L’autoportrait,un art masqué

Guy Gilsoul Journaliste

Meret Oppenheim a 19 ans quand, en 1932, elle quitte la Suisse pour rejoindre le Paris du surréalisme. Rétrospective de son oeuvre au LaM, à Villeneuve d’Ascq.

Ouvrez une anthologie du surréalisme. Immanquablement, le nom de Meret Oppenheim (1913-1985) est associé à une seule oeuvre-objet datée de 1936, Le Déjeuner en fourrure. Soit une tasse et sa sous-tasse accompagnées d’une cuillère, le tout, habilement habillé par de la peau de gazelle. L’idée lui aurait été soufflée par Picasso himself alors qu’elle lui montrait un bracelet recouvert… de fourrure. Bref, mis à part l’opus de 1936 aussitôt acquis par le musée d’art moderne de New York (qui a refusé de le prêter pour l’exposition française), quelle autre oeuvre connaît-on de l’artiste suisse ? Pourquoi ce presque silence ? Certes son caractère ne devait pas être facile et l’ironie parfois manifestée à l’égard de l’autorité d’André Breton n’était pas très adroite. Mais, en réalité, sa soif de liberté et sa manière de définir la féminité ne coïncidait pas avec les paradigmes du surréalisme. A 24 ans, soit cinq ans après son arrivée à Paris, elle quitte tout et rentre à Bâle.

La crise perdure une douzaine d’années. Pourtant, durant cette période sombre, Oppenheim poursuit le travail commencé à Paris : matérialiser, par le mot, l’image ou l’assemblage, le contenu latent de ses rêves. Parallèlement, femme du beau monde, elle multiplie les fêtes entre amis que ce soit à l’occasion du carnaval (pour lequel elle crée des masques) ou d’un repas mémorable. Ainsi, en 1959, Le Festin. L’idée lui est venue, comme toutes les autres, de manière fulgurante, évidente, incontrôlée et du plus profond de son esprit : servir un repas des plus raffinés à ses invités sur le corps nu et allongé d’une séduisante volontaire rencontrée dans la rue. La belle inconnue à la peau très pâle serait pour l’occasion en partie couverte par divers fleurs, fruits et légumes, crustacés et autres gâteries choisies. Scandaleux ? Surréaliste ? Oui. Il y a bien là tous les ingrédients d’une immoralité fantasmatique partagée par Breton et les siens. Oppenheim a pourtant bel et bien pris ses distances. En réalité, il faut attendre l’arrivée de Harald Szeemann à la tête de la Kunsthalle de Berne, en 1961, pour éclairer l’oeuvre sous son vrai jour. Le commissaire d’expositions retentissantes (depuis Quand les attitudes deviennent formes en 1969 jusqu’à La Belgique visionnaire en 2003) aura remis en effet à l’honneur des artistes qui, au fil des ans, tissent une mythologie personnelle dans laquelle se superpose, comme le préconisait Carl Gustav Jung, le quotidien et les grandes sagas universelles. Un Jung dont Oppenheim a lu tous les livres, qu’elle a rencontré et dont elle a même été la patiente.

Pour Jung, la psyché de l’homme possède un élément féminin : l’animus. Pour Oppenheim, il s’agit donc pour l’homme d’accepter sa part féminine et pour la femme, la présence en elle d’un pôle masculin. Un deuxième concept l’intéresse : celui d’archétype. Au-delà de l’histoire personnelle, l’inconscient, dans sa partie reculée serait le réceptacle d’un contenu collectif. Or celui-ci s’inscrit dans le récit de nos rêves. Le dessiner comme le fit une patiente de Jung, Christiana Morgan, offre donc au plus grand nombre la possibilité d’avancer dans ce que le médecin suisse nomme l’individuation. Entendez, la découverte de soi. Ainsi, quoique toujours mystérieuse, Oppenheim, par ses productions si diverses, se révèle aussi initiatrice. Ce qui, peut-être, lui convenait mieux…

Meret Oppenheim. Rétrospective, au LaM, 1, allée du musée, à Villeneuve d’Ascq (France). Jusqu’au 1er juin. www.musee-lam.fr

Guy Gilsoul

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