» La récession américaine est inévitable « 

George Soros avait dévoilé sa Vérité sur la crise financière en avril aux Etats-Unis. Le gourou des marchés précise pourquoi, selon lui, le pire est peut-être à venir.

Dans votre livre, vous affirmez que les Etats-Unis ne pourront pas éviter la récession. Pourtant, l’économie américaine semble tenir le choc…

E En apparence seulement. La baisse du dollar a été très marquée depuis le printemps, ce qui a temporairement limité les effets de la crise financière sur l’économie américaine, en dopant les exportations. Cela au détriment du reste du monde, notamment l’Europe et la Chine, qui ont été plus touchées que je ne le prévoyais par le ralentissement. Mais il ne faut pas se bercer d’illusions. La récession aux Etats-Unis est inévitable, même si elle arrive plus lentement qu’attendu. Tous les effets de la crise financière ne se sont pas encore fait sentir.

Le pire serait donc encore à venir ?

E J’en ai peur. La situation risque de se détériorer. Les banques centrales ont beau avoir injecté des liquidités, les flux financiers vers l’économie réelle restent très perturbés. La méfiance règne entre les établissements financiers. Les doutes sur la solvabilité des uns et des autres sont loin d’avoir disparu, ce qui affecte leur capacité à se prêter de l’argent et donc à offrir du crédit. Cette peur de l’avenir se traduit aussi par un besoin de reconstituer leurs fonds propres, pour faire face à d’éventuelles pertes. La dislocation du système financier est encore plus importante que je le pensais. Pour la première fois depuis les années 1930, il est au bord de la rupture.

Comment en est-on arrivé là ?

E Il faut remonter au début de la décennie. Alan Greenspan, alors président de la Réserve fédérale, porte une lourde responsabilité. Sa décision de réduire drastiquement les taux d’intérêt aux Etats-Unis a été directement à l’origine de la création de la bulle immobilière. L’éclatement de cette dernière a servi de détonateur à l’explosion d’une véritable bombe atomique, que j’ai appelée la  » superbulle « . Celle-ci résulte de plusieurs tendances de long terme : l’expansion du crédit, la mondialisation des marchés boursiers, le rythme accéléré de l’innovation financière, permis par l’assouplissement continu de la réglementation depuis les années 1980… Le point commun de toutes ces tendances, c’est l’excès de confiance dans les mécanismes du marché de la part des banques et des investisseurs.

Tout est donc de leur faute ? Vous les assimilez à des  » cochons devant une auge « , à des  » moutons de Panurge « …

E Les acteurs du marché financier croient, comme l’enseigne la théorie économique, que les marchés tendent naturellement vers l’équilibre de l’offre et de la demande, et que les déviations par rapport à cet équilibre sont le fruit du hasard. Ils pensent aussi qu’ils disposent d’une information complète. Toute leur appréciation des risques est fondée sur ces hypothèses. Or elles sont fausses ! L’économie et la finance ne sont pas des sciences exactes, le facteur humain y joue un rôle fondamental et l’homme, par définition, commet des erreurs… Ces erreurs, ces idées fausses, affectent les prix du marché, qui n’atteint jamais l’équilibre. Quand les prix montent, les marchés sont trop confiants et les acheteurs affluent, et quand les prix baissent, c’est le contraire. Voilà pourquoi, lorsqu’une bulle se forme, il n’y a aucune chance qu’elle se dégonfle en douceur. C’est ce que j’appelle le  » boom bust  » : d’abord l’expansion, longue, en accélération progressive, puis la contraction, soudaine et brutale.

Le monde de la finance a-t-il retenu la leçon ?

E Je ne le crois pas. D’autres bulles se sont formées, dans l’énergie, les produits agricoles, les matières premièresà Les marchés financiers sont exubérants par nature, et ils le resteront si on leur laisse trop de liberté. Ils ont besoin de règles.

C’est plutôt surprenant d’entendre l’inventeur des hedge funds appeler à plus de régulation…

E Attention ! je ne parle pas d’une régulation excessive, semblable à celle qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. Les régulateurs sont des êtres humains, ils se trompent, eux aussi, et en plus ce sont des bureaucrates, qui prennent leurs décisions trop lentement et sous certaines influences politiques… Mais la finance est devenue si déraisonnable qu’elle a besoin de contrôle, sans pour autant entraver l’activité économique. C’est aux banques centrales qu’incombe cette responsabilité. Elles contrôlent l’offre de monnaie, mais la crise des subprimes a montré que cela n’est plus suffisant : elles doivent aussi contrôler l’offre de crédit. De plus, les normes prudentielles gravent dans le marbre le montant minimum des réserves que doivent détenir les banques : c’est une erreur. Il faut pouvoir l’ajuster régulièrement aux humeurs du marché. De façon générale, les règles doivent évoluer afin de contrebalancer les excès du marché.

Vous évoquez assez peu l’Europe dans votre livre. Quel est votre diagnostic ?

E Il n’y a pas eu autant d’excès en zone euro qu’aux Etats-Unis. Mais il existe d’autres problèmes… Je pense notamment à l’attitude de la Banque centrale européenne (BCE) et à l’influence des syndicats. En Allemagne, ceux-ci militent pour des augmentations de salaires très élevées, de l’ordre de 7 % ! Cela risque d’alimenter encore plus la hausse des prix. Or l’inflation est justement le seul sujet dont se préoccupe la BCE. Elle va donc maintenir ses taux d’intérêt élevés, ce qui va affecter la consommation et entretenir la surévaluation de l’euro. Ce qui pourrait bien provoquer la récession en Europe aussi.

La Vérité sur la crise financière, George Soros, Denoël, 216 pages.

Propos recueillis par Thomas Bronnec

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