Le plan risqué d’Israël

Les raids israéliens sans précédent sur la bande de Gaza visent à éradiquer le Hamas de la scène politique palestinienne. Un pari douteux avant les élections anticipées de la Knesset, en février.

L’opération  » plomb durci  » a surpris tout le monde. Sa brutalité, surtout. Les journaux israéliens les mieux informés n’y croyaient pas, tant le gouvernement du Premier ministre sortant Ehud Olmert semblait affaibli. A Gaza, le Hamas n’avait même pas annulé la cérémonie prévue pour les aspirants policiers. Quarante d’entre eux, âgés d’une vingtaine d’années, ont péri sous les bombes. Des civils aussi, dont des enfants, sont tombés en pleine rue. Plus de 300 tués en trois jours de blitz. L’effroi et la surprise totale.

Pourtant, contrairement à la guerre contre le Hezbollah libanais en 2006, les frappes israéliennes contre la bande de Gaza, dès le 27 décembre dernier, ont été minutieusement préparées. Voici six mois déjà, alors que le Hamas et Israël négociaient une tahdiyeh, une trêve, le ministre israélien de la Défense, Ehud Barak, a demandé aux services de renseignement militaires de recenser, dans la bande de Gaza, les cibles du Hamas.

Officiellement, l’objectif de l’armée, qui a reçu carte blanche de la part de l’exécutif, était de faire cesser les tirs de roquettes depuis Gaza. Des tirs qui se sont accrus, il y a quelques semaines. Depuis le retrait d’Israël de la bande de Gaza, des milliers de roquettes ont été lancées en direction du sud de l’Etat hébreu : pour la plupart, des engins artisanaux Quassam, de portée inférieure à 20 kilomètres, qui ont causé essentiellement des dégâts matériels. Mais, ces derniers mois, le Hamas s’est renforcé militairement, notamment grâce à la contrebande qui passe par les tunnels entre Gaza et l’Egypte. Les Quassam ont été remplacées par des roquettes Grad et Katioucha, qui peuvent toucher des villes de plus en plus éloignées de la frontière.

Olmert et Barak, les mains libres

En réalité, au-delà de mettre fin à ce harcèlement permanent, Israël a décidé de frapper un grand coup contre le Hamas dans le but de l’éradiquer de la scène politique palestinienne. Barak l’a avoué ouvertement, après trois jours de bombardements. Massant des chars le long de la frontière, le commandement de Tsahal a d’emblée envisagé une intervention terrestre de grande envergure, si les frappes aériennes ne suffisaient pas : une autre leçon tirée de l’échec de 2006 au Libanà Olmert se défend cependant de vouloir réoccuper le territoire qu’Israël a évacué voici plus de trois ans. Il a pourtant les mains libres.

En effet, comme au début de l’offensive contre le Hezbollah, le gouvernement israélien est soutenu dans sa guerre contre le Hamas par une population quasi unanime. Même à gauche, où l’on regrette certes des frappes disproportionnées, les critiques sont très nuancées. Sauf bavure de la part de Tsahal, ce soutien massif persistera, tant le Hamas irrite l’opinion israélienne. Dans les pays voisins, les répercussions devraient être limitées. En Jordanie et en Syrie, les gouvernants conservateurs contiendront très probablement les débordements de la rue, même si les images de manifestations défileront sur toutes les chaînes de télé. Impuissante, la Ligue arabe ne volera pas au secours des dirigeants islamistes de Gaza, préférant conforter ce qui reste de pouvoir au président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas.

Quant à l’Egypte, elle est carrément accusée de complicité avec Israël : Le Caire était au courant de l’imminence de l’attaque israélienne, mais n’a pas prévenu les Palestiniens. Depuis quelque temps, le torchon brûle entre le Hamas et le président Hosni Moubarak. Le premier reproche au second de verrouiller le point de passage entre Gaza et le territoire égyptien. Or le terminal de Rafah est la seule porte de sortie pour les Gazaouis en dehors des frontières contrôlées par Israël. De son côté, Moubarak rend les chefs du Hamas responsables de l’échec de ses tentatives de médiation.

Rien à craindre non plus du côté occidental. Souvent plus critique, l’Europe s’est récemment rapprochée des vues israéliennes : à la mi-décembre, les 27 ministres des Affaires étrangères de l’UE ont voté à l’unanimité en faveur d’un  » rehaussement  » des relations avec l’Etat d’Israël, pour  » mieux influer sur le processus de paix « . Une décision préconisée par le couple franco-allemand Sarkozy-Merkel. Bref, les Européens s’en tiendront à des condamnations de circonstance. Enfin, la diplomatie américaine est paralysée par l’interrègne entre George Bush et Barack Obama. Celui-ci, qui n’a pas encore évoqué clairement la politique qu’il poursuivra au Proche-Orient, prêtera seulement serment le 20 janvier.

Le véritable enjeu est électoral

Pourquoi les Israéliens ont-ils lancé une opération aussi impressionnante ? Une grande part de l’explication vient de l’échéance électorale du 10 février prochain. Ce jour-là, les Israéliens se choisiront un nouveau parlement. Depuis plusieurs semaines, la ministre des Affaires étrangères, Tzipi Livni, qui dirige le parti Kadima au pouvoir et brigue la succession d’Olmert, chutait dans les sondages. Dans l’opposition, le faucon Benyamin Netanyahou, à la tête du Likoud, engrangeait les dividendes des tirs de roquettes palestiniennes. Tzipi Livni a poussé Olmert et Barak à accélérer les préparatifs de l’offensive. Favorable à la création d’un véritable Etat palestinien, la patronne de Kadima n’a pas d’autre choix que d’écarter le Hamas au profit de l’Autorité palestinienne, seule interlocutrice valable à ses yeux.

L’ironie de l’histoire – on ne peut l’oublier – est que c’est Israël qui a produit le Hamas, dans les années 1980. Golda Meir, alors Première ministre, a encouragé l’association islamiste de Cheikh Ahmed Yassine dans le but de contrer le Fatah, le mouvement marxiste laïque de Yasser Arafat. Une université islamique et des centaines de mosquées ont ainsi vu le jour à Gazaà En 1987, Yassine a créé le parti du Hamas sans être inquiété. Dix ans plus tard, alors que le Hamas rejetait les accords d’Oslo, Netanyahou, tout jeune Premier ministre, a libéré Cheikh Yassine pour  » raisons humanitaires « , le laissant même rentrer à Gaza où il fut accueilli en héros. Et, plus tard, n’est-ce pas Ariel Sharon qui a permis au Hamas de se présenter aux élections palestiniennes ?

Le pari actuel de l’Etat hébreu d’anéantir le Mouvement de la résistance islamique par la force est risqué. Si, militairement, le Hamas sortira probablement très affaibli de cette guerre, il pourrait se targuer d’une légitimité nouvelle au niveau politique, surtout à Gaza où la moitié de la population n’a pas 20 ans. Par ailleurs, l’armée israélienne pourrait être obligée d’ouvrir un autre front, au nord du pays. Soutenu par l’Iran, le Hezbollah chiite libanais, qui s’est réarmé depuis deux ans, dispose de 42 000 missiles et roquettes. Il attend le feu vert des autorités de Téhéran, attentistes pour le moment. Le seul espoir d’apaisement est celui d’une initiative américaine. Pour l’instant, Obama est resté ambigu sur ses intentions. On peut toutefois s’attendre de sa part à davantage de pragmatisme et de diplomatie que dans le chef de l’administration Bush. A partir du 20 janvier. l

Lire aussi l’entretien de Daniel Barenboïm page 72.

Thierry Denoël

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