Kizito Mihigo, adulé puis tombé en disgrâce. © STEPHANIE AGLIETTI/BELGAIMAGE

Mort d’un réconciliateur

L’émotion et l’indignation ne retombent pas après le  » suicide  » de Kizito Mihigo, un chanteur très populaire et respecté.

Accusé d’avoir voulu passer au Burundi pour rejoindre un mouvement armé, et incarcéré à Kigali depuis le 13 février, le très populaire chanteur Kizito Mihigo est mort quatre jours plus tard dans sa cellule. Officiellement  » suicidé « . Un décès qui s’ajoute à d’autres morts suspectes d’opposants dans les prisons rwandaises. Depuis lors, c’est l’émotion qui étreint les Rwandais, Hutus comme Tutsis. Car ce chanteur de mélodies religieuses, né en 1981 et animé d’une profonde foi chrétienne, s’était fait l’apôtre de la paix et de la réconciliation après le génocide de 1994, dont il est lui-même un rescapé. Le régime l’invitait à chanter lors des commémorations. Le président Kagame, qu’il adulait, l’aidera à poursuivre ses études au Conservatoire de musique de Paris. A son retour, en 2010, il crée une fondation pour la paix.

En 2014, sa vie bascule. En cause, une chanson intitulée (en kinyarwanda) La signification de la mort, dans laquelle il appelle à rendre hommage aux victimes du génocide des Tutsis, mais aussi des crimes commis par le Front patriotique rwandais, le parti au pouvoir. En brisant ce tabou – car ces victimes-là n’ont pas le droit d’être évoquées au Rwanda -, il s’attire les foudres du régime, qui interdit aussitôt la diffusion de ses chansons. Le jour du 20e anniversaire du génocide, le 7 avril 2014, il est porté disparu. Ce n’est qu’une semaine plus tard qu’il est exhibé face à la presse et accusé d’avoir comploté en vue de renverser le gouvernement.

Kizito est condamné à dix ans de prison.  » On m’a dit que je n’avais pas d’autre choix que de plaider coupable si je voulais survivre « , aurait-il témoigné. Le chanteur sera finalement gracié en 2018. Mais ses chansons ne sont plus diffusées, et sa fondation entre en léthargie. Il se limite à chanter à quelques messes de communion, et apprend la musique aux enfants.

Très actif sur les réseaux sociaux, Olivier Nduhungirehe, secrétaire d’Etat rwandais aux Affaires étrangères, est un des rares officiels à avoir réagi à son décès :  » Le suicide d’un jeune homme, aussi troublé soit-il, est toujours un drame. Mais l’exploitation politicienne de sa mort par les génocidaires, négationnistes, groupes armés et leurs suppôts étrangers, est vraiment atroce.  » Il est ensuite passé à l’offensive en relayant un article du site ougandais ChimpReports,  » Comment le musicien Mihigo a comploté pour renverser Kagame  » et basé sur des échanges WhattsApp avec Callixte Nsabimana, alias Sankara, à l’époque membre du Rwanda National Congress, un mouvement d’opposition créé par un ancien proche de Kagame.

 » Il était en effet en contact avec Sankara, même si le contenu des conversations a été déformé, témoigne l’exilé Mbonyumutwa Ruhumuza, à qui Kizito s’était confié. Quand Sankara a évoqué une guerre à mener au Rwanda. Kizito n’en voulait pas, il a rétorqué que « si c’est Kagame le problème, c’est à lui qu’il faut s’en prendre plutôt que de risquer la vie de millions de personnes ».  » Sankara est aujourd’hui en prison à Kigali après avoir été mystérieusement extradé d’un pays tiers.

Kizito Mihigo aurait-il été liquidé parce qu’il refusait de témoigner contre des opposants actuellement en procès ? Ou faut-il croire la version d’un profil fragile, qui sentait qu’il ne pourrait survivre à une deuxième incarcération ? Au pays des mille collines, qui est aussi celui des mille silences, il est malvenu de contredire l’autorité.

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