Henry-Jean Gathon, professeur d'économie des transports à l'ULiège. © Jean-Louis Wertz

« Le transport aérien n’a pas dit son dernier mot »

Le principe du pollueur-payeur n’est pas près de faire la loi dans le ciel, estime Henry-Jean Gathon, professeur d’économie des transports (ULiège). Plutôt que taxer le passager, taxer l’avion par une redevance au décollage serait déjà un premier pas.

Taxer les billets d’avion sur les vols de courte distance, est-ce une avancée vers un ciel mieux préservé?

Je dirais oui pour peu que la mesure soit bien conçue et qu’elle aille jusqu’au bout de sa logique. Pour peu, donc, que le montant soit suffisamment dissuasif. Encore que taxer un billet d’avion, peu importe que cet appareil soit plus ou moins polluant ou plus ou moins bruyant, ne change finalement pas grand-chose au problème auquel on prétend vouloir s’attaquer. Je parlerais davantage d’une mesurette que d’une mesure, vu sa portée avant tout symbolique. Cela étant, faire admettre que l’on taxe le voyage aérien est déjà en soi un fait, une façon de signifier au secteur que c’est peut-être pour lui le début de la fin d’un régime d’exception et que d’autres mesures de nature fiscale pourront suivre.

Taxer le kérosène dans l’Union européenne, c’est s’exposer à voir les avions aller faire le plein en Angleterre ou en Suisse.

En quoi le transport aérien fait-il donc exception?

Par le fait que ce n’est ni le producteur ni le consommateur qui supportent les coûts externes de son activité, engendrés par la pollution de l’air, les émissions de CO2 ou les nuisances sonores, mais bien le reste de la collectivité. Le transport aérien bénéficie ainsi d’une anormalité qui le met toujours à l’abri d’une fiscalité sur le kérosène. Ses activités polluantes devraient être taxées. Nous sommes confrontés à trop de déplacements par avion dont les gains pour la société sont inférieurs aux coûts.

Est-ce une situation vraiment singulière dans le monde des moyens de transport?

Elle l’est par rapport au transport routier soumis à des taxes à l’utilisation, comme les accises et la TVA sur les carburants. En revanche, le transport maritime international emploie, lui aussi, un carburant non taxé.

Comment expliquer un tel traitement de faveur?

Ce régime remonte à l’époque où le transport aérien était une industrie naissante que les Etats, souvent aux commandes des compagnies aériennes (Air France, Sabena, Lufthansa, etc.), voulaient favoriser dans un contexte où les préoccupations environnementales étaient quasi inexistantes. Le secteur a ainsi pu bénéficier du principe qu’un Etat, au travers de sa compagnie aérienne, n’allait pas taxer un autre Etat. Un changement de régime supposerait la révision d’une série de conventions internationales.

Que peut faire la Belgique pour relever ce défi?

Ce défi ne peut être relevé par un pays en solo. Taxer le transport aérien uniquement en Belgique reviendrait à pousser les voyageurs à aller prendre l’avion ailleurs, dans un contexte de forte concurrence entre aéroports. Toute mesure doit être prise, au minimum, à l’échelon européen où l’on sait bien que le règlement des matières fiscales pose toujours problème.

Le principe du pollueur-payeur n’est donc pas près de s’imposer dans le ciel?

L’instauration d’une taxe pigouvienne (NDLR: l’économiste britannique Arthur Cecil Pigou (1877 – 1959) fut le premier à préconiser une taxe appliquée à un produit polluant), destinée à changer un comportement, soulève peu de débats. Le tout est de trouver le bon angle d’attaque, qui permette d’éviter le phénomène classique de la délocalisation des activités. Taxer le kérosène dans l’Union européenne peut inciter les compagnies aériennes à s’équiper d’appareils moins énergivores mais c’est aussi s’exposer à voir les avions aller faire le plein dans des pays hors de l’UE, en Angleterre ou en Suisse, à l’instar des automobilistes qui se rendent à la pompe au Luxembourg.

Comment taxer malin?

En taxant l’avion plutôt que le passager par l’application, assez simple, d’une redevance au décollage qui inciterait au moins les compagnies à remplir les avions et réduirait les vols à vide. Ce serait déjà ça. Mais je ne pense pas que le transport aérien ait dit son dernier mot.

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