CONCOURS REINE ELISABETH

En route pour Tchaïkovski et Sibelius: après les moments de grâce des deux premiers tours, le concours prend la forme symphonique et entame le grand show final

Pour son cinquantième anniversaire, et au terme des deux premiers tours, le concours se sera surtout distingué par une conformité idéale à la grande tradition, avec tout ce que cela comporte d’admirable, de touchant, de désuet et d’irritant.

L’admirable, d’abord, c’est la concentration dans le temps et l’espace de tant de personnalités jeunes et talentueuses (parfois géniales), offertes au public et à la critique dans l’espoir d’un futur meilleur, d’une avancée dans la carrière ou tout simplement d’un partage de leur art. Cet espoir-là ne va pas sans risques, en ce compris des blessures dont les jeunes musiciens ne réalisent la violence – et parfois le côté incurable – qu’après les avoir subies. Mais les cadeaux sont distribués généreusement aussi, qu’il s’agisse de virtuosité, d’émotion, de pure beauté (rare) et de message éthique (exceptionnel).

Le touchant, c’est l’accueil unique, « à la belge », déployé à l’égard des candidats: par le concours lui-même, grâce à une équipe attentive et dévouée; par le public, fidèle et empressé, toujours prêt à encourager les artistes; et par les familles d’accueil, au sujet desquelles on pourrait écrire un roman, ou plutôt autant qu’il y eut de candidats, puisque c’est à chaque fois un raz de marée d’émotions et d’aventures.

Le désuet, c’est, bien entendu, le répertoire, confiné dans la musique du passé, essentiellement romantique et virtuose, même si une heureuse initiative place désormais une oeuvre composée au cours des cinquante dernières années dans le cahier des charges des candidats. Le concerto inédit (au départ, une idée géniale) apparaît, hélas, d’abord, en ces circonstances de stress, comme la performance « imposée ». Pour la majorité des finalistes, il constitue certainement l’épreuve la plus lourde de toutes.

L’irritant, c’est la compétition, et son cortège de relais médiatiques inévitables, établis dans l’excitation factice et le show, sous prétexte d’élargissement d’audience et de soutien aux jeunes talents. Entre l’Eurovision de la Chanson et Roland-Garros…

Mais, sans la compétition, serait-il possible de connaître la même intensité, la même euphorie, le même engouement? Si la question est souvent posée, les réponses constructives sont rares. Ou bien les interlocuteurs sont impliqués, et leur réponse dépendra trop souvent de leurs heurs et malheurs au concours, ou de leur position officielle vis-à-vis des institutions. Ou bien ils ne le sont pas du tout, et l’on s’étonnera alors de constater à quel point la question leur est indifférente.

Associer un classement objectif et chiffré à des matières artistiques est une incongruité et, même, une erreur. Sur cela, tout le monde est au fond d’accord, même dans les milieux proches du Reine Elisabeth. Mais, faute d’alternative, le concours garde sa fonction de mal nécessaire.

On pourrait, pourtant, dépasser ce blocage: pourquoi ne pas transformer le concours en un festival des jeunes talents, à l’image, notamment, du festival de Cambrai, où un système de recommandations obtenues au plus haut niveau de la profession et soigneusement recoupées permet aux jeunes d’être invités à se produire? Le Kunstenfestival des Arts, les Académies de Saintes, celle d’Aix-en-Provence ou Ars Musica ont-ils besoin d’un classement de leurs interprètes pour attirer le public et l’intérêt des médias?

Si, muni de son formidable capital de prestige, de sympathie et de contacts (trépied du succès, dans quelque domaine que ce soit), le concours se transformait en festival, on assisterait à une explosion artistique. On verrait aussi de façon éclatante ce qui a déjà été souligné à plusieurs reprises (notamment dans l’ouvrage de Alphie Kohn, No Contest, the Case Against Competition): le bilan de la compétition est globalement négatif, et le meilleur moyen d’épanouir les performances est de renforcer la collaboration.

Bruxelles, palais des Beaux-Arts, du 21 au 26 mai. Tél.: 02-513 00 99. Retransmis chaque soir à la RTBF sur La Deux et sur Musique 3.

Martine Dumont-Mergeay

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