Deux policières prises pour cible, le passager d'une voiture abattu froidement... © Sebastien Smets/Photo News

L’impuissance pénitentiaire

Responsable de la mort d’au moins trois personnes, dont deux policières liégeoises, Benjamin Herman aurait rencontré l’islam radical en prison. Comment empêcher d’autres contaminations ?

Les prisons sont des incubateurs d’extrémisme. Les frères El Bakraoui (attentats de Paris et de Bruxelles), Tarik Jadaoun (condamné à mort en Irak pour appartenance à Daech) et, maintenant, Benjamin Herman, abattu, mardi 29 mai, à Liège, après avoir tué deux policières et un passant. Un marginal de 36 ans, né à Rochefort, multirécidiviste (au moins six condamnations), connu pour des vols qualifiés, des affaires de stups, mais surtout incontrôlable et violent. Il purgeait une peine à Marche-en-Famenne, jusqu’en 2020, mais il avait été autorisé à sortir pendant quarante-huit heures pour préparer son reclassement. Pourtant, la Sûreté de l’Etat le suspectait de radicalisme depuis l’année dernière. Ses sorties n’auraient-elles pas dû être aménagées ? L’administration pénitentiaire devait-elle lui faire confiance ?  » Il avait déjà bénéficié de onze autorisations de sortie d’un jour et de treize congés pénitentiaires de deux jours qui s’étaient bien déroulés, il était donc difficile de prévoir que cela se passerait mal à la quatorzième fois « , a indiqué le ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V).

La Sûreté de l’Etat le suspectait depuis 2017

Ce 29 mai, Benjamin Herman s’est volontairement exposé aux tirs du peloton antibanditisme (PAB) de la police locale de Liège, après avoir pris en filature deux policières de 45 et 53 ans, les avoir attaquées dans le dos à l’arme blanche, volé leur arme de service et s’en être servi mortellement contre elles. Le passager d’une voiture, futur instituteur de 22 ans, a succombé au tir de l’homme, qui poussait des  » Allahou Akbar  » en pleine rue. Réfugié au lycée Léonie de Waha, boulevard d’Avroy, il a pris en otage un membre du personnel, avant que le peloton d’élite de la police de Liège n’intervienne. Le PAB a été accueilli par des coups de feu. Quatre policiers ont été blessés, dont un grièvement. Liège est en deuil.

Les sensibilités au discours radical

La police craignait depuis longtemps d’être la cible d’actes de terrorisme, comme lors de l’attaque à la machette contre deux policières de Charleroi, le 6 août 2016. Elles avaient eu la vie sauve grâce à un réflexe d’autodéfense. Le parquet fédéral suspecte une tuerie à caractère terroriste, privilégiant mardi soir la thèse de la radicalisation en prison. Selon des sources médiatiques, Benjamin Herman aurait aussi tué, à coups de marteau, la veille de l’attentat, son complice de braquage d’une bijouterie de Marche-en-Famenne.

Les prisons de Lantin, Namur ou Marche-en-Famenne ? Incontestablement, l’un de ces lieux d’enfermement a permis la rencontre d’un homme sans antécédents religieux avec l’idéologie djihadiste.  » On sait qu’il existe des sensibilités particulières au discours radical, expose le criminologue Vincent Seron, membre du Centre d’étude sur la radicalisation et le terrorisme de l’université de Liège. Un sentiment d’injustice par rapport à une condition socio-économique, une condamnation, une humiliation. Les primo-condamnés sont les plus vulnérables. Chez les personnes issues de la classe moyenne, ce qui joue plutôt est le sentiment d’une absence d’autorité, d’un manque de projet pour l’avenir. Les deux peuvent être liés. Adhérer à une religion peut être la solution par rapport à un sentiment d’injustice ou d’absence de perspectives.  »

Vincent Seron, criminologue  (ULiège), déplore  le manque de suivi des radicalisés  en prison.
Vincent Seron, criminologue (ULiège), déplore le manque de suivi des radicalisés en prison.© michel houet/Uliège

Sur les quelque 11 000 détenus des prisons belges, 237 sont radicalisés. Un dispositif en trois branches tente de les garder sous contrôle.  » Les plus radicalisés se trouvent entre eux dans les ailes « Deradex » d’Ittre et de Hasselt, détaille le chercheur liégeois. Elles comprennent théoriquement deux fois vingt places, mais elles ne sont occupées qu’à moitié. Cinq établissements dits satellites accueillent d’autres détenus avec ce profil à Saint-Gilles, Lantin, Andenne, Gand et Bruges pour y être plus étroitement surveillés. Les autres sont répartis dans d’autres établissements après leur screening par la « cellule extrémisme » de l’administration pénitentiaire, en collaboration avec la Sûreté de l’Etat.  »

Le but du dispositif antiradicalisme de l’administration pénitentiaire est d’éviter la dissémination des idées extrémistes et, théoriquement, préparer la réinsertion du condamné.  » Pas grand-chose n’est entrepris dans les ailes « Deradex » en matière d’accompagnement psycho- social, observe cependant Vincent Seron. L’isolement peut même conduire à un renforcement des convictions et donner un statut de martyr aux détenus. Certains radicalisés, condamnés à de courtes peines, ont déjà quitté les ailes « Deradex ». Que deviennent-ils ?  »

Trop lentes réformes

A la décharge du personnel pénitentiaire, il n’est pas aisé, en 2018, de détecter les signes précurseurs d’une radicalisation.  » Il y a dix ans, reprend Vincent Seron, les individus laissaient pousser leur barbe, s’isolaient, changeaient de tenue vestimentaire ou de comportement. Aujourd’hui, ils connaissent ces critères et pratiquent la dissimulation. Ils prennent énormément de précautions. En outre, le fait de tenir des propos idéologiquement très orientés n’est pas nécessairement synonyme d’extrémisme violent. On peut aussi se convertir dans une optique de restructuration personnelle.  »

En France, après les attentats de 2015 et 2016, le nombre d’aumôniers musulmans a augmenté de 200 %, mais ce n’est pas la panacée. Pareil pour les 25 conseillers islamiques belges.  » Soit ils sont soupçonnés de faire partie de l’administration pénitentiaire et d’être là pour recueillir des informations. Soit ils entrent en conflit avec les détenus radicalisés sur des points de vue religieux. Tout dépend de leur formation initiale et spécifique « , souligne le criminologue.

Pour le député fédéral Georges Dallemagne (CDH), membre de la commission de suivi de la commission  » attentats « , l’Etat fédéral et les entités fédérées sont en défaut par rapport au suivi de personnes potentiellement dangereuses.  » Un radicalisé de la prison d’Ittre a dû attendre deux ans avant d’obtenir le rendez-vous qu’il avait demandé avec un psychiatre « , s’indigne-t-il. Selon lui, les réformes exigées par la menace terroriste tardent à se mettre en place : la Banque Carrefour du renseignement, la spécialisation des polices judiciaires fédérales en matière de terrorisme, la plateforme de la police fédérale et des services de renseignement, l’amélioration du service de renseignement militaire SGRS…  » On avance tellement lentement.  »

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