La campagne est ouverte

Maillon central des coalitions présentes et à venir, le PS serait-il également devenu le corps mou de l’Etat? Elio Di Rupo, entre sérénité et agacement, défend son « parti de coureurs de fond ». Il raille le « mouvement » libéral, crosse Ecolo et dit sa méfiance des partis flamands. Entretien

Le Vif/L’Express: Le PS est favorable à étendre le droit de vote aux communales à tous les résidents étrangers. Mais, dès la semaine prochaine, au Sénat, votre parti risque de devoir baisser pavillon. Les libéraux flamands du VLD sont opposés à ce droit de vote. Et Louis Michel (PRL) a proposé de reporter le débat parlementaire. Un rude échec pour vous, non?

Elio Di Rupo: A l’image de nos parlementaires, qui sont très actifs, nous soutenons cette revendication légitime depuis longtemps. Pour soulager le VLD, Louis Michel a effectivement émis le souhait qu’on ne vote pas maintenant. Dès lors, que fallait-il faire? Provoquer un incident politique et faire tomber le gouvernement? Le PS ne peut pas se le permettre pour chaque dossier difficile, au risque de perdre sa crédibilité. Plus fondamentalement, cela donnerait des arguments à tous les poujadistes et à tous les extrémistes du pays, qui auraient ainsi l’occasion de s’exprimer sur ce sujet délicat. Susciter une crise politique sur le droit de vote, ce serait rendre le plus mauvais service possible à toutes les forces progressistes du pays.

En attendant, le dossier sera vraisemblablement enterré. Parce que le parti du Premier ministre – le VLD – craint de faire les choux gras du Vlaams Blok…

Le VLD se trompe de stratégie: on ne combat pas l’extrême droite en refusant le vote aux étrangers. C’est plutôt courir le risque de donner des arguments tactiques au Vlaams Blok. Quoi qu’il en soit, le PS arrivera à ses fins. Le droit de vote aux étrangers est inscrit dans les astres. Il est inéluctable. Aujourd’hui, il y a un engagement politique définitif à voter ce texte avant les élections communales de 2006.

Entre Flamands et francophones, les divergences de vues semblent à nouveau profondes. Chaque dossier important provoque un affrontement communautaire. Le gouvernement serait-il en sursis?

Au nord du pays, les forces centrifuges sont sourdes – plus sourdes qu’à l’époque du ministre-président Luc Van den Brande, qui faisait dans le symbolique – mais vigoureuses. Si le gouvernement flamand envoie un commissaire spécial à Wezembeek-Oppem, nous créerons un véritable incident. Le contentieux communautaire empoisonne de nombreux dossiers, au quotidien. Il est, aussi, très dangereux: dès qu’on crée des divergences économiques et sociales, on risque l’éclatement du pays. Dangereux aussi: les responsables politiques ne maîtrisent plus les différents rouages. Seuls les présidents de parti ont encore une vue d’ensemble.

Et entre membres de la coalition, on se parle? Ce gouvernement ne semble pas être un modèle de cohésion…

L’arc-en-ciel se porte plutôt bien et ses résultats sont honorables, notamment grâce aux conditions économiques favorables des deux premières années de la législature. Mais, après le retournement conjoncturel, le gouvernement n’est pas tombé! Du côté francophone, les moteurs de l’action politique sont tour à tour les socialistes et les libéraux. Mais ce n’est pas pour ça qu’il y a un « axe » PS-PRL. Dans un régime de coalition comme le nôtre, on peut n’aimer personne et quand même être amené à s’entendre…

Malgré la présence au pouvoir conjointe du PS et d’Ecolo, l’axe de gauche ne s’est pas réellement affirmé. N’avez-vous pas loupé l’occasion de peser davantage face aux libéraux?

Dans ce gouvernement, les influences et les rapports de force sont variables. Avec les écologistes, nous avons des convergences de vues sur le terrain socio-économique et sur certains sujets environnementaux. Sur d’autres terrains, c’est plus compliqué. Le problème, c’est que pendant plus de deux ans, Ecolo est resté muet au gouvernement. Aujourd’hui, cela va un peu mieux: le secrétariat fédéral semble avoir repris un peu les choses en main. Mais on ne peut pas mettre Ecolo et mon parti sur le même pied: les écologistes restent divisés entre un courant progressiste – avec qui je n’ai pas de problème – et un courant conservateur et dogmatique.

Quelle est la marque de fabrique de l’arc-en-ciel? Qu’est-ce qui le différencie du gouvernement précédent, composé de socialistes et de chrétiens?

Le refinancement des Communautés aurait été impossible sous le gouvernement précédent: l’affrontement aurait mené à l’éclatement du pays! En ce qui concerne la légalisation du cannabis, la dépénalisation de l’euthanasie ou le mariage des homosexuels, notre cheminement éthique était impensable il y a cinq ans. En outre, nous avons consolidé les mécanismes de financement de la sécurité sociale et dégagé des moyens importants pour les soins de santé.

Le gouvernement Dehaene avait pour seul objectif de forcer l’accès à la zone euro: ses priorités étaient socio-économiques. La coalition actuelle s’occupe de la qualité de la vie.

Le PRL-FDF-MCC se mue en « mouvement ». Cela remue de l’air et menace vos positions: l’espoir des libéraux est de grappiller des voix et devenir ainsi le premier parti au sud du pays.

Tout le monde vient « pêcher » dans la même partie de l’échiquier politique. C’est logique: sociologiquement, la partie francophone du pays a le coeur à gauche. Les chantres du libéralisme lui ont successivement accolé l’adjectif « social », puis « public ». Aujourd’hui, la « fédération » devient un « mouvement ». Mais où est la valeur ajoutée? Il ne suffit pas de rebaptiser une carpe en lapin. L’important, c’est le contenu…

Bref, tout cela ne vous inquiète pas?

Le PS est un parti de coureurs de fond, qui n’est pas resté inactif. Nous avons patiemment rénové nos structures, modifié notre fonctionnement, corrigé notre image. Nous nous sommes ouverts à des associations, à d’autres partis, à des personnalités de tous bords, y compris des catholiques. Notre parti a fait mouvement avant l’heure. Notamment en adaptant ses règles d’éthique interne.

Le retour de Guy Coëme – après celui de Guy Mathot – va-t-il dans le sens d’une plus grande éthique politique?

Mais de quoi me parlez-vous! Si vous vous êtes déplacés pour me parler de Guy Coëme, ce n’était pas la peine! D’une part, cet homme a été condamné. Il a payé. De l’autre, je ne peux pas interdire les votes à bulletins secrets dans les fédérations et les sections locales. Je n’ai rien à ajouter.

A quinze mois, au maximum, des prochaines élections, le PS – leader en Wallonie – se profile actuellement comme le maillon central des prochaines coalitions. Serait-il « la » force tranquille? Ou le corps mou de l’Etat, comme naguère le CVP?

Il suffit de considérer notre influence sur plusieurs réformes fondamentales, qui concernent l’école, l’emploi ou les institutions, pour comprendre que certains « corps mous » – comme vous dites – n’atteindront jamais ce degré de dureté.

Vous seriez prêts à rempiler sans les socialistes flamands du SP.A?

Oui. Nous ne sommes pas liés au SP.A. Mais je ferai tout ce que je peux pour qu’il soit au gouvernement avec nous. Sans lui, ce serait très difficile.

Plusieurs élections figurent d’ores et déjà à l’agenda de la prochaine législature. Les régionales en 2004, les communales en 2006: des échéances minées?

Vous avez raison: la prochaine législature sera empoisonnée. Il faudrait réorganiser les calendriers électoraux à l’avenir, car il n’est pas bon d’être en campagne électorale permanente. Quoi qu’il en soit, sur le plan communautaire, des flambées irrationnelles peuvent se produire à tout moment. Cela ne va pas s’arranger avec le temps.

Il y a belle lurette que le séparatisme n’est plus tabou. En quoi les risques seraient-ils plus grands aujourd’hui?

Le nord du pays dispose d’importants moyens financiers, mais il n’a pas les compétences suffisantes pour les dépenser. La suite du scénario est donc logique, si on regarde les choses par le petit bout de la lorgnette: la Flandre ne cessera d’essayer d’empiéter sur les compétences fédérales. Imaginez qu’aujourd’hui, déjà, d’aucuns réclament des conventions collectives de travail différentes d’une Région à l’autre! Des gouverneurs de province, des ministres, des partis politiques – le VLD comme le CD&V – entretiennent la dynamique. Celle-ci conduit tout simplement à la division du pays.

Vous avez été vice-Premier ministre de 1995 à 1999. A l’époque, aussi, les relations entre Flamands et francophones étaient tendues.

Du côté flamand, la donne a changé. Le Nord a toujours fait entendre haut et fort ses revendications. Mais, jusqu’il y a peu, les contacts entre présidents de parti étaient plus fluides, et l’ex-CVP, alors au pouvoir, se chargeait de rétablir l’ordre dans la maison quand il le fallait. Aujourd’hui, le courant ne passe plus aussi bien au sein des partis flamands. Même au SP.A, certains francs-tireurs s’agitent en dépit du bon sens, sans être rappelés à l’ordre.

Quel sera le bulletin de santé des francophones au moment des élections?

La Wallonie revient de loin, mais réalise aujourd’hui de gros efforts de redressement. Je suis plus pessimiste pour ce qui est de la Communauté française. Si elle gaspille les moyens financiers obtenus lors de la dernière réforme de l’Etat, elle se retrouvera en mauvaise posture dans cinq ou sept ans. Et pareille opportunité de refinancement ne se présentera pas une seconde fois! Si le PS se maintient au pouvoir après les prochaines élections législatives, il réduira le nombre de ministres à la Communauté française ( NDLR: ils sont au nombre de huit aujourd’hui) et il mettra fin à l’émiettement des compétences en matière d’enseignement ( NDLR: actuellement réparties entre trois ministres).

Un Premier ministre francophone et libéral, c’est un rêve éveillé?

Il serait logique et naturel qu’un jour, cette responsabilité incombe à nouveau à un francophone. Mais, pour cela, il faudrait que les principaux partis flamands subissent, ensemble, un revers électoral et que, inversement, un parti francophone sorte grand vainqueur des urnes. On peut toujours rêver. Cela dit, si ce scénario se réalisait, rien ne dit que le Premier ministre serait libéral. Il pourrait l’être, oui. Mais pas nécessairement…

Entretien: Isabelle Philippon et Philippe Engels

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