Le « zoo » de Tervuren

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Eté 1897. Exhibés à l’Exposition universelle de Bruxelles, 267 Congolais vont subir le regard écrasant des Blancs, le froid, la maladie… Retour sur la terrible histoire de ce « zoo humain »

Un jour, un roi, dans son palais, imagine un grand projet: faire venir dans son pays, la Belgique, des Congolais tirés de leur brousse pour les montrer aux visiteurs de l’Exposition universelle de Bruxelles. Nous sommes en 1897. Léopold II, propriétaire, pour quelques années encore, de l’Etat du Congo, souhaite afficher sa puissance et sa capacité à « domestiquer » les populations dites « sauvages » de sa colonie, afin de séduire investisseurs et banquiers. Les 267 Congolais qui embarquent à Boma, direction Anvers, sont censés représenter tout ce que le coeur de l’Afrique compte d’ethnies, de traditions et de professions. Parmi eux, un chef Bangala, une centaine de soldats, deux Pygmées, une vingtaine de femmes.

Parqués dans trois villages « exotiques » près du petit bourg de Tervuren, les Congolais jouent, jour après jour, des scènes de la vie quotidienne. Le public – un million de visiteurs – se montre exigeant, jette des bananes, des bonbons ou des centimes pour attirer les « naturels » hors de leurs cases. « Il en est dont l’oeil est très bon, très doux, qui montrent leurs dents d’une éblouissante blancheur dans un rire éternel, lit-on dans les gazettes. D’autres ont le regard franchement mauvais, cruel… » Ces « grands enfants » chantent et dansent, participent à des courses en pirogue sur les étangs de Tervuren, tandis que défile le détachement congolais. Pour les réconforter, on leur offre de la bière ou du genièvre… Le prince Albert vient voir le « spectacle », mais Léopold II se dérobe. Le roi, qui a peur des microbes, redoute de serrer la main des indigènes.

Une épidémie de grippe et des pneumonies se sont d’ailleurs déclarées parmi eux. C’est que, cette année-là, l’été est pourri. Le froid et la pluie sapent le moral du groupe. Des mutineries éclatent, vite réprimées. En deux mois, sept Congolais meurent de maladie et sont enterrés à la hâte, dans la fosse commune des prostituées et des malades mentaux, sous les huées de la population locale. Les organisateurs de l’expo tentent d’étouffer l’affaire. Mais la presse laïque réclame le départ anticipé des Congolais et des interpellations ont lieu au Parlement. Le 1er septembre, les rescapés sont renvoyés dans leur pays. C’est le soulagement pour les autorités belges.

De ce séjour, il ne reste que sept tombes anonymes, aménagées en 1950 au cimetière de Tervuren. Pour briser l’amnésie, Francis Dujardin a réalisé un documentaire émouvant sur ces Congolais, victimes d’un système qui les dépasse. Témoignages, images d’archives, photos, extraits de journaux d’époque viennent enrichir le film, primé aux Festivals de Genève et de Bruxelles, et enfin diffusé « en clair » sur la deuxième chaîne de la RTBF. Boma-Tervuren, le voyage réhabilite aussi la mémoire des morts de 1897. On y voit quelques-uns de leurs compatriotes revenir sur les lieux, cent ans plus tard, pour accomplir le rituel de la terre, le rapatriement symbolique des corps, et interpeller les Blancs d’aujourd’hui sur l’incroyable épisode du zoo humain de Tervuren.

Boma-Tervuren, le voyage (une coproduction Cobra Films, RTBF, VRT, Communauté française, Triangle 7) est diffusé sur la Deux le 15/12 à 20 heures, le 19/12 à 23 heures et le 22/12 à 10 heures.

Olivier Rogeau

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