Faute médicale ou aléa thérapeutique ?

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Diagnostic erroné ou tardif, intervention ratée, mauvais dosage d’un médicament… Les médecins aussi peuvent se tromper. Le fonds des accidents médicaux est désormais opérationnel. Il permet d’être indemnisé sans procès.

 » Il y a quelques années, on a observé une vague d’erreurs médicales en gynécologie obstétrique et en chirurgie esthétique. Aujourd’hui, elles sont surtout fréquentes en dentisterie-orthodontie.  » Anne-Cécile Hansenne est juriste à l’ASBL Erreurs médicales, à Bruxelles. L’association a été fondée en 1996 par Jean Rodriguez suite au décès de son fils de 16 ans, victime d’une faute lors d’une extraction de dents de sagesse. L’adrénaline injectée pour réveiller Alan à l’issue de l’opération n’avait pas été diluée. L’adolescent a fait un arrêt cardiaque.

L’équipe d’Erreurs médicales vient en aide aux patients. Ses activités sont axées sur l’écoute, l’information, le traitement des plaintes et la gestion des demandes d’indemnisation. L’ASBL reçoit plusieurs centaines d’appels par an, dont environ un quart conduisent à l’ouverture d’un dossier, quand la suspicion de faute paraît fondée.

Confondre deux patients

 » Les erreurs sur la personne, sur le côté du corps à opérer ou sur le membre à soigner sont les plus flagrantes et les plus médiatisées, raconte Anne-Cécile Hansenne. On a ainsi confondu, dans un hôpital, deux personnes qui portaient le même nom et le même prénom et avaient la même pathologie. Des accidents sont fréquents lors des endoscopies : les caméras blessent parfois des organes. Beaucoup d’erreurs sont commises dans les services d’urgence. Cas classique : un malade est renvoyé prématurément chez lui, décision suivie d’un retour en catastrophe à l’hôpital. Des incidents surviennent les week-ends et pendant les périodes de vacances, quand les équipes soignantes sont en sous-effectif.  »

Faute de chiffres absolus, on ne sait combien d’erreurs médicales se produisent chaque année en Belgique.  » Des estimations font état de dix mille plaintes annuelles, mais il se peut qu’un patient accuse un soignant à tort, ou, à l’inverse, que de nombreuses erreurs passent entre les mailles du filet « , prévient Peter Kupers, du service statistique de Test-Achats. Il convient, en outre, de distinguer la  » faute médicale  » et l' » aléa thérapeutique  » (ou  » accident médical « ), deux notions faciles à confondre.  » Dans le premier cas, le prestataire de soins cause au patient un dommage anormal ou imprévu qu’un confrère placé dans les mêmes circonstances n’aurait pas commis, explique la juriste Anne-Cécile Hansenne. En revanche, l’aléa thérapeutique est un acte dont on ne peut attribuer la responsabilité au médecin : complications liée à un traitement, à une intervention, séquelles d’une opération, effets secondaires d’un médicament…  »

Erreurs par omission

 » Il y a souvent des erreurs par omission, remarque le Dr Michel Vermeylen, de l’Absym (l’association belge des syndicats médicaux). Un confrère bruxellois a été attaqué en justice après le décès d’une jeune patiente. Elle était en période de blocus. Il a mis son état sur le compte de la fatigue, alors qu’elle faisait une complication rare de maladie infantile.  » Les erreurs médicales concernent surtout des chirurgiens (34 %), des généralistes (19 %) et des orthopédistes (13 %), selon une enquête Test-Achats de 2011. Rares sont, parmi les personnes qui pensaient avoir été victimes d’une erreur médicale ces dix dernières années, celles qui ont porté plainte en justice (7 %). C’est à elles que revient la charge de prouver le dommage et le lien avec la faute. Ce n’est pas évident quand les documents nécessaires à la preuve sont entre les mains de celui qui l’a commise. La majorité de ceux qui ont intenté un procès pénal au cours de la dernière décennie sont toujours en attente du verdict.

Depuis avril 2010, les victimes peuvent, sans intenter un procès, faire une demande d’indemnisation. Le Fonds des accidents médicaux, aujourd’hui opérationnel, étudie le dossier et rend un avis sur la gravité du dommage et sur le fait qu’il résulterait d’une faute. Si l’assureur du prestataire de soins ne fait pas de proposition d’indemnisation, le Fonds peut indemniser lui-même la victime. Seules les personnes victimes d’une erreur survenue après le 2 avril 2010 peuvent ouvrir un dossier. Pour autant que les autres conditions d’indemnisation soient remplies, le fonds remboursera les dommages ne résultant pas d’une faute si l’invalidité permanente atteint au minimum 25 %.

Eviter la médecine défensive

 » Ce fonds d’indemnisation sans reconnaissance de la faute du praticien permet d’éviter de tomber dans une médecine défensive « , remarque le Dr Anne Gillet, présidente du GBO, le Groupement belge des omnipraticiens. Le Dr Michel Vermeylen confirme :  » Le système nous préserve des dérives américaines : ces juristes postés à la sortie des hôpitaux pour convaincre des patients d’intenter un procès à leur médecin.  »

Le Dr Jean-Jacques Rombouts, vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins, estime que 200 à 250 dossiers sont rentrés auprès du Fonds des accidents médicaux chaque année pour des dommages résultant de soins de santé :  » Les experts, dont je fais partie, ont pour mission de déterminer le dommage et son origine, mais ils doivent aussi dire s’il y a suspicion de faute médicale. L’existence d’une faute médicale est appréciée par le juge, éclairé par le rapport d’expertise. Si le diagnostic est erroné alors que toutes les précautions ont été prises, il n’y a pas faute. Prenons le cas d’un pédiatre accusé de ne pas avoir diagnostiqué une luxation congénitale de la hanche chez un enfant. Pour qu’il y ait faute, les parents doivent prouver qu’il n’a pas examiné leur enfant ou négligé des signes patents.  »

Olivier Rogeau

 » Les erreurs sur la personne, sur le côté du corps à opérer ou sur le membre à soigner sont les plus flagrantes et les plus médiatisées  »

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