Extrême gauche Marx en sourdine

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Le capitalisme en crise devrait lui donner des ailes : l’extrême gauche peine pourtant à décoller. Sa seule étoile montante, le PTB, croit avoir trouvé la voie pour capitaliser des voix : modérément révolutionnaire, volontiers populiste à la sauce marxiste.

Le capitalisme prend un méchant coup de froid, et les camarades ne se tiennent plus de joie. Les banquiers au tapis, l’économie de marché groggy : quiconque se réclame de Marx peut difficilement rêver mieux. Le moment d’un réveil tombe à pic pour la gauche radicale : à la veille d’un scrutin, il y a un effet d’aubaine à saisir et des dividendes à récolter. Les marxistes-léninistes de tout poil vont encore se bousculer au portillon des prochaines élections. Parfois en front commun, le plus souvent en ordre dispersé ( lire l’encadré ci-contre). Le petit monde situé à la gauche de la gauche est incorrigible dans l’art de se diviser pour ne pas régner. Cette vieille manie lui coûte cher. Car cette constellation de formations est inversement proportionnelle à son poids électoral, souvent proche du zéro. Seul l’échelon local échappe, çà et là, à ces piètres performances. Crise ou pas, la nébuleuse de l’extrême gauche repart au combat en pagaille. Ce qui devrait la condamner, une fois de plus, à végéter dans les urnes. Même si certains de ses représentants espèrent surfer sur la vague anticapitaliste portée par le populaire Olivier Besancenot en France.

Toute règle a ses exceptions. Le PTB-PVDA, ou Parti du Travail de Belgique, entend le prouver en se donnant une certaine envergure. Mais au prix d’une mue qui a de quoi laisser rêveur ou pantois le marxiste le plus endurci. Dimanche 22 mars. Dans un auditoire de l’université flamande de Bruxelles, 1 200 personnes ont rallié le congrès du PTB pour le coup d’envoi de sa campagne électorale. Pour l’occasion, le parti a enrichi son sigle d’un petit « + », en signe d’ouverture à des candidats extérieurs. L’estrade s’est transformée en piste de cirque avec, en toile de fond, une brochette d’effigies : Reynders, Van Rompuy, Leterme, Di Rupo et autres Bart De Wever, affublés d’un nez rouge et coiffés d’un chapeau de clown, sont affichés pour amuser la galerie. Rendez-vous est pris pour le 7 juin, décrété  » journée des nez rouges « . La consigne électorale :  » Stop au cirque politique.  » Foncièrement populiste, fort peu marxiste…  » Il faut bien attirer les gens par un slogan « , justifie Riet Dhont, secrétaire générale du PTB Bruxelles/Brabant. Un slogan pour attirer le chaland. Qui se veut  » fun « . A l’image du spectacle offert lors du congrès, qui se paie largement la tête de la classe politique. Le discours ambiant fleure l’antipolitisme et l’appel au vote-sanction. Banquiers et grands patrons, cibles pourtant privilégiées de l’extrême gauche, sont en revanche très peu à l’honneur. Les Lippens, Votron, Davignon et autres Miller n’ont pas droit à la parure de clown.

Le rassemblement électoral compte d’autres grands absents. Marx, Engels et Lénine restent invisibles. Ni marteau ni faucille. Comme si la gauche radicale, pour se faire plus séduisante, mettait son  » core business  » en veilleuse. On est loin du slogan belliqueux jadis brandi par l’ancêtre du PTB, Amada-TPO (Tout le Pouvoir aux Ouvriers), et pourtant bien de circonstance :  » Faites payer la crise aux riches « .  » Ce slogan sonnait plus juste. Mais il était mal compris car il faisait peur. Certains épargnants se sentaient visés « , admet l’avocat Jan Fermon, militant de longue date du parti. Plus question d’effaroucher l’électeur. De vouloir son bonheur contre son gré. Le PTB s’est mis au goût du jour. Il cherche à conquérir de vulgaires parts de marché électoral. Pour ce faire, il a radicalement changé son fusil d’épaule. Jeté aux orties ses  » modèles  » cubains ou nord-coréens. La dictature du prolétariat ? On oublie.  » Allez un peu vous adresser de cette manière aux riches ouvriers de la pétrochimie anversoise qui sont nombreux à voter Vlaams Belang… « , confie un cadre du parti. La classe ouvrière n’est plus ce qu’elle était, et le PTB l’a bien compris.  » Le PTB, c’est le Parti du Travail et pas le parti des travailleurs « , rappelle Manuel Abramowicz, spécialiste de la gauche radicale. La nuance est de taille. Le verbiage idéologique a donc cédé le pas à des combats pragmatiques et porteurs : la TVA à 6 % sur le gaz et l’électricité, une taxe de 2 % sur les millionnaires, le modèle néo-zélandais  » kiwi  » censé rendre les médicaments meilleur marché.

Faire payer la crise aux riches, encore et toujours. Mais de manière plus policée, et non par la voie extrême de la révolution.  » Nous nous débarrassons de cette étiquette. C’est une révolution des idées que nous voulons !  » s’enflamme Riet Dhondt, trente ans de militantisme à son actif.  » Ce n’est pas en brandissant Le Capital de Marx que l’électeur sera convaincu « , confirme Carl Devos. Mais en véhiculant un discours qui, selon le politologue de l’université de Gand, n’est pas sans rappeler le langage aux accents populistes de gauche de l’ex-président du SP.A, le populaire Steve Stevaert. Nadine Rosa-Rosso, l’ex-secrétaire générale du PTB virée du parti en 2004 pour avoir voulu forcer un débat interne, en est toute dépitée :  » Ce populisme est une voie sans issue. D’autres le pratiquent avec plus de talent. Aucun ravalement de façade ne résoudra les problèmes. Les larges couches populaires qui ont abandonné les partis socialistes n’ont pas cherché de solutions plus à gauche, mais bien plus à droite.  »

Le PTB nouveau, issu d’une refondation entérinée au début 2008, relève le pari. Sa direction relookée soigne sa com’. Le parti ne snobe plus le filon des attrape-voix. Il s’est payé un joli coup de pub en attirant sur ses listes l’infirmière et déléguée syndicale Tine Van Rompuy, la s£ur du Premier ministre CD&V. Ou encore le chanteur du groupe phare du hip-hop belge Starflam. La barrière des médias  » bourgeois  » n’est plus infranchissable : le président du parti, Peter Mertens, devient un habitué des plateaux de télé flamands. Le PTB-PVDA ne désespère plus de faire un jour irruption dans un parlement, l’£il rivé sur les succès électoraux de ses alter ego, le SP hollandais et Die Linke en Allemagne. A moins que son avenir ne se conjugue avec le SP.A-Rood, l’aile radicale des socialistes flamands.  » Ce scénario pourrait prendre corps si le SP.A ne se ressourçait pas dans un discours clairement ancré à gauche « , estime Carl Devos. Tant pis s’il y a un tribut à payer pour séduire ou flatter l’électorat, singulièrement dans une Flandre plutôt droitière sur le plan économique. Les jeunes pousses du PTB ne s’en offusquent guère.  » La jeune génération est née à l’époque de la chute du mur de Berlin « , rappelle Manuel Abramowicz. A l’heure d’entonner L’Internationale pour clôturer le congrès électoral du PTB, certains poings tardent ou hésitent à se lever. Certaines habitudes se perdraient-elles chez les camarades d’un nouveau type ?

Sur l’ensemble de la Belgique, la gauche radicale a obtenu 30 élus aux élections communales d’octobre 2006. Une progression par rapport aux 13 sièges obtenus en 2000. Aux législatives de juin 2007, le PTB a réalisé ses meilleurs scores dans les cantons d’Assenede (7,3 %), Herstal (6 %), Genk (3,4 %), La Louvière (3,2 %), Seraing (2,9 %) et Anvers (2,6 %). Le Parti communiste a approché la barre des 2 % à Mouscron, La Louvière, Estaimpuis, Le R£ulx et Fontaine-l’Evêque.

PIERRE HAVAUX

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