La publication dans Le Moniteur belge de la liste des secteurs jugés vitaux pour la nation ou la population a également conditionné leur rythme de travail. © HATIM KAGHAT

Coronavirus: comment les entreprises gèrent le déconfinement

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

La reprise progressive de l’activité économique va de pair avec la mise en oeuvre de plans de déconfinement dans les entreprises. Prochaine étape : le 18 mai. Tour d’horizon des principales mesures avec six grands acteurs présents en Wallonie et à Bruxelles.

De tous les stades de la pandémie, une constante se dessine en guise de remède antichaos : la notion de  » plan « . Après les plans d’urgence, de protection sociale et économique ou de relance, voici venu le temps des plans de déconfinement, au gré des annonces du Conseil national de sécurité. Dans un monde où la consultance est reine, des experts en prévention en font d’ailleurs déjà leur nouvelle tasse de thé. Publics ou privés, sommaires ou exhaustifs, préparés depuis des mois ou à la hâte, ces plans so 2020 revêtent un caractère artisanal ou technocrate, d’une entreprise à l’autre. Pour les plus denses d’entre elles, le défi est immense : comment concilier la reprise de leurs activités avec le respect des mesures sanitaires. Une inattention, une négligence menant à une contagion des travailleurs, et c’est toute la responsabilité collective de l’entreprise qui s’en verrait pointée du doigt.

Le contexte actuel a révélé toute l’importance d’un management basé sur le résultat, et non sur la présence.

Ces dernières semaines, les grandes entreprises ont rarement stoppé net leurs activités. Certaines ont tourné à une cadence réduite, tandis que d’autres ont pu maintenir 100 % de leurs services habituels, en dépit d’une baisse du chiffre d’affaires. La publication dans Le Moniteur belge, le 3 avril dernier, de la liste des secteurs jugés vitaux pour la nation ou la population (traduits en commissions paritaires dans le privé) a également conditionné leur rythme de travail. Après le premier palier du 4 mai et celui du 11 pour l’ensemble des commerces, elles préparent désormais l’échéance du 18 ou au-delà. Le Vif/ L’Express a pris le pouls de la reprise auprès de six grands acteurs implantés en Wallonie ou à Bruxelles : Carmeuse (industrie extractive), Ethias (assureur), Laurenty (nettoyage et autres services aux sociétés), Spadel (eau et boissons), Volvo (automobile) et Wanty (construction).

Coronavirus: comment les entreprises gèrent le déconfinement
© HATIM KAGHAT

1. Maintien ou non du télétravail

Quand il est possible, le recours au télétravail restera intense dans la plupart des sociétés. De son côté, Ethias a élaboré une stratégie de déconfinement il y a déjà plus d’un mois.  » Nous avons un plan spécifique pour les activités commerciales, dans nos agences, et un autre pour les activités dans nos sièges administratif « , commente Julien Balistreri, responsable des ressources humaines chez Ethias. Les prestations en télé- travail, le quotidien des dernières semaines pour 98 % de ses travailleurs, y seront maintenues à hauteur de 50 % dans le cadre du déconfinement. L’assureur vient par ailleurs de trouver un accord avec les partenaires sociaux pour introduire une indemnisation des frais liés au travail à domicile.

Chez Laurenty et Carmeuse, le télétravail constituera toujours la norme pour les services administratifs. Idem chez Spadel, au minimum jusque fin mai, où le plan de déconfinement est en cours d’élaboration. Pour sa part, Volvo Belgium envisage un retour au bureau  » pour certaines personnes  » dès le 18 mai. En revanche, le groupe Wanty souhaiterait, à contre-courant de la tendance générale, un retour imminent des employés dans ses locaux, tout en respectant les mesures sanitaires.  » Je ne demande pas mieux que tout le monde puisse revenir, confie Christophe Wanty, l’administrateur délégué du groupe qui emploie aujourd’hui 1 500 personnes, dont 15 % d’employés. Nous voulons rester une entreprise à taille humaine. Pour cela, il est primordial de travailler sur le sentiment d’appartenance. Le télétravail nous prive de cet aspect-là.  »

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2. Mesures de distance sociale

Au bureau, à l’usine, en déplacement ou en plein air, deux mots d’ordre : distances sociales. Ces dernières semaines, les ouvriers de Wanty ont pu continuer à travailler sur de nombreux chantiers où le recours à des machines individuelles n’entrait pas en conflit avec les recommandations sanitaires.  » Dans d’autres cas, nous avons trouvé des astuces, poursuit Christophe Wanty. Pour la pose de bordures d’un mètre, nous avons par exemple allongé la longueur des manches afin de respecter la distance requise d’1 m 50.  » Fortement ralentie jusqu’au 4 mai, la préfabrication de matériaux par la filiale Ronveaux a repris après quelques réajustements, du réaménagement des vestiaires jusqu’à la répartition des périodes de pause. Sur les sites industriels de Spadel et Carmeuse, qui sont restés opérationnels, les réflexes en matière de distance sociale restent identiques à ceux qui étaient déjà en vigueur. Chez Volvo, la reprise du travail dans l’usine de Gand, depuis le 4 mai, se déroulerait sans accroc pour ses 6 500 collaborateurs, d’après René Aerts Jr., le responsable communication du groupe automobile.

Pour le reste, les recettes sont connues : marquages de circuits au sol dans les bureaux, restriction du nombre de travailleurs par local ou ascenseur… Avec parfois, comme chez Ethias, une répartition de fonctions entre deux équipes qui s’alternent et ne se mélangent jamais.

3. Désinfectants et masques

Logiquement, les masques, visières ou stocks de gels hydro- alcooliques constituent désormais des priorités absolues dans tous les secteurs. Déjà coutumier des équipements d’hygiène, le groupe Laurenty a rapidement dû revoir les stocks disponibles à la hausse. Chez Ethias, l’anticipation a visiblement payé :  » On a pu acheter 6 000 masques en tissus et 100 000 masques jetables, témoigne Julien Balistreri. On a aussi devancé la reprise en adressant des masques et du gel hydroalcoolique au domicile de nos collaborateurs, pour qu’ils puissent en bénéficier dans le cadre de leur vie privée.  » Du côté de Volvo, un achat groupé de matériel est censé permettre l’arrivage de 6 000 masques par semaine depuis le 7 mai – recyclables dans un second temps.

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4. Les obstacles

L’organisation du déconfinement et de la reprise peuvent poser des difficultés. C’est le cas, par exemple, des sociétés qui ont recours massivement aux open spaces.  » Les espaces de bureau et de réunion ont été pensés dans un esprit de collaboration et d’échange, indique Christophe Scharpé, responsable des affaires générales chez Spadel. Il conviendra donc de faire preuve de créativité afin de maintenir cet esprit de collaboration tout en garantissant la distanciation sociale nécessaire. Nos équipes travaillent activement sur ce volet pour l’instant.  »

De son côté, Carmeuse donne deux exemples.  » En matière de sécurité au travail, notre stratégie repose notamment sur un contact direct sur le terrain avec nos employés, avec des outils tels que les quarts d’heure de sécurité ou le contact de sécurité, précise Philippe Putman, responsable de la communication pour le groupe carrier. La distanciation sociale rend leur mise en oeuvre plus difficile. Par ailleurs, nos experts dans différents domaines de compétences sont pour l’instant dans l’incapacité de se rendre sur les sites de production à l’étranger. Notamment les géologues qui étudient nos gisements et permettent une utilisation optimale de la pierre calcaire en fonction de sa qualité.  »

Enfin, les précautions en matière de distance sociale peuvent s’avérer plus complexes dans un secteur comme le nettoyage, où leur respect ne dépend pas que de la ligne de l’entreprise, mais aussi des interlocuteurs.  » Il est clair que nos clients ont envie de voir nos aides-ménagères ou nos ouvriers arriver avec la panoplie complète des équipements de protection, mais dans l’autre sens, certains ne prennent pas les précautions nécessaires « , constate Jonathan Prenten, responsable communication chez Laurenty. Pour ses quelque 3 700 ouvriers, la distance sociale se traduit dès lors souvent par une flexibilité accrue au niveau des horaires de travail, effectué plus encore qu’avant durant la nuit ou le week-end.  » Notre personnel s’est toujours montré hyperflexible, souligne- t-il, mais c’est encore plus le cas avec la crise.  »

Au bureau, à l'usine mais aussi, en plein air, deux mots d'ordre : distances sociales.
Au bureau, à l’usine mais aussi, en plein air, deux mots d’ordre : distances sociales.© HATIM KAGHAT

5. Le travail et les bâtiments de demain

En filigrane de ces mesures apparaissent aussi quelques tendances à plus long terme. La plus évidente concerne le télétravail, qui perdurera pour beaucoup après la crise.  » Spadel s’est fixé l’objectif de n’émettre aucune émission de carbone en 2050, sans aucune forme de compensation, rappelle Christophe Scharpé. Une des pistes envisagées est un recours accru au télétravail et une limitation des déplacements professionnels (notamment vers nos sites étrangers), en faisant davantage usage des applications de réunion à distance. Par conséquent, la crise actuelle nous conforte dans les orientations qui ont été prises.  » Même son de cloche chez Ethias, Carmeuse, Volvo et Laurenty.  » Avant, le télétravail était marginal parmi les employés de Laurenty, explique Jonathan Prenten. Eux-mêmes n’étaient pas vraiment demandeurs et on ne s’était nous-mêmes pas posé la question. Mais aujourd’hui, j’imagine mal un responsable d’entreprise laisser ses travailleurs revenir au bureau comme si rien ne s’était passé. Le contexte actuel a révélé toute l’importance d’un management basé sur le résultat, et non sur la présence.  »

Ethias y ajoute la capacité des entreprises à se passer du papier. Ou encore les réflexions à mener au niveau des bâtiments.  » Comme pour le télé- travail, nous avions déjà engagé une réflexion en ce sens avant le coronavirus, mentionne Julien Balistreri. On pourrait repenser l’utilisation des espaces partagés, dans une logique d’embellissement et de maîtrise des frais généraux.  » C’est ainsi que les prochaines semaines de déconfinement pourraient engendrer un point de basculement durable dans la philosophie du travail et dans la culture des entreprises.

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