L’été de tous les dangers

Après le sommet de fin juin, les divisions sont réapparues entre Européens. Au risque de menacer les résultats obtenus alors. Au risque, aussi, d’affoler à nouveau les marchés.

S ouviens-toià l’été dernierà Des Bourses qui plongent, des banques qui prennent l’eau, des pays dont les taux d’emprunt se mettent à flamber : les dirigeants européens veulent à tout prix éviter que se répète le cauchemar de ce mois d’août 2011. Comme l’an passé, pourtant, la saison estivale a plutôt commencé sous de bons auspices, avec un sommet suscitant quelque espoir. Mais, rapidement, comme un an plus tôt, des failles sont apparues dans le dispositif mis en place pour sécuriser la zone euro. Surtout, le Vieux Continent a vite renoué avec les démons de la discorde et de la division. De quoi exciter les spéculateurs, qui s’agglutinent à nouveau autour d’une proie épuisée par cinq années de crise. Des vautours prêts, cette fois-ci, à lui porter le coup de grâce.

Ne pas affoler les marchés ? C’était justement l’un des objectifs du Conseil européen de Bruxelles, les 28 et 29 juin derniers. Entre autres avancées (union bancaire, pacte pour la croissanceà), le plan adopté ouvrait aux pays en difficulté la possibilité de se refinancer directement auprès des fonds de sauvetage européens (FESF, puis mécanisme européen de stabilité, le MES, lorsque celui-ci entrera en vigueur). Avec pour but d’éviter une nouvelle flambée des taux d’emprunt espagnol et italien, flirtant déjà dangereusement avec les 7 % pour le taux à dix ans – contre moins de 3 % en France, moins de 2,5 en Belgique et moins de 2 % en Allemagne(voir graphique page 42). Un niveau insoutenable, équivalant par exemple, pour Madrid, à 9 milliards de dépenses supplémentaires en 2013. Un cordon sanitaire avait donc bel et bien été conçu. Il ne restait plus qu’à le mettre en place.

L’Espagne rejoint la Grèce dans le club des grands brûlés

Mais rien ne s’est déroulé comme prévu. La faute aux représentants des pays du Nord, qui, tout juste rentrés à la maison – et suivant un scénario désormais bien rodé -, ont multiplié les déclarations anxiogènes. L’encre était à peine sèche que la ministre des Finances finlandaise, Jutta Urpilainen, annonçait que son pays ne  » s’accrocherait pas à l’euro à n’importe quel prix et [qu’il était] prêt à tous les scénarios, y compris l’abandon de la monnaie commune « . Angela Merkel elle-même semait le trouble en laissant entendre que le principe de la recapitalisation directe des banques par le MES, qu’elle avait accepté, serait en fait conditionné à la mise en place d’un dispositif de supervision des établissements financiers, piloté par la Banque centrale européenne (BCE).

De quoi faire sortir de leurs gonds les plus flegmatiques. A l’image du président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, qui, dans Le Figaro du 30 juillet, dénonçait ceux qui  » finissent par trahir l’esprit européen « . Et interrogeait :  » Comment l’Allemagne peut-elle se payer le luxe de faire de la politique intérieure sur le dos de l’euro ?  » Mais c’est surtout la Cour constitutionnelle de Karlsruhe qui a mis le feu aux marchés. En demandant deux mois de réflexion avant de se prononcer sur la validité du MES, les Sages allemands ont repoussé de fait sa mise en place, prévue pour le 9 juillet, à la mi-septembre. Laissant les dirigeants européens avec une nouvelle bombe à désamorcer en urgence. Le tout sur fond de décrochage de l’économie espagnole, désormais condamnée à rejoindre la Grèce dans le club des grands brûlés de la crise.

Une action conjointe des Etats et de la BCE ?

C’est donc Mario Draghi, le patron de la BCE, qui, une fois de plus, a dû jouer les pompiers. En affirmant, le 26 juillet dernier, qu’il était prêt à  » tout faire pour sauver l’euro « , l’Italien a provoqué un soulagement immédiat sur les marchés. Le scénario privilégié est celui d’une action conjointe à celle des Etats, le FESF rachetant dans un premier temps de la dette espagnole et italienne sur le marché primaire (à l’émission), avant d’être relayé, sur le marché secondaire (celui de la revente), par la BCE. Encore faut-il, pour activer le fonds de secours, que l’Etat concerné, en l’occurrence l’Espagne, en fasse la demande et accepte, en échange, d’engager de nouvelles réformes. Or Madrid vient tout juste de mettre en place un énième plan d’austérité, pour la bagatelle de 65 milliards d’euros ! Et se refuse à toute mise sous tutelle. Mais l’arme absolue – celle d’un rachat en direct par la BCE des obligations d’Etat des pays du Sud – ne semblait pas non plus, en début de semaine, exclue. Une ultime option dont l’usage pourrait cependant faire de nouvelles vagues en Allemagne, où le patron de la Bundesbank, Jens Weidmann, s’y est, à plusieurs reprises, déclaré hostile.  » Même si Weidmann est membre du conseil des gouverneurs de la BCE, il n’a pas les moyens d’empêcher à lui seul l’application de cette mesure, explique Gilles Moëc, économiste à la Deutsche Bank. Il y a aussi une part de jeu de rôle dans tout cela.  » Pour passer entre les gouttes, Draghi a fait valoir qu’il ne s’agissait pas pour lui de déroger à sa mission première – assurer la stabilité des prix -, mais plutôt de rétablir la transmission de la politique monétaire, entravée par les taux vertigineux auxquels les pays latins doivent emprunter. Habile.

Moody’s menace de dégrader la note de l’Allemagne

Dans sa tâche, Draghi pourrait en fait surtout être aidé parà l’aggravation de la crise. En migrant de la périphérie vers le centre, celle-ci commence en effet à toucher les Etats en meilleure santé, et notamment l’Allemagne, dont plus de la moitié des exportations est destinée au marché européen. Le baromètre IFO, qui mesure le moral des patrons allemands, a ainsi enregistré un nouveau recul en juillet, touchant son plus bas niveau depuis la mi-2010. De grandes entreprises industrielles, comme Siemens, ont aussi enregistré récemment des résultats décevants. Conséquence : le 23 juillet dernier, Moody’s a lancé un avertissement sur le AAA de l’Allemagne, ainsi que ceux du Luxembourg et des Pays-Bas. L’illustration, pour l’agence américaine, du fait que les pays européens sont tous dans le même bateau. L’illustration aussi, sans doute, de la montée, dans le monde anglo-saxon, d’un certain agacement concernant la manière dont la crise européenne, qui menace désormais la croissance mondiale, est gérée.

Ainsi l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair demandait-il récemment aux Allemands, dans le quotidien Bild, d' » accepter une forme de mutualisation de la dette  » pour  » sauver l’euro « .  » Peut-on relancer les moteurs [de l’économie mondiale], madame Merkel ?  » s’impatientait de son côté, il y a quelques semaines, l’hebdomadaire The Economist, dans un dessin de Une représentant un sous-marin s’enfonçant inexorablement dans les abysses. C’est peut-être aussi la question qu’a posée, lundi 30 juillet, le secrétaire d’Etat au Trésor américain, Timothy Geithner, venu jusqu’à Sylt, une île allemande de la mer du Nord, pour rencontrer son homologue Wolfgang Schaüble, avant de filer à Francfort voir Mario Draghi.

De toute évidence, la clé se trouve, en grande partie, en Allemagne. Après avoir joué la montre pour contraindre les  » pays du Club Med  » à des réformes drastiques, Berlin pourrait assouplir ses positions devant l’extension de la crise aux pays AAA. Et comprendre que sauver au plus vite la zone euro relève, aussi, de son intérêt bien compris.

Benjamin Masse-Stamberger

Tony Blair demande aux Allemands de  » sauver l’euro « 

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