Le temps des contestations

Le XVIe siècle ouvre une ère de bouleversements pour le christianisme : Réforme, Lumières, Marx, Nietzsche… Il est critiqué en son sein, puis rejeté dans ses principes.

Au sortir du Moyen Age, le christianisme règne sur l’Europe. Le XVIe siècle marque une première rupture. La Renaissance donne lieu à une critique en règle de la scolastique, où les arguments de fond contre la pensée médiévale cohabitent avec la satire, voire avec la raillerie. L’ouvrage le plus célèbre du prêtre et moine hollandais Erasme (1469-1536), lui, s’intitule L’Eloge de la folie. Sous la forme d’une fiction burlesque et allégorique, l’auteur y martyrise de ses traits d’ironie les théologiens, les maîtres, le haut clergé, les courtisans. Mais ce fervent latiniste et helléniste conclut son livre d’un éloge vibrant des idéaux chrétiens. Il n’est pas question, à ses yeux, de rompre avec Dieu, pas même avec Rome : Erasme récuse le schisme. Il s’est même opposé au moine Martin Luther (1483-1546), l’un des fondateurs du protestantisme.

C’est pourtant bien la Réforme qui change la face du monde chrétien, balayant une tradition de plus de mille ans. Née d’un rejet des dérives marchandes de l’Eglise catholique, elle aboutit à un véritable bouleversement de la géographie religieuse et des moeurs. Lorsqu’il placarde ses 95 thèses sur la porte de la chapelle du château de Wittenberg, en 1517, Luther dit d’abord son indignation contre le trafic des indulgences. Mais la colère luthérienne n’est que le prélude à une réinterprétation entière du dogme chrétien. Luther, initialement moine augustin, se prononce en faveur de la réduction des sacrements, mais surtout, comme les autres réformateurs – y compris les plus radicaux, tel Jean Calvin (1509-1564) – il prône un retour à une lecture littérale de la Bible, seul livre infaillible.

La réplique romaine se manifeste dans la Contre-Réforme, dont les principes sont arrêtés lors du concile de Trente, à partir de 1545. Mais le catholicisme n’y fait pas pour autant sa révolution doctrinale. Il réaffirme les sept sacrements, et n’interdit même pas l’usage si controversé des indulgences. Il se dote cependant d’un certain nombre d’ordres monastiques nouveaux destinés à reconquérir les esprits gagnés par l’hérésie protestante. Le plus célèbre d’entre eux, la Compagnie de Jésus, est créé en Espagne par Ignace de Loyola (1491-1556). Directement rattachés au Pape, les jésuites se tournent très vite vers l’enseignement et multiplient les collèges à travers l’Europe.

Le dispositif arrêté à l’issue du concile de Trente ne suffit pourtant pas à restaurer l’Eglise catholique dans son intégralité. Des terres et des âmes sont reconquises, mais le protestantisme est désormais implanté sous de multiples formes dans l’Europe du Nord. Sans oublier que des querelles intestines viennent encore saper une autorité qui n’a plus d’incontestable que le nom. En France, les jésuites vont subir les flèches d’un polémiste de génie. Sous le titre Les Provinciales, Blaise Pascal (1623-1662) publie une série de lettres tournant en ridicule leur casuistique. En dépit d’une diffusion à plus d’une dizaine de milliers d’exemplaires, l’ouvrage est interdit par Louis XIV. Le roi ordonne en 1660 qu’il soit déchiqueté et brûlé.

Les coups les plus rudes sont néanmoins à venir, avec la mise en cause, par les philosophes des Lumières, de l’institution ecclésiastique, puis des fondements mêmes de la croyance en Dieu. Un petit nombre d’entre eux, d’Holbach (1723-1789), ou le Diderot (1713-1784) de la Lettre sur les aveugles, va jusqu’à revendiquer son athéisme.

Au XIXe siècle, la contestation se radicalise encore. L’éclosion des socialismes, utopique ou scientifique, laisse très peu de place à Dieu et a fortiori au christianisme, relégué au rang d' » opium du peuple  » ou de  » soleil illusoire  » pour reprendre les formules célèbres de Karl Marx (1818-1883).

Restait à commettre le geste ultime, celui que Friedrich Nietzsche (1844-1900) accomplit dans Le Gai Savoir, lorsqu’il proclame :  » Dieu est mort !  » Pour mieux faire comprendre qu’à ses yeux la disparition du christianisme ouvrait la voie à un nouveau monde, le philosophe allemand citait, en exergue de son livre Aurore, ce vers d’un hymne sacré de l’hindouisme :  » Il y a tant d’aurores qui n’ont pas encore lui.  »

Pascal Ceaux

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