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Igor Tuleya, le juge insoumis (portrait)

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

La justice européenne a validé le dispositif qui permet de priver la Pologne d’argent communautaire pour atteintes à l’Etat de droit. Igor Tuleya, le juge muselé, voit dans ce tournant le seul espoir de freiner la politisation de la justice polonaise.

Lunettes noires rectangulaires, cheveux en brosse, air juvénile malgré ses 51 ans: le juge Igor Tuleya est la figure emblématique de la contestation des réformes judiciaires en Pologne. Avec d’autres magistrats polonais, il reproche au parti ultraconservateur Droit et justice (PiS) et à ses alliés, au pouvoir depuis 2015, leur ingérence dans le système judiciaire. Entrée en vigueur en mai 2020, la loi dite « muselière », dont la Commission européenne exige la suspension, interdit de facto à la magistrature polonaise toute critique à l’égard des réformes.

C’ est en vertu de cette loi que le juge Tuleya a été sanctionné par la chambre disciplinaire de la Cour suprême, un nouvel organe sujet à caution tant il est politisé et favorable au PiS. Le 18 novembre 2020, l’immunité du magistrat lui est retirée, ce qui l’expose à des poursuites pénales. Il est suspendu de ses fonctions et sa rémunération est réduite de 25%. Dès lors, Tuleya ne peut plus travailler au tribunal régional de Varsovie, ce qu’il vit mal. Sa robe de juge est remisée depuis près d’un an dans son appartement, situé à deux pas du tribunal, en plein centre-ville. Son e-mail professionnel a été bloqué et il n’a plus accès aux dossiers judiciaires. Le juge iconique se fait insulter en rue, dans les transports en commun, et est la cible de messages de haine et de menaces sur les réseaux sociaux. En septembre dernier, l’université privée Kozminski, où il enseigne, a annulé ses cours, avant de se raviser, sous la pression d’universitaires ouest-européens.

Pour quels motifs Igor Tuleya a-t-il été suspendu et privé de son immunité? Il est accusé d’avoir dévoilé des informations « confidentielles »: en 2017, il a autorisé la présence de la presse à une audience préliminaire sur les irrégularités du vote du budget au Parlement polonais, une affaire sensible pour le PiS. Le juge insoumis se défend: il rappelle que « la procédure pénale prévoit de rendre publiques les audiences » et que lui-même n’a « rien révélé, lors de cette audience, que ne savait déjà l’opinion publique ». Sa mise à l’écart est politique, assure-t-il.

Son seul espoir est que le pouvoir polonais finisse par reculer sous la menace de sanctions pécuniaires européennes. Pendant plus de cinq ans, les sommations des institutions communautaires face aux mesures liberticides du gouvernement polonais n’ont pas fait plier Varsovie. La procédure d’infraction enclenchée en 2017 pour « violation grave » des valeurs européennes non plus. L’astreinte d’un million d’euros par jour imposée à la Pologne pour ne pas avoir mis fin aux activités de la chambre disciplinaire est restée impayée. Pour couronner le tout, le tribunal constitutionnel polonais, institution étroitement contrôlée par le pouvoir, a, le 7 octobre dernier, remis en cause la primauté du droit européen sur le droit national.

Une décision pourrait néanmoins faire bouger les lignes: la Cour de justice de l’Union (CJUE) a validé, le 16 février, le nouveau dispositif qui permet à la Commission européenne de priver d’argent communautaire un pays dans lequel sont constatées des violations de l’Etat de droit. Si la mesure est activée, la Pologne perdra une partie des fonds du budget pluriannuel et des aides du plan de relance postpandémie. Tuleya voit dans cette volonté de frapper Varsovie au portefeuille la dernière chance de réduire la politisation de la justice polonaise.

Dates clés

  • 1970: Naissance, à Lodz.
  • 2010: Juge au tribunal régional de Varsovie.
  • 2015: Entre en résistance contre la réforme de la justice du pouvoir ultraconservateur.
  • 2020: Relevé de ses fonctions et privé de son immunité.
  • 2021: Ses cours à l’université sont suspendus, puis rétablis.

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