Donald Trump ignore la controverse à propos de sa sortie devant l'église Saint John de Washington le lundi 1er juin. Du moment que ses électeurs sont contents... © belgaimage

Guillaume Debré: « L’objectif de Trump est de diviser le pays » (entretien)

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le président américain hystérise le débat politique pour surmobiliser sa base électorale derrière la défense de la blanchitude, juge Guillaume Debré, auteur de Je twitte donc je suis. Car il sait qu’il ne peut pas rassembler une majorité d’Américains.

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Donald Trump a formulé  » une offre politique disruptive autour du concept de la blanchitude « . Mais cette blanchitude, selon vous, ne s’oppose pas à la négritude mais bien à l’élite multi- culturelle. Est-ce là sa singularité ?

Donald Trump est le premier président blanc de l’histoire des Etats-Unis dans le sens où il n’a gouverné que pour les Blancs, par les Blancs et à travers les Blancs. Il a redonné un sentiment de fierté à une partie de la population blanche américaine qui se sentait totalement délaissée par Washington. Et ce sentiment s’est forgé autour du rejet du multiculturalisme bien-pensant.

Est-ce en vertu de ce principe que, contrairement à ses prédécesseurs, il n’a aucune ambition de rassem- bler les Américains, comme son attitude face aux protestations raciales l’atteste ?

J’irais plus loin. L’objectif de Donald Trump est de fragmenter la société et de diviser le pays. Chaque fois que surgit un débat, il lance une bombe à fragmentation pour pulvériser le corps social afin d’en récolter les miettes électorales. Il faut se rappeler que Trump a été élu en 2016 avec trois millions de voix de moins que son adversaire. Il sait qu’il ne peut pas rassembler une majorité d’Américains. Il ne peut espérer être réélu qu’en surmobilisant sa base électorale. Dans cette optique, il a un besoin fondamental de garder le corps électoral en tension politique permanente pour persuader ses électeurs de le défendre lors du scrutin du 3 novembre prochain. A certains égards, il y arrive. Son socle électoral est d’une densité parfaitement étonnante. Son taux de popularité n’a jamais été supérieur à 50 %. Quand il est le plus populaire, ce taux est à 45 % ; quand il l’est le moins, il descend à 37 %, mais sans subir des écarts de 20 points comme a pu en connaître Barack Obama. Quoi qu’il dise, sa base électorale le soutient. Elle est extrêmement solide.

Trump jouera-t-il la carte de l’intérêt général en cas de doute sur le résultat de la présidentielle ?

Donald Trump n’a-t-il pas d’autres objectifs que sa réélection ?

Donald Trump voit son mandat comme découlant directement de son élection. Il a été élu par une certaine partie de la population américaine pour appliquer trois choses. 1. Protéger le pays, d’où le protectionnisme économique et le discours nationaliste. 2. Réinstaller les valeurs conservatrices au sein du gouvernement : les nominations des juges à la Cour suprême en témoignent. 3. Incarner une certaine colère populaire : on le voit à travers son action, son verbiage et sa frénésie de commentaires sur Twitter. Son tour de force est d’avoir réussi à continuer à incarner cette colère contre Washington depuis le Bureau ovale à Washington.

Est-ce en cela qu’il représente  » l’aboutissement de la dérive plébiscitaire d’un système démocratique à bout de souffle  » ?

Une grande partie de la population américaine a perdu confiance dans la capacité des institutions à défendre ses intérêts. Le Sénat et la Chambre des représentants ont un mal fou à faire passer des lois. Dès lors, les débats se recentrent sur la capacité du président à incarner le pays et ses pulsions. On assiste donc à une dérive plébiscitaire de la fonction de président et à la structuration politique d’un régime de caudillo, de despote. Donald Trump a un tel rapport avec son électorat que si ce n’est pas lui qui est à la manoeuvre, c’est le chaos. Cette relation est hyperdangereuse. Il faut néanmoins observer que jusqu’à présent, la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, et les garde-fous institutionnels ont réussi à contenir la déflagration Trump. La question est de savoir pour combien de temps.

Guillaume Debré.
Guillaume Debré.© belgaimage

Donald Trump pourrait-il aller jusqu’à mettre la démocratie américaine en danger pour servir ses propres intérêts ? On se pose la question à la lecture de la dernière phrase de votre livre :  » S’il perd, acceptera-t-il le résultat de la présidentielle ?  »

En 2000, lorsqu’un recomptage a été nécessaire en Floride pour départager George W. Bush et Al Gore, la paralysie institutionnelle n’a été évitée que par la capacité du second à reconnaître sa défaite. Je suis extrêmement réservé et inquiet sur celle de Donald Trump à jouer la carte de l’intérêt général et de la survie du système démocratique si jamais il y a un doute sur l’issue électorale du scrutin de novembre 2020.

La stratégie de confrontation de Donald Trump n’est-elle pas mise en échec par la contestation trans-communautés observée dans les manifestations contre les violences policières ?

Beaucoup d’Américains n’adhèrent pas à sa stratégie d’hystérisation permanente du débat politique. La protestation raciale se conjugue effectivement aujourd’hui à une contestation politique du système Trump. Beaucoup osent élever la voix même au sein des républicains. Pour autant, si les démocrates veulent battre Donald Trump, le  » tout sauf Trump  » ne suffira pas. Ils doivent formuler un projet de société qui trouve un écho au sein d’une grande partie de la population américaine. Pour l’instant, ils peinent à le faire. La grande force de Donald Trump réside dans sa base électorale extrêmement homogène. Celle des démocrates est à l’inverse extrêmement hétérogène. Elle va des bobos écolos aux Afro-Américains, des ouvriers aux intellectuels, des gauchistes aux étudiants… C’est la grande faiblesse de Joe Biden, d’autant que le système électoral américain surévalue le poids des communautés rurales.

Que Twitter ait mis en garde contre des messages de Donald Trump, est-ce un sérieux camouflet ou réussira-t-il à retourner la polémique à son avantage ?

C’est un camouflet assez ironique, sur le mode de l’arroseur arrosé. Mais va-t-il en pâtir ? Je connais peu de gens qui ont pensé que sa gestion de la crise du corona- virus était rationnelle ou sérieuse. Cependant, en janvier 2020, il avait entre 50 et 60 millions de followers sur Twitter. Maintenant, il en a 80 millions. Plus il joue la surenchère, plus il vitupère, plus il dit n’importe quoi sur les réseaux sociaux, plus il a de la résonance. Il l’a formidablement bien compris, malheureusement.

L’indulgence de Facebook à son égard peut-elle s’expliquer par les sommes énormes que son équipe dépense en publicités électorales sur ce réseau en particulier ?

Bien sûr. Donald Trump est devenu un formidable acteur économique des réseaux sociaux. Il y dépense des millions et, quand la campagne électorale sera vraiment lancée, des centaines de millions de dollars. Cela va être très compliqué pour Facebook de le censurer. A la minute où il serait muselé, il irait dépenser son argent ailleurs.

Je twitte donc je suis, par Guillaume Debré, Fayard, 240 p.
Je twitte donc je suis, par Guillaume Debré, Fayard, 240 p.

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