La N-VA, de fracas en tracas

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Coucou, les revoilou. Le retour en fanfare de Bart De Wever et de sa formation nationaliste flamande annonce un joli raffut sur la scène communautaire. La Flandre risque peu d’y puiser des raisons de modérer ses appétits.

Comprenne qui pourra. C’est bien souvent à l’insu de leur plein gré que 13 % d électeurs flamands auraient plébiscité un parti, la N-VA, qui fait de la fin de la Belgique sa principale raison d’être. Politologue à l’université d’Anvers, Dave Sinardet en est intimement convaincu, sur foi notamment d’une étude interuniversitaire réalisée avant le scrutin régional de juin, et qui attestait ceci :  » Moins de 10 % de la population motivera son choix électoral pour des raisons communautaires.  » L’expert universitaire est allé vérifier les faits sur le terrain, au lendemain des élections, aux côtés d’un confrère du Soir. Direction Kontich, un coin de terre anversoise qui a massivement déclaré son amour pour les nationalistes flamands de Bart De Wever. L’homme, il est vrai, jouait à domicile. Mais de là à conquérir le leadership politique dans le canton…. Or  » beaucoup de gens qui ont voté N-VA ignoraient la dimension séparatiste de ce parti. Certains s’en effrayaient quand on les informait de la chose, d’autres refusaient même de le croire.  » Qu’on se le dise : voter pour un parti n’implique nullement qu’on adhère à ses mobiles les plus profonds. D’autant que, cette fois, en crevant l’écran flamand lors du jeu télévisé De slimste mens ter wereld, la star De Wever avait brouillé les cartes en sa faveur. Et puis, la N-VA avait retenu la leçon en prenant soin d’éluder son credo indépendantiste :  » Les nationalistes flamands ne se sont pas profilés comme des séparatistes dans leur campagne électorale.  »

Il reste que les résultats issus des urnes régionales sont là. Ils donnent au mouvement nationaliste flamand une envergure que le politologue de la KUL Bart Maddens qualifie de proprement historique. 15,3 % des voix pour le Vlaams Belang, 13,1 % à la N-VA :  » Jamais les partis de la famille nationaliste flamande n’ont séduit autant d’électeurs flamands.  » Ni le Vlaams Nationaal Verbond dans l’entre-deux-guerres, ni la VU à son âge d’or, au début des années 1970, n’étaient parvenus à capter 28,4 % des voix flamandes. Et le politologue d’additionner en outre les 7,6 % de voix glanées par la Lijst Dedecker et le 1,1 % d’électeurs attirés par le petit SLP, successeur de Spirit, pour en conclure que 37,1 % des suffrages de la Flandre se sont portés sur des partis explicitement flamingants.  » Monsterscore « , commente Bart Maddens. Voilà qui ne va pas inverser la marche résolue de la Flandre vers plus d’autonomie. Ni entamer sa détermination à prendre au plus vite son propre destin en main. Au sein de la Belgique, si possible. En dehors, s’il le faut…

Les palpitations du CD&V

Autant dire que le contentieux communautaire va opérer un fracassant retour en force. Avec, au c£ur de l’écheveau à démêler entre francophones et flamands, cette N-VA revigorée. Qui, dans tous les cas de figure, promet de donner du fil à retordre.  » Son score électoral pèse lourd et va poser question « , confirme Vincent de Coorebyter, directeur du Crisp.  » La belle progression de la N-VA, que l’on peut mettre en parallèle avec celle d’Ecolo dans le sud du pays, lui donne en tout cas la légitimité pour effectuer son retour au gouvernement flamand.  » Les nationalistes flamands en feront-ils usage pour franchir le pas, pour autant qu’ils y soient invités par le formateur Kris Peeters (CD&V) occupé à échafauder une coalition ? Ce ne serait pas la voie de la facilité, sur le plan communautaire.  » Vu la logique flamande de confier au gouvernement régional, donc aux partis qui y siègent, le soin de piloter le dialogue inter-institutionnel, y intégrer la N-VA reviendrait à agiter un chiffon rouge sous les yeux des francophones « , considère Vincent de Coorebyter. Qui ne se hasarde pas à un quelconque pronostic sur le bienfait ou non de frotter les nationalistes flamands à la réalité du pouvoir. Et donc à la nécessité du compromis :  » La N-VA peut tout aussi bien faire échouer le processus de négociations communautaires par son radicalisme, que faire preuve de la loyauté qu’implique toute participation gouvernementale.  » Le CD&V en a des palpitations, à peser ainsi le pour et le contre :  » Ce parti détient la clé, car il connaît mieux que personne la façon de gérer son ex-partenaire de cartel.  » Danger. Entre l’allergie plus ou moins dissimulée à la N-VA que manifeste la vieille garde du parti, toujours bien incarnée par le Premier ministre Herman Van Rompuy et ses prédécesseurs Jean-Luc Dehaene et Wilfried Martens ; entre les silences d’un Yves Leterme, le père fondateur du défunt cartel avec la N-VA qui en conserve une nostalgie certaine, à l’instar d’une foule d’autres élus CD&V ; entre les calculs du duo formé par le ministre-président sortant Kris Peeters et la présidente du parti Marianne Thyssen ( lire aussi p. 36) : la grande famille des démocrates-chrétiens flamands pourrait se déchirer sur le sort qu’il convient de réserver à l’encombrante N-VA, passée maître dans l’art de souffler le chaud et le froid quand il s’agit de l’avenir du pays.

La tactique du pourrissement

Ainsi, avant de faire prudemment marche arrière, Bart De Wever y avait été d’un brutal avertissement, à l’intention des francophones :  » Plus une goutte à tirer de la tétine fédérale tarie !  » Il a évoqué, entre autres amabilités,  » une mise sous curatelle de l’Etat fédéral « . Ces mâles propos, tenus dans l’euphorie de la victoire, trouvent leur inspiration dans une doctrine baptisée  » Maddens « . Le politologue de la KUL qui en revendique la paternité, dévoile l’arme imaginée pour soumettre enfin les francophones aux volontés de la Flandre :  » D’un point de vue flamand, le chantier de la réforme de l’Etat a échoué devant le refus francophone. Or la position flamande de négociations est encore plus faible qu’après le scrutin fédéral de juin 2007, où il aurait été possible de bloquer la formation du gouvernement fédéral. Aujourd’hui, je ne vois pas ce qui amènerait les francophones à négocier sérieusement. Si ce n’est en pratiquant l’attentisme.  » En clair :  » Nous prenons les francophones au mot. Ils ne sont demandeurs de rien ? Nous non plus. Mais nous ne cédons plus rien.  » Utilisation maximale des compétences régionales (pour instaurer une allocation familiale complémentaire, en guise d’embryon de Sécu flamande) ; usage plus intense du mécanisme de conflit d’intérêts pour contrarier des initiatives du niveau fédéral ; blocage du refinancement de la Région bruxelloise ; refus de secourir un budget fédéral en fâcheuse posture : cette panoplie de mesures, dont certaines ont déjà été activées avec modération par le gouvernement flamand sortant, viserait à réduire à la mendicité des francophones désargentés. Et de les forcer ainsi à lâcher du lest à la Flandre. Annonciatrice, sous ses formes les plus extrêmes, d’une dangereuse déstabilisation de l’Etat, cette stratégie de pourrissement est officiellement réprouvée par les formations politiques traditionnelles flamandes. Y compris au CD&V, peu désireux de rendre infernale la vie de son Premier ministre Herman Van Rompuy. Mais si la patience de la Flandre devait atteindre ses limites, la tentation de passer à l’acte pourrait faire tache d’huile.

Vient de paraître :  » Les discussions communautaires sous les gouvernements Verhofstadt III, Leterme et Van Rompuy « , Serge Govaert, Courrier hebdomadaire du Crisp n° 2024-2025.

PIERRE HAVAUX

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