Jeune et jolie

Le Français Eric Laurrent fait le portrait naturaliste d’une cover-girl en devenir. Une démonstration de style virtuose et ultracontemporaine.

Le roman s’ouvre sur trois pages remarquables, qui font la description d’une jeune femme figurant, largement dénudée, sur une livraison de la revue érotique Dreamgirls. Accorder à un poster jetable de magazine de charme le soin (patient, minutieux) que l’on mettrait à évoquer une peinture sacrée : l’incipit léché du onzième roman d’Eric Laurrent (Renaissance italienne, Les Découvertes) annonce déjà le protocole du livre en entier. Soit appliquer un traitement noble et ultralittéraire à un objet a priori méprisable et médiocre – l’histoire d’une petite provinciale un peu branque et sans talent bientôt vouée aux paillettes et à la célébrité facile des eighties.

Née de l’expéditif accouplement de deux adolescents, Nicole Sauxilange est rapidement recueillie par sa grand-mère dans ce qu’il faut bien appeler une glauque cour des miracles rurale (misère, alcoolisme, inceste et compagnie). Elevée dans une foi aveugle pétrie de pieuses superstitions, tenaillée par l’absolue volonté de percer, la petite s’imaginera tour à tour écrivain comme Françoise Sagan ( » Elle avait déjà en tête le titre de l’ouvrage : Adieu, joie. Cela valait bien Bonjour Tristesse. Elle n’alla pas au-delà du premier paragraphe. « ), diariste comme Anne Frank, ou gymnaste comme Nadia Comaneci. Sans talent et surtout paresseuse, mais affichant bientôt une plastique irréprochable, elle se rendra à l’évidence : il s’agira de poser nue. Elle montera donc à Paris…

Splendeurs et misères

Racontant, un peu entrela Jayne Mansfield 1967 de Simon Liberati et les désarmants carnets intimes que laissa derrière elle Marilyn Monroe, les seize premières années d’une future playmate dans un dispositif ludique de vraie-fausse biographie, Eric Laurrent s’empare d’une trame ultracontemporaine : dessiner la vie fracassée de petites people (Nicole, relativement interchangeable, figure autant Nabilla qu’Anna Nicole Smith). Ce faisant, il s’inscrit pourtant aussi dans un rapport singulier au temps et à l’histoire littéraire : raccord avec une perspective naturaliste (il ne fait pas de doute que s’ils avaient vécu, Balzac ou Zola se seraient avidement emparés de telles trajectoires de cover-girls), sa phrase dégage un climat dix-neuvièmiste.

Travaillant son sujet à la feuille d’or, composant des paragraphes d’une longueur affolante dont l’aisance confine à la démonstration (cet usage de doubles parenthèses), abusant de termes rares voire anachroniques ( » fraîchineux « ,  » alliacés « ,  » bavochures « ), son écriture ironique, surplombante et bruissante fait merveille, qui élève et sophistique son sujet comme l’emballage de papier de soie un vêtement récemment acheté en boutique. Abruptement arrêté à la page 288, à l’aube d’une  » gloire  » annoncée, le roman promet aussi constamment à Nicole une fin précoce et tragique – seule issue pour une starlette qui se respecte. Autant d’indices de débordements qui viennent conforter l’idée selon laquelle, en intitulant son noir roman Un beau début, le flaubertien Eric Laurrent promet aussi une suite (et un tome 2 à paraître). Plus dure sera la chute…

Un beau début, par Eric Laurrent, éd. de Minuit, 288 p.

PAR YSALINE PARISIS

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