadenassés.

Ce lien entre stéréotypes, sexisme et violences à l’égard des femmes n’est plus à démontrer. Pourtant, il a fallu attendre l’émergence de mouvements comme MeToo ou, plus récemment, BalanceTonFolklore, DoublePeine et BalanceTonBar pour que les décideurs prennent la mesure des conséquences désastreuses de ce déséquilibre systémique. Discriminations, harcèlement, viols, violences conjugales, féminicides: le chantier est titanesque, même si dans certains secteurs on a commencé à couler les fondations du changement.

Soutenir… et déconstruire

Avec son plan Droits des femmes 2020-2024, la Fédération Wallonie-Bruxelles place la déconstruction des clichés sexistes et la lutte contre les violences faites aux femmes au coeur de son action. Le texte annonce une série de mesures destinées à déconstruire les stéréotypes, comme intégrer ou renforcer la dimension de genre dans la formation des enseignants et dans les manuels scolaires ou promouvoir une orientation professionnelle non genrée. La lutte contre les violences s’articule, entre autres, autour de l’organisation de campagnes de sensibilisation et la prévention sur les lieux festifs. Reste à voir ce qui, dans le contexte pandémique, aura pu être réalisé à l’échéance 2024 et, surtout, avec quels moyens.

A l’école, on pousse les garçons à développer leur imaginaire, leur créativité, tandis qu’on encourage les filles au conformisme.

Sur le terrain, les associations de défense des droits des femmes et d’éducation permanente n’ont pas attendu le politique pour partir en croisade contre la banalisation du sexisme et des violences sexuelles. « La nécessité de développer une pédagogie de l’égalité est apparue dans les milieux féministes. Une première expérience pilote avait été menée de 2003 à 2005 au refuge pour femmes battues de La Louvière dans le cadre du projet européen Daphné », retrace Nadine Plateau, présidente de la commission Enseignement du Conseil des femmes francophones de Belgique. « Après cela, le décret concernant la formation initiale des futurs enseignants de maternelle et de primaire a introduit la question du genre. Quelques années plus tard, la commission Enseignement a réalisé une étude sur cette formation et on s’est aperçus que les questions de genre n’étaient toujours pas abordées spécifiquement. »

Prendre le mal à la racine

Protéger et soutenir les femmes les plus vulnérables: un travail aussi indispensable qu’énergivore que Pascale Urbain, présidente et fondatrice de Brise le silence, et son équipe – principalement des bénévoles – accomplissent depuis 2015. Le soutien fourni par ce service de prise en charge des victimes de violences sexuelles est complémentaire au travail effectué par les professionnels de la santé et est basé sur le principe de la pair-aidance. Les victimes, qui présentent toutes un profond traumatisme, sont accueillies et accompagnées dans leur parcours social et professionnel par un binôme composé d’une psychologue et d’une personne qui a elle-même vécu ce type de faits. L’ association organise aussi des ateliers créatifs et d’écriture, ainsi que des groupes de parole. « Ces femmes ont souvent déjà subi des violences, principalement l’inceste, dans leur enfance. Dans 90% des cas, elles connaissent leur agresseur. Dans les cas de maltraitance conjugale, on constate qu’elles ont honte, qu’elles se sentent coupables, qu’elles estiment ne pas mériter une relation saine… », décrit Pascale Urbain, elle-même victime par le passé.

Ces femmes ont souvent déjà subi des violences, principalement l’inceste, dans leur enfance.

Ce qu’elle dénonce aujourd’hui, c’est le manque d’écoute des victimes qui, trop souvent, se retrouvent en psychiatrie plutôt que d’être prises en charge et accompagnées par des structures spécialisées. « La psychiatrie n’est pas la solution. Ça vous aide seulement à vous mettre en situation de protection, pas à traiter le fond du problème. On sait aussi que certains phénomènes de société, comme la toxicomanie ou la prostitution, trouvent leur source dans les violences sexuelles. Et pourtant, on continue à tourner autour du pot. »

Avec la Covid, Brise le silence s’est régulièrement retrouvée en première ligne. Les appels de détresse se sont multipliés et les missions ont été élargies. Mais les budgets sont toujours aussi maigres. Aujourd’hui, les équipes sont à bout de souffle. « On ne dort plus beaucoup. C’est inhumain de travailler dans des conditions pareilles. On a besoin d’un soutien politique imminent. »

L’ enjeu, aujourd’hui, est donc de faire en sorte que ces structures d’écoute et d’accueil soient mieux soutenues et, surtout, de traiter le problème à la racine. Ce n’est qu’en prenant conscience que le sexisme et les stéréotypes de genre sont profondément ancrés dans notre société qu’on pourra faire baisser les statistiques. Pour y parvenir, il faut commencer tôt. Dès la crèche.

« Vous direz à votre femme »

C’est ce sur quoi travaille Marie-France Zicot, formatrice aux centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (Ceméa) et coordinatrice du projet « Pour une éducation à l’égalité des genres ». « Les femmes ont intégré l’idée selon laquelle elles sont faites pour avoir des enfants et elles sont plus compétentes que les hommes pour s’en occuper. En crèche, les puéricultrices ne se rendent pas toujours compte qu’elles traitent différemment les pères et les mères. Elles lanceront, par exemple, « vous direz bien à votre femme que… » comme s’ils étaient incapables de savoir quoi faire de cette information. »

Au cours des formations données par les Ceméa, des réflexes tout aussi frappants sont régulièrement identifiés chez les enseignants. Parfois, c’est le déclic. « Ils se rendent compte qu’ils cotent différemment les enfants selon le sexe. Ils attribueront, notamment, un point d’encouragement à une élève à une interro de maths parce qu’ils considèrent que les filles ne sont pas douées dans cette matière. Par contre, ils attendent d’elles qu’elles soient plus soigneuses que les garçons. Lors de ces rencontres, on ne pose aucun jugement de valeur. On travaille sur les convictions personnelles, car on sait qu’elles auront une influence sur la posture individuelle ». Le travail de sensibilisation de l’organisme dépasse d’ailleurs la sphère éducative. Des formations sont régulièrement données à la police, à la Stib, chez les gardiens de la paix et à l’école d’administration publique de la Région bruxelloise.

Les stéréotypes de genre, une tache tenace
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Mais retournons à l’école, où tout se joue. En 2013, Marie-France Zicot avait mené une étude exploratoire sur les manuels scolaires qui avait mis en lumière une surreprésentation des garçons par rapport aux filles. 56% des illustrations représentaient des garçons, contre 23% de filles. Ces dernières étaient souvent décrites comme timides, belles et sensibles mais aussi fragiles, alors que les garçons étaient plus régulièrement des héros présentés comme forts et courageux, mais négligents. Depuis, les maisons d’édition se sont engagées à respecter une charte éthique. L’ an prochain, soit dix ans après sa première enquête, Marie-France Zicot passera à nouveau au scan tous les manuels scolaires. Histoire de vérifier…

Les statistiques ne baisseront que si le problème est traité à la racine.

A la Ligue de l’enseignement et de l’éducation permanente, qui publie la revue Eduquer, on fait le même constat: « A l’école, on pousse les garçons à développer leur imaginaire, leur créativité, tandis qu’on encourage les filles au conformisme. Les garçons sont aussi davantage mis à contribution pour répondre aux questions ou interrogés sur des matières plus complexes. On note aussi que les enseignants tolèrent moins l’indiscipline chez les filles », regrette Juliette Bossé, responsable de la communication. Tout comme Marie-France Zicot, elle attire l’attention sur ces manuels scolaires où les femmes sont peu représentées. Ou très mal. « Notamment dans les référentiels d’histoire, où on présente souvent les femmes puissantes, par exemple les reines, comme des personnes frivoles, perfides ou cruelles. » Les deux expertes plaident activement pour que tout le corps enseignant soit sensibilisé à l’égalité des genres grâce à des formations régulières et que le sujet soit abordé dans les cours de façon transversale.

Safe et éthique

Evras, cinq lettres pour résumer un enjeu capital en ces temps de questionnement: l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle. Récemment, l’équipe du planning familial Aimer à l’ULB a entamé un travail de sensibilisation axé sur le consentement – au sens large – en milieu festif auprès des cercles d’étudiants. « Les étudiants sont très préoccupés: ils se demandent comment être attentifs au consentement, comment faire une guindaille safe et éthique », rapporte Elisa Piettre, travailleuse sociale et coresponsable de l’équipe d’animation d’Aimer à l’ULB. Le rapport au corps et le consentement sont aussi abordés dans les écoles primaires et secondaires dans le cadre de ce plan Evras auquel participent les centres de planning familial à Bruxelles et en Wallonie. D’autres initiatives, parmi lesquelles le plan Sacha (Safe attitude contre le harcèlement et les agressions), visent également à prévenir les violences sexistes et sexuelles dans le milieu festif.

Dans les cas de maltraitance conjugale, on constate qu’elles ont honte, qu’elles se sentent coupables, qu’elles estiment ne pas mériter une relation saine…

« Plus tôt on en parle, mieux c’est, poursuit Elisa Piettre. Nous travaillons avec des outils spécifiques et des mises en situation. Dans beaucoup de classes, nous sentons que les relations sexuelles, l’inceste ou les violences familiales restent des sujets sensibles, que certains élèves ont déjà vécu des situations d’abus. » Le décret enseignement de 2013 prévoit de l’Evras tout au long du parcours scolaire. Une absolue nécessité, estime la travailleuse sociale, surtout pour les enfants qui ont peu d’occasions de se confier. « Les familles qui abordent ces sujets sont généralement celles qui n’ont pas de problèmes. En intervenant dans les écoles, on sait qu’on touchera un maximum de jeunes. »

« Le changement n’est possible que si on essaie vraiment d’inculquer aux petits garçons le respect des filles, récapitule Nadine Plateau. On peut lutter contre l’infériorisation systématique des femmes et augmenter leur confiance en elles. Car une fille qui a confiance en elle, qui est fière de ce qu’elle est, sait dire non. » Et quand c’est non… c’est non.

90%

Dans 90% des cas, les femmes connaissent leur agresseur.

56%

Dans les livres scolaires, 56% des illustrations représentent des garçons, contre 23% de filles.

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