Sans titre, © Collections abcd/Bruno Decharme, Paris & Antoine de Galbert, Paris. Foto: Amandine Nandrin/La "S" Grand Atelier

Je vous salue, artistes

A Gand, le musée Dr. Guislain expose un ambitieux projet réalisé par La  » S  » Grand Atelier de Vielsalm : quand l’iconographie chrétienne rencontre l’art  » en marge  » avec un petit vent de folie.

Madones éplorées, crochetées ou ficelées de toutes parts, cardinaux hiératiques, chasubles et crucifix détournés, retable de l’Agneau mystique revisité : c’est un environnement religieux à la fois symbolique et décalé qui enveloppe le visiteur dès l’entrée de l’exposition. Et quel meilleur écrin que celui du musée Dr. Guislain à Gand pour accueillir le tout nouveau projet de La  » S  » Grand Atelier de Vielsalm ? Directement acquise par les collectionneurs parisiens Bruno Decharme et Antoine de Galbert pour éviter sa dispersion, la collection Ave Luïa nous plonge dans un univers insolite et envoûtant : une revisitation en profondeur du sacré qui décline l’iconographie catholique avec humour et liberté.

Festival de couleurs, de matières et d’évocations bibliques étonnamment libertaires, les artistes oeuvrant au sein de l’atelier de Vielsalm – centre de création réputé pour son approche originale de l’art brut – ont inventé de toutes pièces une voie de traverse sans provocation inutile. Il ne s’agit pas tant d’opposition que de ren-contre, de (mé)tissage, de croisée des genres et des horizons, comme dans l’installation textile de Laura Delvaux et Rita Arimont ou dans le retable d’Irène Gérard. La réactivation originale, par ses moyens techniques, ses références et son iconographie, d’une culture judéo-chrétienne dans laquelle, quoi qu’on en dise, nous sommes encore fortement plongés. Clou de la visite : le déploiement magistral d’un tout nouvel évangile  » selon Jésus-Triste « , créé par les artistes de La  » S  » d’après les célèbres illustrations de la Bible par Gustave Doré qui, dans la seconde moitié du xixe siècle, a survolé l’ensemble des textes sacrés en 265 images ayant connu une postérité exceptionnelle, des péplums hollywoodiens jusqu’à la récente Genèse de Robert Crumb en bande dessinée.

Légende dorée

 » Bien entendu, il n’a jamais été question de faire du catéchisme avec les artistes de La  » S  » Grand Atelier ou d’ailleurs « , explique Yvan Alagbé, artiste français membre du Frémok et associé à l’atelier de Vielsalm.  » Dans le champ d’action qui est le nôtre – faire éclore le travail d’artistes porteurs de handicaps mentaux -, l’accès à la lecture ne va pas de soi. Travailler sur les images de Gustave Doré nous a semblé pouvoir ouvrir une brèche. Elles permettaient, via la narration graphique, d’aller plus loin dans le travail autour de l’esthétique religieuse catholique.  » Optant pour une pratique connue des artistes pour sa souplesse et son rendu – la linogravure -, chacune des images de Doré liée au Nouveau Testament a été interprétée par un couple mixte d’artistes, l’un au dessin et l’autre à la gravure sur linoléum, retrouvant en somme le mode de production de ces images à l’époque, quand Doré réalisait les dessins et qu’un atelier d’une vingtaine de graveurs (formés par lui) était chargé de l’exécution. Une forme de partenariat artistique qui a depuis lors disparu avec l’évolution des techniques d’impression. De ce choix technique et esthétique est né un tout nouveau récit biblique, contant les aventures d’une femme changée en homme pour mourir sur la croix et prendre sur elle toute la tristesse du monde : L’Evangile doré de Jésus-Triste, dont le récit exhaustif est repris dans la belle publication qui accompagne le projet. Un délice !

Ave Luïa. Le Tout Nouveau Testament selon La  » S  » Grand Atelier, au musée Dr. Guislain, à Gand. Jusqu’au 15 octobre prochain. www.museumdrguislain.be

Par Aliénor Debrocq

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