Hollande président

Comment l’ex-premier secrétaire du PS, roi des compromis, est entré dans la peau d’un président. Histoire d’une transformation qui fut aussi un parcours du combattant.

A travers le hublot, il observe la nuit. François Hollande, installé à l’avant du Beechcraft 1 900 qui a décollé de Corrèze, ce dimanche 22 avril vers 23 heures, survole ce bout de France où il a commencé sa carrière politique, il y a trente ans. La victoire présidentielle semble bien engagée. Le premier tour vient tout juste de délivrer son verdict : Nicolas Sarkozy est en difficulté. A l’arrière, sa compagne, Valérie Trierweiler, le directeur adjoint de la campagne Aquilino Morelle, le chargé de communication Christian Gravel et un membre du service d’ordre ouvrent une bouteille de champagne. Et trinquent. Mais Hollande reste assis, muet, dans sa bulle. Il réfléchit. Il pensait que Marine Le Pen serait 2 points plus bas que son score final et Jean-Luc Mélenchon, 2 points plus haut. Il revoit sa stratégie. La fête attendra.

Arrivé au Bourget, il file en voiture vers son QG parisien. Il est 2 heures du matin. Le socialiste a refusé de rejoindre la capitale en Falcon, un jet à réaction bien plus rapide que le coucou à hélices qu’il a emprunté. Son équipe lui avait proposé cette option. Hors de question. Imaginez le symbole, le candidat de la gauche à bord d’un avion de riche. Tous les détails comptent. Avenue de Ségur, il s’enferme avec ses plus proches dans une salle de réunion du 3e étage. Il y a là Manuel Valls, Pierre Moscovici, Stéphane Le Foll et aussi son propre fils Thomas.  » Il faut être maintenant dans l’efficacité « , lance-t-il. Sans émotion, il fixe la feuille de route.  » Donnons du sens à nos déplacements. Le FN est fort dans l’Est, on n’a pas assez fait l’Est, les zones ouvrières. Je veux faire une visite d’usine, mais une seule.  » Ce sera dans l’Aisne. On lui propose ensuite une liste de villes. Hollande fait le tri.

Le chef de la campagne

Il est loin, le  » mou  » moqué par ses détracteurs. Lui, surnommé  » Flamby  » au sein de son propre parti pour avoir si peu acté son autorité, lui, souvent comparé au bouchon ballotté au gré des courants pendant les onze années passées à la tête du PS, lui, soupçonné d’avoir systématiquement préféré l’évitement au conflit, a surpris par sa détermination, par la manière dont il a imposé ses choix à l’équipe de campagne. Il a été le général incontesté. Le non-chef est preque déjà chef de l’Etat. Chef suprême, même si, jusqu’au bout, des études qualitatives internes ont montré que les Français continuaient de douter de ses capacités à l’être. Le 24 avril, il réunit ses lieutenants pour un conseil stratégique. Tout le monde en prend pour son grade.  » Il y a beaucoup de raisons qui font que vous ne ressemblez pas aux gens que je rencontre sur le terrain. Mais la première, c’est que vous ne souriez pas.  » Il poursuit :  » Déplacez-vous et vous verrez que l’atmosphère a changé depuis le 22 avril. Montrez que vous êtes contents, car notre score de premier tour est une réussite.  » Les caciques du PS encaissent.  » François Hollande paraît sans colère, dans l’empathie, mais c’est en réalité un chef dur, exigeant « , reconnaît son fils. Déplacez-vous : chez Hollande, l’engagement est non pas une affaire de mots, mais de kilomètres parcourus.  » François rêvait de faire une campagne à l’ancienne, de traverser la France à pied « , raconte un intime. A défaut de randonnées, ce sera un road-movie. Le 13 avril, il quitte Clermont- Ferrand, direction Paris. En s’arrêtant partout. Moulins, Auxerre, Chelles : il a voulu des haltes pour des rassemblements express en plein air. Il cherche le contact.  » Déambuler  » dans les rues, pour se démarquer du président sortant, lourdement escorté. Une fois à l’Elysée, pourra-t-il échapper au confinement qu’entraîne le pouvoir ? A Limoges, le 27 avril, son convoi est caillassé. La voiture qui le suit, où se trouvent les policiers du service de protection des hautes personnalités (SPHP), reçoit un projectile. Une vitre est touchée. Hollande a eu de la chance, l’épisode est passé inaperçu.

A chaque déplacement,  » il enregistre les moindres mouvements d’opinion « , observe la députée Marisol Touraine. Avant la primaire, un détail l’irritait :  » Les gens bâillent quand on développe nos mesures sur l’éducation. On est inaudible.  » Que faire ? En septembre 2011, à Soissons, en Picardie, il rencontre des parents d’élèves au 1er étage de la mairie. Des classes ont encore fermé. Les mamans sont à bout.  » Nous mettrons des postes « , avance le candidat. En quittant l’hôtel de ville, il longe le canal pour se rendre à la halte fluviale, près de silos imposants, où l’attendent des militants. Là, sans roulement de tambour, il glisse qu’il rétablira tous les postes sacrifiés par Nicolas Sarkozy depuis 2007. Tous ? Oui, 12 000 par an, soit 60 000 sur un quinquennat. Il évalue cet effort budgétaire à 250 millions d’euros par an, puis, une heure plus tard, il corrige : 500 millions.

Voilà comment est née la proposition phare de son projet – avec la taxation marginale à 75 % des millionnaires. Dans l’improvisation totale. Mais, se fiant à son flair, il va transformer un brouillon en mesure clef. De retour dans la voiture, son iPhone se met à vibrer. Les réactions sont immédiates. Vincent Peillon l’appelle dans la soirée. Il est le M.  » Education  » de son équipe. En apprenant la nouvelle, il est tombé de sa chaise :  » J’étais étonné et sceptique, mais il faut reconnaître que Hollande a eu du pif. Avec cette proposition, on s’est enfin mis à parler d’éducation. « 

Un très proche résume la méthode Hollande :  » Sa force, c’est qu’il n’écoute que lui-même. Car il a la certitude d’être le meilleur.  » La droite y verra de l’arrogance.  » En janvier, raconte le directeur de campagne, Pierre Moscovici, il est face à un choix stratégique : soit attendre et gérer son avance dans les sondages, en courant le risque de laisser Nicolas Sarkozy reprendre la main, soit attaquer vite.  » Le leader tranche : ce sera la seconde option. Le meeting du Bourget est avancé d’une semaine, au 22 janvier. La veille, le candidat est chez lui, dans le XVe arrondissement de Paris. Il s’est claquemuré tout l’après-midi pour retravailler son discours. Il décide d’annoncer tous les éléments du projet présidentiel, qu’il comptait rendre public plus tard. Pour prendre de court l’UMP. Comme à son habitude, il n’a rien dit à son équipe.

 » Si tu ne mets rien de personnel, tu vas décevoir « 

A 20 heures, Valérie Trierweiler lit son discours. Dans les pages qu’elle tourne, il n’y a pas un mot sur lui, François Hollande, son histoire, son parcours. Comme s’il n’assumait pas encore pleinement l’incarnation, et ses contraintes. Elle intervient :  » Sais-tu que, toutes les heures à la radio, on explique que tu vas fendre l’armure et te découvrir demain au Bourget ? Si tu ne mets rien de personnel, tu vas décevoir.  » Hollande le pudique se justifie :  » Mais je ne sais pas faireà  »  » Lionel Jospin non plus ne savait pas faire « , lui rappelle la journaliste, qui suivit l’ex-Premier ministre. En 2002, le locataire de Matignon n’avait pas réussi à créer un lien personnel avec l’opinion publique et l’avait payé cher. Hollande ajoute quelques phrases sur son enfance à Rouen, sur une mère qu’il a adorée et sur son père, aux convictions conservatrices. Hollande élargit ses cercles habituels. Le lendemain du Bourget, il dîne dans le VIIIe arrondissement de Paris, chez l’ancien fondateur de SOS-Racisme, Eric Ghebali. Autour de la table : l’acteur Lorànt Deutsch, qui mettra les rieurs de son côté avec quelques bonnes blagues ; David Foenkinos, l’auteur de La Délicatesse, et, enfin, le plus célèbre et le plus sarkozyste des chanteurs, Johnny Hallyday, qui rencontre le socialiste pour la première fois. 25 000 fans ont écouté le candidat ?  » C’est un bon début « , s’amuse Johnny, qui accumule les Stade de France. Il donne ses petits secrets pour se protéger des extinctions de voix (les pastilles de propolis). Entre l’orateur et le chanteur, on parle des salles qui réagissent différemment, selon les cultures locales. Bref, le courant passe. A ce dîner, Hollande n’obtiendra pas le ralliement de l’interprète de Je te promets. Mais l’ami de Nicolas Sarkozy refusera pendant la campagne de se mêler du match, lui qui avait publiquement soutenu le candidat de l’UMP en 2007. Une neutralité bienvenue.

Cette détermination profonde, tendue vers un seul objectif, vient de loin. Elle s’est manifestée avec éclat, il y a dix ans, au milieu des verres renversés sur des buffets salis, dans une immense salle de bal aux tentures rouges. C’était le 21 avril 2002. Ce soir-là, dans le désarroi général, François Hollande a pris en main son destin. A cet instant, il aurait suffi d’un mot pour que le premier secrétaire, nommé par Lionel Jospin, partenaire privilégié dans l’exercice de l’Etat, compagnon de déroute, chute avec son mentor ; mais avant que quiconque ait mis en cause la direction socialiste, Hollande a tourné la page de l’échec.

Fidèle à son image jusqu’à la caricature – souriant -, il s’est projeté dans l’avenir, réaffirmant qu’il conduirait la campagne pour les législatives. Une manière d’afficher publiquement son leadership.

La suite n’a pas été une sinécure, même si le tacticien s’est toujours montré habile et que la chance l’a longtemps favorisé. En 2003, il acquiert au congrès de Dijon la légitimité des urnes, élu à la tête du PS par des militants auprès desquels il s’est constamment appliqué à soigner sa popularité. Fidèle à cette stratégie, il multiplie les tournées dans les fédérations et ménage les barons, donnant peu aux uns en prenant soin de ne pas retirer trop aux autres. Toujours accommodant, jamais intransigeant, il suscite des inimitiés tenaces dont il ne s’est jamais embarrassé, moins raide qu’un Jospin mais plus instinctif, avec un sens de l’esquive qui ne s’est, depuis, pas démenti :  » Lorsque j’entre dans une pièce, je cherche d’abord la porte qui me permettra d’en sortir « , confiera-t-il au Vif/L’Express en avril 2012. Le 16 décembre 2004, il fait la couverture du Point, qui titre :  » L’homme de l’année « . L’heure est à l’euphorie.

En mai 2005, plus de 54 % des Français rejettent le projet d’une nouvelle Constitution européenne – la fracture entre les partisans du non et les tenants du oui, au sein même du PS, est brutale. Elle va durer des années. Désavoué par les Français, le premier secrétaire Hollande ne va pas tarder à l’être par les socialistes : sa méthode de direction, qui consiste, selon l’un de ses proches, à ne jamais  » mettre ses càes sur la table « , ne fonctionne que si elle est portée par des succès électoraux. Pour peu que le vent tourneà En septembre 2005, à la veille des journées parlementaires, Ségolène Royal déclare dans Paris Match, à propos de l’élection présidentielle :  » Si, à un certain moment, il s’avère que je suis la mieux placée, et donc que je suis sollicitée par le PS parce que je peux faire gagner mon camp, je le ferai.  » En novembre 2006, la primaire l’investit dès le premier tour, avec plus de 60 % des suffrages. François Hollande n’a pas su imposer d’alternative. Il n’a pas su s’imposer lui-même, trop soucieux d’obtenir un consensus quand l’adversaire, de l’intérieur, force les lignes au bulldozer.

Les deux dernières années à la tête du parti relèvent du chemin de croix. Mis à la porte du domicile conjugal par voie de presse, le premier secrétaire sympathique et jovial devient l’incarnation de l’homme adultère, lâche et menteur. L’image privée brouille l’image publique : non seulement il n’est pas un chef, au sens brutal du terme, mais encore est-il capable, sans mot dire, de se laisser répudier par sa compagne. Lorsqu’il quitte la Rue de Solferino en novembre 2008, François Hollande a l’allure d’un homme fini. Aux yeux de ceux qui le croisent, il paraît avoir abandonné son avenir derrière lui.

 » Tu vas trop vite, François « 

 » Il s’est construit sur le regret de n’avoir pas saisi sa chance en 2007 « , analyse un ténor. Cette fois, il ne la laissera pas passer. Il décide de lancer son club, Répondre à gauche. En juin 2009, la première réunion a lieu à Lorient, devant 300 personnes. La deuxième se tient en octobre, à Périgueux. Les axes stratégiques de 2012 sont conceptualisés à ce moment-là. Il affirme qu’il faudra  » relever certains prélèvements, reprendre des avantages accordés aux plus favorisés « . Ou encore :  » La dette d’aujourd’hui va être les impôts de demain. La question fiscale va être au c£ur de la campagne de 2012. Si on ne met pas le clivage là, on ne le mettra nulle part ailleurs. « 

Le voilà qui affiche un nouveau look, d’autres lunettes, des kilos en moins. Et il reprend la route : 11 000 kilomètres pendant les régionales de 2010, à bord d’une voiture de location. Il veut incarner l’homme  » normal « . Une façon de se démarquer de Nicolas Sarkozy et de DSK, qui présentent des failles communes à ses yeux : le bling-bling et l’éloignement des réalités quotidiennes des Français. DSK, favori des sondages, s’inquiète de la percée du député de Corrèze. En février 2011, il demande à le voir et lui donne rendez-vous chez un ami à lui.  » Je vais revenir, prévient Strauss-Kahn, qui joue les gros bras. On ne va pas se battre l’un contre l’autre. Si tu me rejoins, tu auras une place de premier plan, sinon tu n’auras rien, il y a déjà tous les autres qui sont avec moi.  » Hollande ne cède pas.

Le candidat  » normal  » prépare en coulisses sa déclaration de candidature, le 31 mars 2011, à Tulle.  » Tu vas trop vite, François « , lui glissent, trois jours avant, Jean-Marc Ayrault et Jean-Pierre Bel, qui ont été approchés par DSK. Qu’importe, il fonce. Seulement, le match n’aura jamais lieu. Le 15 mai, l’affaire du Sofitel bouleverse le scénario. Dans la nuit, Valérie Trierweiler réveille son compagnon.  » Strauss-Kahn a été arrêté à New York. – Rendors-toi, ce sont des conneries « , répond Hollande. Quelques minutes plus tard, après avoir consulté les sites d’info américains, elle insiste :  » Il se passe quelque choseà  » Quand le député de Corrèze se ressaisit, il lâche :  » Comment a-t-il pu être aussi imprudent ?  » Très vite, son obsession reprend le dessus. La politique. Dans les heures qui suivent, il craint un appel des élus en faveur de Martine Aubry, qui n’arrivera pas.

La campagne recommence. Solitaire et imperméable aux conseils, Hollande n’aura pas dévié – ni pendant la primaire ni lors de la présidentielle – de la ligne qu’il s’était fixée dès 2009 : la priorité à la jeunesse, la réforme fiscale, la réforme bancaire.  » Cela va lui faire bizarre d’arrêter « , plaisante le fidèle Stéphane Le Foll. Il a pris goût à la conquête de l’Elysée.  » Le patron, désormais, ce sera lui, estime le maire de Paris, Bertrand Delanoë. Il ne va pas abandonner son pouvoir au bout de dix jours.  » A Bercy, le 29 avril, une semaine avant son sacre, François Hollande lance à la foule qui l’acclame :  » Mes chers amis, je vous attendais ! Je vous attendaisà depuis si longtemps. « 

ELISE KARLIN ET MARCELO WESFREID

 » Sa force, c’est qu’il n’écoute que lui-même. Car il a la certitude d’être le meilleur « 

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