L’or papier

Les bandes dessinées sont les nouvelles actions. Mais un bon investissement dans Tintin est difficile, ne fût-ce parce que les albums rares sont passés maintes fois entre les mains de tous les lecteurs de 7 à 77 ans.

Lorsqu’on sait que les prix des premières planches en noir et blanc des albums de Tintin ont décuplé au cours des dix dernières années, et qu’aux enchères des éditions similaires atteignent des prix de plus en plus élevés, Tintin a toutes les apparences d’un placement solide, ne fût-ce que parce que les premières éditions d’avant-guerre se font de plus en plus rares. Les Editions Casterman (et en première instance les Editions du Petit Vingtième) en ont, en effet, imprimé de petits tirages. En 1939, il s’en est fallu de peu pour que Tintin disparaisse totalement du marché. Casterman avait constaté, en effet, qu’il ne vendait pas 300 exemplaires à un public qui avait à peine entendu parler du jeune reporter.

L’an dernier à Bruxelles, une édition originale de Tintin au pays des Soviets de 1930 a atteint 26 400 euros, tandis qu’un exemplaire des Cigares du pharaon de 1934 fut adjugé lors de la même vente pour 19 200 euros. Cette année, un Tintin au Congo de 1931 a changé de main à Paris pour 72 600 euros. Une première impression des albums en couleurs, dont on trouve un bien plus grand nombre sur le marché, se paie en moyenne 400 euros. Certains libraires-antiquaires en demandent 2 400 euros. Généralement, une édition originale en français vaut bien davantage qu’un exemplaire dans une autre langue.

La valeur dépend en grande partie de l’état des albums. Les albums de Tintin diffèrent des premières éditions d’auteurs comme Marcel Proust, qui atteignent, elles aussi, des sommes considérables, car ils sont généralement couverts de traces de doigts et de traces de lecture intensive : pages encornées et taches de café occasionnées lors des petits déjeuners de plusieurs générations successives.

Mais attention, tous les albums de Tintin usés ne sont pas des premières impressions. Les amateurs du genre commettent souvent l’erreur de se fier à l’année indiquée dans l’album, sans regarder la couverture arrière. Or, si cette couverture fait la publicité de titres parus ultérieurement, il est évident qu’il ne s’agit pas d’une première impression, même si le marchand a pris soin d’enfermer à double tour le précieux objet dans une vitrine. Si l’amateur de Tintin a sans doute gardé un peu de la naïveté du héros de sa jeunesse, il doit bien réaliser que c’est une qualité dont les libraires-antiquaires sont totalement dépourvus. Même le bouquiniste marocain qui tient boutique au Midi connaît le prix exact de la vieille édition de Tintin que l’on trouve chez lui entre les piles de vieux Ciné-Revues. Si Tintin pouvait encore acheter une maquette de bateau au marché aux Puces de Bruxelles pour une croûte de pain (la seule fois où le lecteur a pu voir son héros dépenser de l’argent), c’est un miracle si l’on trouve aujourd’hui un vieil album d’Hergé à petit prix chez un bouquiniste ou brocanteur.

Les autres albums et illustrations d’Hergé sont également hors de prix. Un exemplaire original des Fables controversées de Robert de Vroylande, illustré par Hergé et publié en 1941 par les Editions Styx, rue de Namur à Louvain, est affiché aujourd’hui à 2 400 euros chez un antiquaire néerlandais spécialisé en BD. L’auteur, un rexiste, tué par la suite à l’instigation de Degrelle, avait affirmé que son livre passerait à la postérité grâce à Hergé, mais jamais il n’aurait pu imaginer que les illustrations en noir et blanc que lui fit Hergé prendraient autant de valeur.

Si un exemplaire porte la dédicace du maître de la ligne claire, sa valeur s’en trouve doublée. Même si Hergé n’était pas avare de dédicaces, une dédicace n’est pas l’autre. En 2006, un exemplaire de Vol 714 pour Sidney de 1968, dédicacé par l’auteur au roi Léopold III et à son épouse la princesse Lilian, fut adjugé pour 9 600 euros à Bruxelles. L’acheteur reçut en prime une carte de v£ux signée par Hergé à l’occasion de Noël. Lors d’une vente à Paris en mars 2009, l’un des trois seuls exemplaires de L’Etoile mystérieuse de 1943 a atteint 103 000 euros.

Et ne parlons pas des planches originales d’Hergé. Lors de cette dernière vente parisienne, le dessin à l’encre de Chine et au crayon de la couverture du Crabe aux pinces d’or a trouvé preneur pour 372 000 euros. En 2008, un acheteur a déboursé 764 200 euros pour une gouache qu’Hergé avait faite en 1932 pour la couverture de Tintin en Amérique.

par M. VAN NIEUWENBORGH

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