Les maires FN en conduite accompagnée

Les médias et les adversaires politiques du Front national ne seront pas les seuls à observer de près la gestion des nouvelles municipalités. Un comité de pilotage sera mis en place au siège du parti.

 » Les mairies que nous aurons gagnées ne seront pas sous tutelle, si c’est bien votre question.  » Le 25 mars, Marine Le Pen ne peut répondre autre chose : le cadre public d’une conférence de presse, transmise en direct sur les chaînes d’information continue, ne prête guère à l’exposé d’une stratégie sous-marine. En déclarant, dans une interview au Monde le 28 mars, qu’il manque au FN un  » bilan « , la fille de Jean-Marie Le Pen signale tacitement qu’il ne se construira pas sans elle. Jacobin sur le plan idéologique, le Front national l’est aussi dans son mode de fonctionnement.

En 1995, à peine élus, les maires de Toulon (Var), Orange (Vaucluse) et Marignane (Bouches-du-Rhône) avaient dû rappliquer au Paquebot, alors siège du FN, le long de la Seine. Pour la photo, bien sûr, mais pas que…  » Jean-Marie Le Pen voulait avoir la main « , se souvient le délégué national aux élus de l’époque, Jean-Yves Le Gallou. Bruno Mégret et le fondateur du FN décident d’assurer un suivi des villes frontistes. Ils fixent des objectifs généraux, tels que la stabilisation des impôts, et trouvent des fonctionnaires en préretraite prêts à officier comme consultants pour ces municipalités. La tutelle fera long feu : Jacques Bompard, le maire d’Orange, quitte le parti. Le Méridional Daniel Simonpieri fait ce qu’il entend à Marignane ; il rejoint ensuite l’UMP. A propos de Jean-Marie Le Chevallier, à Toulon, un dirigeant actuel confie :  » Le problème, c’est qu’à partir de 11 heures du matin il arrêtait de boire de l’eau…  »

Marine Le Pen affirme que la configuration actuelle est différente :  » Cette fois, les victoires ne sont pas des surprises.  » Dans les communes à succès probable, la constitution des équipes candidates a été plus soignée, pour que parmi les colistiers figurent des adjoints potentiels. Certains nouveaux maires sont déjà peu ou prou impliqués dans la structure nationale. Celui de Fréjus (Var), David Rachline, travaille en tant que permanent au siège du FN, à Nanterre (Hauts-de-Seine), où Steeve Briois, élu à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), officie comme secrétaire général. A l’inverse, des inconnus de la direction – le 30 mars, Marine Le Pen avait besoin de consulter ses fiches pour dire leurs noms – ont été élus dans le Sud, dans le Vaucluse, au Pontet, et dans le Var, au Luc ou à Cogolin. Certains de ces élus, les conseillers municipaux surtout, mériteront peut-être la sentence d’un responsable national :  » S’il y a des mauvais, c’est normal, de toute façon, on a anticipé de la perte au feu.  »

Les CV de fonctionnaires affluent

Pour préparer l’élection, Jean-Richard Sulzer, responsable de la commission économique et nouvel adjoint aux finances d’Hénin-Beaumont, a effectué un petit tour de France des candidats.  » On leur a montré comment gérer un budget, établir un diagnostic ; les têtes de liste papabile ont suivi une formation renforcée « , raconte ce professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine. Le siège a édité un petit  » Guide pratique de l’élu municipal « . La préface, rédigée par Steeve Briois, s’intitule  » Des élus d’opposition crédibles et efficaces « .

Par ailleurs, le siège du parti a classé les CV des fonctionnaires territoriaux reçus pour mieux les redispatcher. Certains d’entre eux sont arrivés entre les deux tours des municipales. Le soir du 23 mars, le directeur de la campagne, Nicolas Bay, est contacté par un agent de catégorie A, spécialisé dans les affaires culturelles. Il postule pour poursuivre sa carrière dans le Sud-Est. Le lendemain, Bruno Gollnisch, membre du bureau politique, recueille la proposition d’un ancien gendarme de prendre la tête d’une police municipale. Le 26 mars, Michel Guiniot, autre dirigeant du FN, découvre les e-mails d’une directrice de la communication et d’un inspecteur des travaux publics.  » Ces profils de collaborateurs sympathisants vont s’intégrer au grand mercato de la territoriale et seront bien sûr traités en priorité « , décrypte un conseiller de Marine Le Pen.

Cela ne suffira pas. Au niveau national, Bruno Gollnisch recommande la mise en place d’un service spécialisé dans le suivi de la gestion des mairies frontistes.  » Nous ferons des petits contrôles…  » souffle, de son côté, un très proche de la présidente. Ce service – baptisé par certains  » comité de pilotage  » – sera composé de conseillers régionaux ponctuellement mobilisables, d’avocats, mais aussi d’apparatchiks du parti. Philippe Martel, ancien collaborateur d’Alain Juppé à la mairie de Paris et actuel chef de cabinet de Marine Le Pen, apportera son expertise dans les affaires culturelles et financières. Jean-Richard Sulzer, que son poste d’élu à Hénin-Beaumont n’occupera pas à 100 %, jettera un oeil sur le bouclage des budgets. Nicolas Bay et Louis Aliot pourraient avoir un rôle de contrôle global et, sans doute, plus politique.  » Si un maire se montre récalcitrant vis-à-vis de nos recommandations, nous pourrons toujours lui envoyer un chargé de mission, voire lui imposer un directeur général des services « , prévient un hiérarque frontiste.

Gardez-vous de l’intérieur, mais aussi de l’extérieur. Les obstacles vont se dresser sur la route des nouveaux édiles. Bruno Mégret se plaint d’avoir vécu un cauchemar administratif à Vitrolles (Bouches-du-Rhône, sud-est de la France), de 1997 à 2002 :  » En six ans, nous avons subi deux contrôles de la chambre régionale des comptes, car le préfet considérait notre budget comme insincère. Pendant les audits qui s’ensuivaient, les crédits étaient bloqués plusieurs mois.  » Jean-Richard Sulzer balaie ces craintes.  » Si le préfet nous colle 15 référés, eh bien, il nous collera 15 référés ! L’évolution jurisprudentielle récente permet d’éliminer assez facilement les petits vices de procédure…  » Nicolas Bay ajoute qu' » avec un bon directeur des services juridiques, on peut systématiquement attaquer le refus d’une subvention de la région ou du département « . Philippe Martel veut croire à l' » impartialité de l’Etat « . Dans Le Monde du 28 mars, Marine Le Pen, elle, dramatise :  » La vraie question est de savoir si les élus FN seront traités comme les autres ou comme des parias.  »

Pour cette première mandature, le Front national choisit l’option discrétion, presque l’immobilisme. Dans leurs interventions publiques, ses représentants usent et abusent des éléments de langage sur une  » gestion de bon père de famille  » et le respect du cadre légal.  » On ne fera pas du Mégret bis « , prévient Philippe Martel, en référence notamment à la redénomination des rues de Vitrolles.  » Je suis persuadé qu’ils vont faire une gestion au fil de l’eau, qu’ils ne révolutionneront pas le monde « , analyse ledit Bruno Mégret. Il ne croit pas si bien dire : un cadre du Front assure que  » rien ne sera fait pendant les premiers mois. Le temps que la pression médiatique retombe « .  » Il faut que les services publics fonctionnent et que, en cas de gel, les chasses d’eau marchent « , résume Jean-Richard Sulzer. Les ambitions attendront.

Par Tugdual Denis

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