" On ne peut pas continuer à sacrifier cette population meurtrie au gré des seuls aléas politiques. " © JOHN WESSELS/belgaimage

 » L’occasion de rendre les relations plus efficaces et plus bénéfiques « 

Le politologue Dieudonné Wamu Oyatambwe juge compréhensible que, par réalisme politique et par bon sens, la Belgique renoue avec la RDC. Il espère que la bonne connaissance de la Belgique par le président Tshisekedi l’aidera à instaurer une coopération centrée sur la population.

Comprenez-vous que la Belgique fasse fi des sérieux doutes sur la régularité des élections du 30 décembre 2018 et relance la coopération avec Kinshasa ?

A mon avis, la Belgique n’a pas fait fi des doutes sur le processus électoral, mais elle a pris acte d’une série de facteurs qui l’ont poussée à infléchir sa position et qui guident sa politique actuelle à l’égard du Congo. D’abord, malgré les irrégularités largement dénoncées du processus, la population congolaise semble avoir accepté l’issue du scrutin présidentiel, en s’accommodant du fait que, malgré tout, Joseph Kabila a cédé son siège et que son dauphin désigné Emmanuel Shadari ne lui a pas succédé. N’oublions pas la portée de ce changement, alors que tout le monde redoutait un coup de force de Kabila pour s’accrocher au pouvoir ou y imposer son dauphin. En plus, la passation du pouvoir a été pacifique et inédite en RDC, entre un président sortant et un successeur issu des rangs de l’opposition. Ensuite, l’ensemble de la communauté internationale, en commençant par les pays africains, ont vite reconnu ce nouveau président à la tête du Congo, lui attribuant ainsi une légitimité externe en plus de la légitimité interne lui conférée par les juridictions et les lois congolaises. Il était dès lors difficile pour la Belgique de faire cavalier seul pour continuer à s’accrocher à la régularité ou non des élections passées. Donc, par réalisme politique autant que par bon sens, la Belgique a choisi de coopérer avec ce nouveau régime et cela me paraît bien compréhensible.

Pensez-vous que la coopération belge puisse soutenir les  » efforts de réformes et de changements  » au Congo en évitant l’influence des soutiens de l’ancien camp présidentiel de Joseph Kabila ?

Il est vrai que l’influence de l’ancien président et de son Front commun pour le Congo (FCC) est trop forte, dans la mesure où ils sont largement majoritaires à tous les niveaux de pouvoir. Et Félix Tshisekedi a accepté de diriger le pays en coalition avec ces gens malgré les méfaits de leur gestion passée, qu’il avait lui-même toujours dénoncée et condamnée, et que la population congolaise a largement rejetée. Cependant, même s’il n’a pas forcément toute la latitude pour mettre en oeuvre sa politique, ni les moyens pour réaliser ses nombreuses promesses, Félix Tshisekedi démontre une certaine volonté de faire changer les choses au Congo ; et il pose plusieurs actes en nette rupture avec le régime de son prédécesseur. Et aujourd’hui, il n’y a pas d’autre façon de soutenir les réformes et les changements au Congo sans composer avec cette coalition inédite. La Belgique ne peut donc pas ignorer cette nouvelle donne.

Dieudonné Wamu Oyatambwe, politologue, spécialiste de l'Afrique.
Dieudonné Wamu Oyatambwe, politologue, spécialiste de l’Afrique.© olivier rogeau

Une reprise, même progressive, de la coopération belge, et plus largement européenne, profitera-t-elle à la population congolaise ?

Indépendamment du détenteur du pouvoir, il faut surtout veiller au bien-être des populations. Au Congo, les gens souffrent beaucoup, depuis de nombreuses années, surtout à cause des effets néfastes de la faillite de l’Etat. On ne peut pas continuer à sacrifier cette population meurtrie au gré des seuls aléas politiques. La coopération belge, ou européenne en général, peut aider à renforcer l’Etat congolais dans différents secteurs (éducation, santé, agriculture, infrastructures, sécurité…) susceptibles d’impacter positivement la vie des Congolais ; car c’est seulement un Etat congolais viable et efficace qui pourra juguler la misère et l’insécurité qui ont élu domicile depuis des lustres en RDC. Félix Tshisekedi a passé de nombreuses années en Belgique. Il fait partie des membres de cette grande diaspora congolaise qui, même en période de crises diplomatiques répétitives entre les deux pays, constituent un pont permanent et qui contribuent autant que faire se peut à soulager les souffrances de leurs compatriotes vivant au Congo. Il connaît très bien les deux pays, et on peut espérer qu’avec son avènement, la coopération belgo-congolaise pourra profiter davantage à la population congolaise.

Y a-t-il unanimité au sein de l’exécutif congolais sur la relance des relations avec la Belgique ?

Le président Tshisekedi a entrepris de normaliser les relations belgo-congolaises bien avant même la mise en place d’un nouveau gouvernement sous son mandat. Et le nouvel exécutif a été constitué pour mettre en oeuvre la vision du chef de l’Etat dans différents domaines, y compris en matière diplomatique. Par ailleurs, on ne peut pas dire que la population congolaise soutenait le bras de fer que le régime de Joseph Kabila avait engagé avec la Belgique, ni la rupture de la coopération qui s’en était suivie, lorsque la Belgique appelait l’ex-président congolais à normaliser la vie politique en RDC. Et donc, là aussi, il n’y a pas encore de raisons objectives de ne pas soutenir la relance progressive des relations entre les deux pays. Mais c’est sans doute aussi l’occasion de repenser ces relations belgo-congolaises, pour éviter les erreurs du passé, et pour les rendre plus efficaces et bénéfiques de part et d’autre.

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