Les chiens sont lâchés !

Cela fait vingt ans que le tandem Fred et Stef distillent de l’humour belge en subtile huile essentielle. Pour la rentrée, ils nous envoient Froud et Stouf, leurs célèbres toutous bleus, dans un album BD qui secoue le prêt-à-penser de notre époque. l

Faut-il encore présenter nos polycréateurs nationaux ? D’un côté, Frédéric Jannin, musicien, auteur de BD (Germain et nous, Parentillages, Que du bonheur, Malaise vagal…) et joyeux drille du Jeu des dictionnaires aux formidables métamorphoses vocales. De l’autre, Stefan Liberski, écrivain (G. S., écrivain tout simplement, Des tonnes d’amour…) et cinéaste (Bunker Paradise, bientôt un deuxième long-métrage et… l’adaptation à l’écran de Ni d’Eve ni d’Adam, d’Amélie Nothomb !). Deux personnalités aussi différentes que les univers qu’ils créent. Mais Fred et Stef, c’est 1 + 1 = 3. En effet, l’addition des deux individus en a produit un troisième : Jannin-Liberski – on pourrait presque l’écrire en un mot, tant les deux noms sont, comme le moules-frites et les boulettes-sauce tomate, devenus indissociables dans le chef de nos concitoyens. Jaadtoly (pour  » J’aime autant de t’ouvrir les yeux « ), Twin Fliks, Froud et Stouf…, sur Canal + et BeTV, sont devenues des émissions cultes, et nombre de leurs sketchs, comme les célèbres  » Allô, c’est moi « , font désormais partie des classiques de l’humour belge.

Bonne nouvelle : Froud et Stouf, les clébards bleus aux commentaires absurdo-minimalistes sur notre merveilleuse époque, font une splendide rentrée. Ils ont quitté leur niche télévisuelle pour les cases d’un album, Les gens adorent (Luc Pire). Les deux philosophes du trottoir nous y livrent leurs pensées sur les séries télé, le fléau des SNF (sans niche fixe), la législation suédoise adaptée aux chiens, les nouvelles normes pour les écuelles ou le Festival citoyen des droits de l’homme à Baissay-le-Rideau… Bref, après vingt ans d’existence, le tandem est en pleine forme, et il a du pain sur la planche : il sévira bientôt quotidiennement dans La Libre, tout en réalisant pas moins de 200 sketchs radio pour l’émission radio Bonjour quand même de la RTBF.

C’est à la fin des années 1980 que Jannin rencontre Liberski, par trois amis communs avec qui ils formeront les célébrissimes Snuls. Fred dessine depuis toujours – il est d’ailleurs persuadé qu’on le voit déjà le crayon à la main dans l’échographie de grossesse de sa maman ; maman qui a d’ailleurs gardé tous les dessins de son rejeton. Il a abandonné des études de journalisme qui le déprimaient pour rejoindre la bande du Trombone illustré, tout en formant son groupe de rock. Stef, lui, est rentré de Rome où, après des études de philologie romane, il a travaillé sur le tournage de La Città delle Donne, du grand Fellini lui-même, et bosse dans la pub. La complicité est immédiate. A l’époque, Canal + débarque en Belgique et cherche à créer une émission humoristique belge. Les cinq amis proposent Les Snuls, aussitôt acceptés. On connaît la suite. L’émission culte pulvérise la télé guindée de papa. Les sketchs avec accents belges et dérision en huile essentielle connaissent un succès phénoménal. Nombre d’extraits ou de citations sont entrés dans la culture collective, les dialogues et accents ont révolutionné les pubs radio, les Hazewee à Laeken ont été repris en ch£ur dans les fiestas de toute une génération.  » Pourtant, à l’époque, on inventait au jour le jour, on travaillait à un rythme harassant pour fournir un épisode par semaine, et nous n’avions aucun retour, se souvient Liberski. A la fin de la première saison, nous avions décidé de faire une émission en public, au Botanique. On s’attendait à voir 25 personnes, mais c’était le délire ! Le Bota était complet, des gens se baladaient même avec des colliers de chicons ! On était stupéfaits. C’est là que nous avons réalisé l’ampleur du phénomène. Je crois que les Snuls répondaient à un besoin, celui de cette « sous-culture belge » qui n’avait nulle part où s’exprimer. « 

Les Snuls s’arrêteront après la quatrième saison –  » comme Vivaldi « , diraient Froud et Stouf -, plusieurs comparses ayant d’autres occupations professionnelles. Jannin et Liberski, eux, continuent à travailler ensemble et créent, avec Jaadtoly, la  » televizione povera  » aux émissions minimalistes qui engendreront  » Allô, c’est moi ! « , les bricoleurs Sukses et Wickes et Froud et Stouf. Et, vingt ans après Les Snuls, l’inspiration est toujours au rendez-vous.  » C’est très bizarre, confient-ils de concert. Cela n’est jamais arrivé que l’on ne trouve rien. Même si, chacun dans notre coin, nous pensons manquer d’inspiration, dès que nous sommes ensemble, c’est parti !  » Dans les bistrots, salons de thé et restaurants bruxellois, parlant de tout et de rien, le duo recrée à chaque fois cette chimie particulière qui aboutit en un précipité de sketchs et planches de BD drôlissimes, à des années-lumière des gros comiques de service. D’ailleurs, Fred et Stef ne se demandent jamais ce qu’ils vont faire pour faire rire les gens. Ils observent les multiples déclinaisons du prêt-à-penser de notre époque et ont le chic de les restituer en forme condensée sur l’écuelle de leurs cabots. Et leur moquerie salutaire passe à la moulinette le politiquement correct de  » l’idéologie de fancy-fair  » actuelle, avec sa confiture de bons sentiments aux vrais morceaux de  » fête obligatoire « .

Mais comment expliquent-ils cette compréhension immédiate de l’autre, cette complémentarité unique ?  » On ne veut surtout pas analyser ça ! lancent-ils. C’est comme dans un couple, quand on commence à réfléchir à ce qu’on trouve chez l’autre, ce n’est pas bon signe… (Rires.)  » Juste, l’amour ne s’explique pas. Le talent, non plus.

Elisabeth Mertens

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