Kizito Mihigo à sa sortie de prison à Kigali en 2018. Sa liberté ne durera pas. © JEAN BIZIMANA/REUTERS

Kizito Mihigo, harcelé jusqu’à la mort

Adulé, puis banni, le chanteur Kizito Mihigo est mort dans une cellule de la prison de Kigali. Ses mémoires, dont Knack a publié des extraits, montrent comment l’étau du pouvoir s’est resserré sur lui.

Accusé d’avoir voulu passer au Burundi pour rejoindre un mouvement armé, le très populaire chanteur rwandais Kizito Mihigo est mort quatre jours après son incarcération dans une cellule de la prison de Kigali. Raison officielle :  » suicide « . Quelle troublante destinée pour ce survivant du génocide des Tutsis en 1994, alors qu’il n’avait que 12 ans. Il ne retrouvera jamais le corps de son père, tué par les milices génocidaires hutues. De cette horreur, et de toute sa vie d’après, il témoigne dans un texte rédigé clandestinement, et dont l’ancien journaliste de la VRT Peter Verlinden a publié des extraits dans l’hebdomadaire néerlandophone Knack le mercredi 18 mars.

Depuis le traumatisme du génocide, Kizito avait trouvé la résilience nécessaire pour construire une vie au service de la réconciliation entre les Rwandais. Animé d’une profonde foi chrétienne, il montre très vite des talents pour le chant. En 2001, il participe à la composition du nouvel hymne national. Le régime l’adore.  » En 2003, les plus hautes autorités du pays m’accordent une bourse pour des études de musique en Europe, écrit-il. Le président Kagame me confirmera plus tard, lors d’une rencontre privée, que c’est bien lui qui en a donné l’instruction.  »

A son retour en 2010, le chanteur crée une fondation pour la paix. Débutent alors trois années de concerts à succès dans les stades et les églises. Il refuse toutefois de s’engager dans le FPR (Front patriotique rwandais, au pouvoir).  » A cause de mon engagement, les critiques se multiplient, surtout dans le camp des prorégime : « Qui est ce Tutsi rescapé du génocide qui fréquente tous les milieux ? Est-il vraiment tutsi ? Vraiment rescapé ? Il parle avec les génocidaires présumés… » Et moi, dans mon coeur, je me réjouis en disant : « Si ma musique peut créer un terrain de rencontre puis de réconciliation entre deux parties de ma communauté qui ne se rencontrent et ne se parlent jamais, alors c’est de cette façon que je vais servir Dieu. »  »

Quand tout bascule

Le 5 mars 2014, il lance sa nouvelle chanson, La Signification de la mort. Elle passe très mal en haut lieu. C’est que Kizito appelle à rendre hommage aux victimes du génocide des Tutsis, mais aussi aux victimes des crimes commis par le FPR. Sacrilège ! Ces victimes-là n’ont pas le droit d’être évoquées au Rwanda et ses chansons sont aussitôt interdites d’antenne. L’engrenage est lancé :  » Je reçois tous les jours des coups de fil de personnalités qui m’accusent d’avoir adopté un langage négationniste et révisionniste.  » Le chanteur reçoit des messages selon lesquels il pourrait être tué.  » Certains me conseillent de quitter le pays mais je n’en ai pas envie.  »

J’ai éprouvé une profonde honte d’avoir collaboré avec un système aussi barbare. u0022 Kizito Mihigo, à propos du régime de Kigali.

Kizito raconte les pressions subies, notamment de la part d’Inès Mpambara, directrice de cabinet de Kagame, et de Bernard Makuza, vice-président du Sénat. La première le somme d’enlever la chanson de YouTube, de demander pardon au président Kagame et d’écrire une tribune dans les médias pour s’excuser. Elle aurait averti :  » Kizito, tu dois savoir que, si tu ne fais pas ça, tu es mort ! Tu comprends ? Si tu ne fais pas ça, tu es mort !  » Même s’il lui est impossible de retirer la chanson de YouTube, Kizito Mihigo marque son accord et compose deux chansons moins polémiques en vue du 20e anniversaire du génocide.

Mais à la veille des commémorations, le 6 avril 2014, il est arrêté et détenu ensuite en plusieurs lieux secrets. Le 15 avril, il est interrogé par le redouté général Dan Munyuza .  » Tu devais mourir mais on t’a laissé en vie parce que tu nous as dit la vérité et tu as demandé pardon « , lui déclare l’officier dans l’entretien reconstitué par le chanteur. Dan Munyuza aurait ajouté :  » Alors, écoute bien si tu veux rester en vie. Tout ce dont on t’accuse, tu dois plaider coupable et demander pardon. Tu as compris ? Si tu fais ça, les choses deviendront faciles. Mais si tu cherches à entrer dans un bras de fer en niant les accusations, on te donnera la perpétuité et tu mourras en prison.  »

Dans son livre, Kizito ne cache pas son  » dégoût  » du régime, qui remonte à janvier 2014, quand Paul Kagame avait publiquement cautionné l’assassinat de son ancien chef des services de renseignement Patrick Karegeya. Celui-ci, devenu opposant, avait été étranglé fin 2013 dans sa chambre d’hôtel en Afrique du Sud.  » J’ai éprouvé une profonde honte d’avoir collaboré avec un système aussi barbare « , écrit Kizito. Il ajoute :  » Les services secrets, la police et l’armée tuent et enlèvent des citoyens. Un ami rwandais m’en avait parlé lorsque j’étais en Belgique mais, à cause de mon fanatisme pour Kagame, j’avais toujours réfuté ses allégations.  »

A l’ambassade belge de Kigali

Le chanteur est condamné à dix ans de détention pour complot. Au printemps 2018, il reçoit le signal d’une libération anticipée, sur fond d’un deal entre la France et le Rwanda pour la nomination de la ministre Louise Mushikiwabo à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie. C’est Dan Munyuza, devenu chef de la police, qui l’en informe.  » Il me demande ce que j’aimerais faire après ma détention, rapporte Kizito. Je lui dis que je suis un chanteur et que j’ai une fondation, et que j’aimerais continuer ma vie ainsi.  » Dan Munyuza lui demande d’intégrer un volet  » sécurité  » dans sa fondation  » pour contrer ces gens qui sèment l’insécurité et veulent la guerre « .

Le 21 septembre 2018, Kizito rencontre le général au siège de la police.  » Il m’accueille avec le sourire en me félicitant d’avoir reçu la grâce présidentielle. Il me demande ensuite d’éviter tout ce qui pourrait me faire tomber dans le même problème car, selon lui, je n’aurais plus la « chance d’être emprisonné ». Je lui confirme que j’ai tout compris. Il m’interdit aussi de parler aux Blancs « . Kizito comprend qu’il ne pourra plus vivre en sécurité dans son pays  » aussi longtemps que le FPR est au pouvoir « .

Quinze jours avant sa mort, le musicien harcelé par le pouvoir aurait rencontré un diplomate de l’ambassade de Belgique pour envisager une demande d’asile. Selon Peter Verlinden, conseil lui aurait été donné de solliciter un visa à l’ambassade belge… de Bujumbura. Le voyage vers le Burundi, durant lequel il a été interpellé, aurait donc eu un tout autre objet que la version officielle. Le 17 février dernier, Kizito Mihigo était retrouvé pendu dans sa cellule, suscitant une onde de choc au Rwanda et dans toute la diaspora.

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