La cible Sarkozy

L’ex-chef de l’Etat pourrait bientôt être entendu par les juges qui cherchent à savoir s’il n’a pas bénéficié de l’argent de la milliardaire, à titre politique ou personnel. Pour l’heure, les preuves manquent.

Objectif Nicolas Sarkozy. L’ancien président de la République est désormais dans la ligne de mire des juges d’instruction chargés, à Bordeaux, de l’enquête sur d’éventuels abus de faiblesse dont aurait été victime la milliardaire Liliane Bettencourt. Plusieurs proches collaborateurs de Nicolas Sarkozy ont été entendus par la police, le 2 octobre, à Paris. Les enquêteurs cherchent à établir un lien entre des remises d’argent liquide à l’héritière du groupe L’Oréal et le financement de la campagne présidentielle en 2007. C’était déjà le but des diverses perquisitions conduites au début de l’été. Elles avaient abouti à la saisie de plusieurs agendas de l’ex-chef de l’Etat.

Tout commence le 3 juillet. La veille, Nicolas Sarkozy et son épouse, Carla, sont partis en vacances au Canada. A 6 h 45, trois juges d’instruction, accompagnés d’une escouade de policiers, se présentent au domicile du couple situé dans une rue discrète du XVIe arrondissement de Paris. Le sous-sol, le rez-de-chaussée et le premier étage sont visités, soit un bureau, deux chambres, une salle de musique et la lingerie.

A 9 h 30, une deuxième opération est diligentée dans les locaux mis à la disposition de l’ex-président après son départ de l’Elysée. Ses bureaux et ceux de son directeur de cabinet, l’ancien préfet de police de Paris Michel Gaudin, sont visés.

A chaque  » étape « , Nicolas Sarkozy est alerté par téléphone et désigne, depuis le Canada, une personne pour accompagner les enquêteurs. A 13 h 30, juges et policiers débarquent ainsi au cabinet d’avocats dont l’ancien hôte de l’Elysée est l’associé. Même le domicile de sa secrétaire, à Neuilly, fera l’objet d’une visite.

Au total, huit scellés sont constitués ce jour-là. Selon nos informations, ils contiennent des agendas (de marque Hermès) des années 2007 à 2009, un agenda électronique, des répertoires téléphoniques, ainsi que des chemises de couleur saumon.

L’instruction a d’ores et déjà établi que des sommes importantes, provenant des comptes suisses de la famille Bettencourt, avaient été acheminées en France en plusieurs versements en 2007 (deux fois 400 000 euros), mais aussi en 2008 (deux fois 1 million d’euros) et en 2009 (trois fois 400 000 euros). Les juges semblent aujourd’hui convaincus qu’une  » partie de ces sommes était destinée in fine à Nicolas Sarkozy « , comme ils l’écrivent dans la procédure.

Plusieurs éléments peuvent, selon eux, étayer leur hypothèse. A commencer par les rencontres de l’intéressé avec les Bettencourt. Le candidat de l’UMP s’était en effet rendu, le 24 février 2007, au domicile d’André Bettencourt, à Neuilly, pour un bref rendez-vous. Puis, une fois élu, il avait convié son épouse, Liliane, à l’Elysée, le 5 novembre 2008.

Deuxième élément avancé par l’enquête : les juges veulent comparer les transferts d’argent des Bettencourt provenant de Suisse avec des rendez-vous inscrits dans l’agenda électronique de l’ancien président.  » Ce document doit être confronté avec les dates de versements de fonds par la Cofinor « , indiquent-ils dans la procédure, en référence à la société ayant assuré les transferts de fonds. Une partie de l’argent aurait en effet été remise par Patrice de Maistre, alors homme de confiance de Liliane Bettencourt, à Eric Woerth, trésorier de l’UMP et de la campagne présidentielle, au bénéfice du candidat Sarkozy. Cependant, à ce jour, aucune preuve matérielle de remise d’espèces ne figure dans le dossier.

Du coup, l’instruction semble vouloir explorer une autre piste : celle d’un enrichissement personnel de l’ancien chef de l’Etat. Les juges paraissent en avoir le soupçon, comme l’illustre cette question posée à Eric Woerth lors de sa dernière audition :  » Si vous continuez à soutenir n’avoir jamais reçu d’argent […] peut-on en déduire que M. de Maistre a remis cet argent à des fins personnelles à Nicolas Sarkozy ?  » Ce dernier aurait-il pu ainsi être le destinataire d’une partie de l’argent venu de Suisse en 2008 ? Là encore, aucun élément matériel n’a pour l’instant confirmé cette hypothèse.

Les juges auront probablement l’occasion d’évoquer ces différentes questions avec Nicolas Sarkozy lui-même. A leurs yeux, rien n’interdit plus son audition, au moins à titre de témoin.

PASCAL CEAUX ET JEAN-MARIE PONTAUT

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