Euthanasie : la fin de l’hypocrisie

Laconique, le communiqué a précisé qu’elle est morte, le week-end dernier, après « plusieurs jours d’extrême difficulté respiratoire ». Exactement comme elle l’avait tant redouté: d’une lente asphyxie… Condamnée par une maladie incurable, Diane Pretty, cette Britannique de 43 ans complètement paralysée, aura, aussi, été condamnée, par la loi, à mourir en souffrantintensément : la justice britannique et la Cour européenne des droits de l’homme avaient toutes deux refusé sa demande de pouvoir s’éteindre dans la dignité, avec l’aide, indispensable, de son mari.

Un tel drame ne pouvait que relancer, et pas seulement en Grande-Bretagne, le débat sur la fin de la vie. Le hasard veut que le projet de loi belge sur l’euthanasie achève son parcours parlementaire. Le texte est, à l’évidence, imparfait et incapable de répondre à toutes les situations: une mort n’en est pas une autre et l’euthanasie pose des questions auxquelles le droit, la politique, la science et la morale, c’est-à-dire la société, ne peuvent apporter que des réponses incomplètes. Cette loi n’en constitue pas moins un tournant majeur dans la prise en considération d’un problème que personne ne pouvait plus feindre d’ignorer.

Certains, et nous en étions, avaient salué à l’époque la hauteur des débats et la profondeur des arguments échangés au Parlement sur ce thème difficile. D’autres, aujourd’hui, déplorent que le texte dépénalisant partiellement et sous conditions l’euthanasie ait finalement pris l’allure d’un compromis négocié davantage entre les états-majors de partis qu’à la tribune du Sénat. Ce n’est pas faux. La nouvelle loi multiplie les obligations à l’égard des médecins et peut donner à l’euthanasie, dans certains cas, une dimension administrative qui paraît presque saugrenue. Face à la mort et à cette ultime solitude que chacun affronte comme il peut, le dialogue singulier entre un patient et son médecin aurait dû, idéalement, rester la règle.

Au vu des implications juridiques et éthiques, il était cependant vain de s’attendre à une loi minimaliste: car il ne s’agit pas d’entériner la décision individuelle d’une personne – la volonté de mourir – mais bien de permettre à un tiers de l’assumer légalement. L’enjeu est de taille.

S’il n’a pas tous les mérites, le texte en a cependant deux qui excusent largement ses faiblesses. Il traduit d’une part la volonté, courageuse dans un pays aux clivages philosophiques toujours présents, de mettre fin à des années d’hypocrisie – l’euthanasie est régulièrement pratiquée en Belgique – et, d’autre part, de lever autant que possible l’insécurité juridique pour les médecins acceptant de répondre à la demande expresse d’un patient réclamant une euthanasie.

L’hypocrisie? On avait fini par s’accommoder d’oeillères efficaces : devant l’interdiction légale de l’euthanasie « active » (injection délibérée d’un produit à dose létale), un consensus plus ou moins tacite s’était fait autour de l’euthanasie « passive », qui laisse le patient s’éteindre, si possible sans souffrances, hors de tout acharnement. Or, dans bien des cas, l’augmentation progressive des antidouleurs accélère le décès… C’est dire toute l’ambiguïté de la démarche.

Quant à la sécurité juridique que souhaite instaurer le texte, s’il est trop tôt pour en juger, il se veut en tout cas, et c’est déjà un progrès, une tentative de réponse à l’arbitraire en vigueur jusqu’à présent. Le pouvoir judiciaire fermait les yeux? La belle affaire! De temps à autre, un dossier apparaissait au grand jour, le plus souvent suite à une dénonciation. Outre le fait qu’elle introduisait, selon l’humeur des parquets, une inégalité de traitement entre les justiciables, cette épée de Damoclès alourdissait encore le fardeau que certains médecins acceptaient de porter, à leurs risques et périls. Croire, en effet, que l’euthanasie est un acte banal, volontiers pratiqué par certains d’entre eux, est un raccourci idéologique déconnecté de la réalité: une euthanasie est toujours, pour un médecin qui l’accepte, une décision difficile à prendre et lourde à assumer.

Reste, au-delà de l’application d’une loi aussi importante, l’aspect philosophique, qui interpellera chacun selon ses convictions. Face à une durée de vie qu’il sait inexorablement limitée, l’homme s’est, de tout temps, inventé une série d’outils conceptuels capables de rendre supportable l’insupportable idée de la mort. En lieu et place pour les uns, aux côtés pour d’autres, d’une loi divine ou d’une compassion impuissante, l’émergence d’une morale revendiquant l’autonomie de la volonté personnelle a fait évoluer les moeurs. Associée aux progrès de la médecine, cette lente mutation a changé notre rapport à la souffrance, à la mort et à la dignité, en élargissant le champ de l’autodétermination pour ceux qui en éprouvent le besoin.

Affirmer qu’il n’existe pas une vérité, mais des vérités ne signifie pas nier la vérité du voisin, ni vouloir lui en imposer une autre. On en retiendra pour preuve que le débat sur l’euthanasie a considérablement fait progresser, dans le même temps, la cause des soins palliatifs, pratiquement inexistants il y a dix ans à peine. Cette diversité d’opinions, qui a détrôné le monolithisme religieux d’antan, se voit aujourd’hui entérinée par le droit belge. Une telle ambition peut être critiquée pour ses inévitables imperfections. Mais elle a un immense mérite: celui de consacrer la liberté d’opinion. Car devant la mort, chacun n’a qu’une réponse: la sienne.

STÉPHANE RENARD

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