Comment payer sa maison moins cher

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Une société peut acquérir l’usufruit d’un immeuble et proposer à son gérant le statut de nu-propriétaire. La formule est intéressante. Mais elle pourrait faire l’objet de plus de contrôles à l’avenir.

C’est une astuce fiscale. Légale, elle permet d’épargner des sommes non négligeables lors de l’acquisition d’une habitation. Le principe : une société achète l’usufruit d’un immeuble (c’est-à-dire la jouissance d’un bien dont un autre a la propriété), tandis que l’administrateur délégué ou le gérant de cette même société en acquiert la nue-propriété. Cette pratique est essentiellement le fait de sociétés unipersonnelles ou de couples, de médecins par exemple, qui ont créé une société pour encadrer leur activité professionnelle.

 » Ce système est fort répandu parmi les indépendants, confirme François Collon, avocat spécialisé en droit fiscal. Mais si l’on ne dispose pas d’une société, ou que l’on n’a aucun intérêt à en créer une, il est hasardeux de se lancer dans un tel processus uniquement pour bénéficier de cet avantage fiscal. L’administration fiscale est, en effet, à l’affût de montages qu’elle jugerait artificiels. « 

Le gérant peut habiter le bien ou l’utiliser pour un usage mixte (privé et professionnel). Soit il en bénéficie gratuitement – et il sera taxé sur cet avantage en nature, ce qui, dans la majorité des cas, lui coûte malgré tout moins cher qu’un loyer classique. Soit il devra s’acquitter d’un loyer, intégré chaque mois à la base imposable de la société.

Quels sont les principaux avantages de la formule ?

La société peut déduire toutes les charges liées à l’immeuble : assurances, frais de financement, d’entretien, de réparation, amortissement, précompte immobilier, etc.

La société peut amortir la valeur de l’usufruit et les éventuels travaux d’aménagement sur la durée de vie de l’usufruit (quinze ans, en général), donc plus rapidement que si elle était pleine propriétaire de l’immeuble (3 % de la valeur de la pleine propriété par année fiscale).

Quand l’usufruit arrive à son terme, le nu-propriétaire (l’administrateur délégué ou le gérant de la société) retrouve la pleine propriété de l’immeuble sans devoir la moindre indemnité à l’usufruitier (la société).

En cas de cession de la société, et à condition que celle-ci ait pour seul actif un patrimoine immobilier, ce sont les titres de la société qui sont revendus et non l’immeuble lui-même. Ce qui permet d’éviter le paiement de droits d’enregistrement. La plus-value réalisée n’est pas taxée non plus.

Le filon est-il juteux ? Certes, l’économie réalisée est supérieure au coût de création d’une société. Mais  » c’est beaucoup d’embarras, insiste Caroline Docclo, avocate en droit fiscal et professeure à l’ULB. Et puis ce n’est pas parce que l’administration offre un abattement fiscal pour chaque enfant que des gens se mettent à faire des bébés  » !

Au 1er janvier 2007, environ 35 000 sociétés étaient recensées à l’administration du cadastre comme détenant semblable droit d’usufruit. Rien qu’en 2006, 7 000 entreprises avaient opté pour cette construction fiscale.  » Que cette pratique s’observe de plus en plus souvent n’a rien d’étonnant, remarque-t-on au service Contentieux des impôts directs : chacun essaie de trouver la voie la plus intéressante et la moins imposée. « 

Des vérifications fiscales plus poussées

Ce qui, forcément, implique un certain manque à gagner pour l’Etat, que l’on se refuse à chiffrer à l’administration des Finances. Carl Devlies (CD&V), secrétaire d’Etat à la Coordination de la lutte contre la fraude, n’en a pas moins décidé, dans le cadre de son plan d’ac-tion, de systématiser l’approche et l’analyse de l’administration des Finances par rapport à cette construction fiscale particulière.  » Nous ne contestons pas la construction fiscale elle-même, sauf dans les cas de simulation, précise Jean-Marie Prevost, auditeur général des Finances. Mais nous vérifierons de manière plus précise, à partir de maintenant, le respect des dispositions fiscales prévues. Nous nous assurerons, par exemple, que la valeur de l’usufruit n’est pas surestimée, que les frais supportés par l’usufruitier le sont à bon escient et que l’usufruitier et le nu-propriétaire assurent bien chacun leur rôle dans le cadre de la loi. « 

Ainsi, la construction d’une piscine ou l’achat de meubles de jardin pour un immeuble détenu en usufruit par une société risque de ne plus passer. Ni le cas de ces deux époux avocats qui vivent dans un logement dont ils sont nus-propriétaires alors que leurs consultations se déroulent ailleurs. Ils risquent bel et bien un redressement fiscal.

Ce plan d’action devrait rencontrer, voire dépasser, les suggestions formulées dans la proposition de loi déposée, en juin 2006, par les députés SP.A Dirk Van der Maelen et Anne-Marie Baeke, dans le but de limiter les avantages fiscaux liés à ce montage.

Laurence van Ruymbeke

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