Le match Moureaux-Schepmans n’est pas fini !

En mettant fin au projet de musée molenbeekois, si cher à Philippe Moureaux, la nouvelle bourgmestre Françoise Schepmans prête le flanc à la critique et montre que la succession du socialiste reste confuse.

Un an et demi après les élections communales, le match Moureaux-Schepmans ne semble pas terminé, tant l’héritage du premier est délicat et lourd à gérer. On ne tourne pas si facilement une page de la vie publique molenbeekoise longue de deux décennies, surtout avec un  » bourg-maître  » qui a imprimé, dans tous les recoins de la commune, sa marque impérieuse. Les décisions de la nouvelle maïeure libérale, qui veut à son tour se faire une place dans l’histoire locale, sont, encore et toujours, scrutées à l’aune du règne de l’ancien seigneur socialiste. Le dossier du musée communal de Molenbeek est emblématique de cette transition qui demeure douloureuse.

Voilà une belle idée qui remonte au début des années 1990 et dont Philippe Moureaux attribue, non sans malice, la copaternité à son prédécesseur libéral Léon Spiegels. Ce musée, baptisé MoMuse, est tout un programme, comme l’annonce son site Internet. Il devait devenir une vitrine du patrimoine historique de la commune en occupant une aile du bâtiment classé qui, à l’entrée de la rue Mommaerts, abrite l’Académie des beaux-arts.

Fin 2004, le collège a donné son feu vert pour la création du musée qui, unique au sein de la Région, serait susceptible d’attirer de nombreuses écoles bruxelloises. Quatre historiens ont été engagés, dont Sven Steffens de l’ULB.  » Une pointure « , selon Philippe Moureaux, lui-même historien, qui a fait jouer ses relations universitaires pour convaincre les meilleurs. Le MoMuse devait se décliner en vitrines thématiques, retraçant le passé industriel de la commune, mais aussi l’évolution géographique du village médiéval qu’était Molenbeek, ses vagues migratoires successives, ses succès sportifs, notamment avec le célèbre club de foot du Daring, plusieurs fois champion de Belgique. Les Molenbeekois ont personnellement participé à ce projet muséal en léguant de vieilles cartes postales, des photos, des tableaux, des bustes… Même le fils de Raymond Goethals, le célèbre entraîneur qui a débuté sa carrière comme gardien au Daring, a cédé des maillots et trophées de son père.

Contingences budgétaires difficiles

Aujourd’hui, le projet tombe à l’eau. Françoise Schepmans l’a annoncé sans vraiment le dire sur l’antenne de Télé-Bruxelles :  » Un musée demande du personnel, expliquait-elle au cours du reportage. Nous sommes dans des contingences budgétaires difficiles et donc nous voulons être réalistes par rapport à nos engagements.  » Une déclaration qui a surpris tout le monde, à commencer par les entreprises engagées pour la scénographie du musée et qui étaient sans nouvelle depuis des mois malgré leurs multiples courriers.  » J’ai envoyé plusieurs lettres au cabinet de la bourgmestre, sans jamais recevoir de réponse « , confirme Frans Verschatse, de la société courtraisienne Potteau dont le budget pour les vitrines d’exposition s’élève à 320 000 euros.

Cette annonce brutale, dénoncée par l’opposition lors du dernier conseil communal, a aussi étonné les observateurs de la vie communale, car, lors de la précédente législature, Françoise Schepmans, alors échevine de la Culture, gérait la gestation du musée.  » Elle avait souhaité s’en occuper, quand j’ai négocié la majorité avec les libéraux, il y a plus de sept ans, se souvient Moureaux. Mais franchement, elle ne s’est jamais décarcassée pour ce projet qui, s’il lui tenait vraiment à coeur, ne serait pas si facilement jeté aux oubliettes.  » Chef de groupe socialiste, Jamal Ikazban, regrette que  » l’abandon du musée intervienne l’année où Molenbeek a été désignée « métropole culture » de la Fédération Wallonie-Bruxelles.  »

Deux semaines après sa sortie sur Télé-Bruxelles, la bourgmestre se défend de vouloir enterrer le projet.  » Tel que conçu à l’origine, avec quatre historiens, des gardiens et du personnel de maintenance, ce musée ne correspond plus à la situation budgétaire communale actuelle, mais cela n’empêchera pas de valoriser autrement le patrimoine rassemblé. Les activités muséales continueront sous une autre forme « , assure-t-elle. Quelle forme ?  » Je ne peux pas encore me prononcer. Il est trop tôt.  » La bourgmestre a, en tout cas, demandé au service Travaux de libérer les cautions – obligatoires pour tout marché public – des entreprises participantes à la scénographie. Elle rencontrera celles-ci dans le courant de ce mois de mars.

Dans la majorité, Ecolo, qui, avant 2012, avait souvent interpellé le collège sur l’avancement du musée, soutient désormais Françoise Schepmans.  » On a peut-être péché par trop d’ambition par le passé sans s’inquiéter de savoir si un tel projet pouvait tenir la route sur le long terme « , déclare l’échevine Sarah Turine qui considère, elle aussi, qu’un musée n’a pas besoin d’un lieu permanent pour exister. Pour Jamal Ikazban, tout cela est très flou :  » La bourgmestre s’est rendu compte qu’elle en a trop dit sur Télé-Bruxelles. Elle tente aujourd’hui de noyer le poisson maladroitement.  » Parmi les entreprises liées au MoMuse, on fait remarquer que, quand on lance un tel projet, il est suicidaire de ne pas prévoir un plan financier pour son fonctionnement. Et de souligner que, même si Moureaux tenait fermement les rênes communales, Schepmans était tout de même échevine de la Culture…

A Molenbeek, d’aucuns pensent que la bourgmestre a profité du coup d’arrêt accidentel de juillet 2012 pour ensevelir le musée, un des  » bébés  » de Moureaux. A cette époque, le nouveau faux plafond de la salle d’exposition s’est effondré. Depuis lors, deux entreprises se rejettent la responsabilité des dégâts. On attend toujours l’arbitrage de l’expert judiciaire pour déblayer les lieux. Quant à l’argument financier, le musée a déjà coûté une belle somme d’argent. Si l’on compte le salaire des historiens, près de 1,5 million d’euros auraient déjà été dépensés. Mais, pour la bourgmestre, les historiens, dont deux ont été mutés au service Population fin 2012, ont été engagés pour l’administration communale centrale. On ne doit donc pas les reprendre sur le budget muséal…

Par ailleurs, qu’adviendra-t-il du subside de 500 000 euros accordé par la Communauté française, dont près de la moitié a déjà été perçu. Faudra-t-il rembourser ? Et quid des entreprises contractuelles au marché public ?  » Nous allons demander une fin de mission et des indemnités à la commune, annonce Yves Amand de la société graphiste Kascen. On ne veut se fâcher avec personne, mais il faut se rendre compte que nous étions désignés pour trois lots, ce qui suppose de mettre une équipe en stand-by.  » La société Potteau, elle, a déjà construit les vitrines qu’elle stocke depuis des mois dans ses entrepôts.

Enfin, quid des objets récoltés auprès de la population ? Les légataires ne voudront-ils pas récupérer leurs biens, si l’idée de musée permanent est écartée ?  » J’ai confié deux pièces pour le musée. Je demanderai évidemment à les ravoir « , nous dit l’un d’eux, qui se nomme… Philippe Moureaux. Non, décidément, la succession de l’ancien shérif de Molenbeek n’est pas simple.

Par Thierry Denoël

Philippe Moureaux veut récupérer les pièces qu’il a confiées au musée

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