© JEAN-MARC QUINET/BELGAIMAGE

Batibouw, Salon de l’Auto… Pourquoi ils sont sur le déclin?

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Toujours moins fréquentés, de nombreux salons peinent à sortir de la spirale de la récession. Si le marché mondial continue de croître, la concurrence est plus rude et ceux qui ne se remettent pas en question sont proches de la mort clinique. Autopsie à l’approche d’une édition Batibouw remaniée.

C’était la grand-messe de l’automobile. Malgré ses 69 ans d’histoire et de prestige, le salon international de Francfort n’était pas pour autant immortel. Déserté par une vingtaine de constructeurs, ce n’est pas une lente érosion, mais bien un éboulement abrupt de la fréquentation qu’a subi l’événement ces dernières années. Un million de visiteurs en 2007, 810.000 en 2017, 560.000 en 2019. Game over: l’édition 2020 sera la dernière. Les prochains salons de l’Union de l’industrie automobile allemande auront lieu dans une autre ville candidate (Berlin, Hambourg ou Munich), pour tenter de lui redonner du souffle. C’est loin d’être gagné: à l’exception de Bruxelles, dont l’édition de janvier dernier se maintient à flot, le marasme touche d’autres grands salons de l’Auto, comme ceux de Paris et de Genève.

Quand on fait le job, le marché des salons reste extrêmement dynamique.

Pas seulement l’automobile, d’ailleurs. Le 29 février, c’est sur une note douce-amère que débutera Batibouw, à Brussels Expo. Depuis quelques années, le plus grand salon belge de la construction et de la rénovation est, lui aussi, entraîné dans la spirale de la récession. Moins de visiteurs, donc moins d’exposants, et vice versa. Résultat: une édition 2020 remaniée, mais plus courte (neuf jours au lieu de onze), plus chère pour les visiteurs et marquée par l’absence de grands acteurs de la brique. Son sort fait écho à la pente descendante d’autres événements. En 2019, le salon de la décoration Cocoon, qui est passé de neuf à quatre jours, a perdu plus de 40.000 visiteurs par rapport à 2017, soit une baisse de 58%. Contraint de déménager au Lotto Mons Expo après la mise en liquidation de Charleroi Expo Congrès, le Salon des arts ménagers a, quant à lui, perdu près de 90.000 visiteurs (- 69%) dans l’aventure. Et la mission ne semble pas plus simple pour bon nombre d’événements plus modestes. Le week-end dernier, le Salon du chocolat de Bruxelles (19.000 visiteurs en 2019) comptait ainsi 23% d’exposants en moins par rapport à l’édition précédente.

A Batibouw, cette année, 80% de la surface du palais 5 ne se représente pas. Malaise...
A Batibouw, cette année, 80% de la surface du palais 5 ne se représente pas. Malaise…© DIDIER LEBRUN/PHOTONEWS

Une croissance de 5 à 6%

Les salons n’auraient-ils plus la cote? Pas nécessairement. Dans le dernier baromètre de l’Association mondiale de l’industrie des expositions (UFI), publié en janvier, 85% des organisateurs européens annonçaient des bénéfices d’exploitation stables ou en augmentation par rapport à l’année précédente. Et près de 40% déclaraient une hausse de plus de 10%. « A l’échelle mondiale, la croissance de l’industrie des salons est de 5 à 6% par an, observe Eric Everard, fondateur et administrateur délégué d’Easyfairs (ex-Artexis), qui organise 200 salons chaque année dans quatorze pays. Dans un monde digital, le besoin de rencontres physiques n’a jamais été aussi important. On écoute de la musique en streaming, mais on va beaucoup plus au concert qu’avant. C’est la même chose pour les salons: quand on fait le job, c’est un marché extrêmement dynamique. » La multinationale belge, 18e mondiale, s’attend d’ailleurs à deux « années exceptionnelles » pour ses propres événements. « Comme pour d’autres secteurs, la digitalisation entraîne une mutation du marché, confirme Emile de Cartier, président de la Fédération professionnelle du secteur Live Communication en Belgique et au Luxembourg (Febelux). Certains vont devoir se réinventer, mais le secteur des foires et salons garde tout son intérêt. »

Les raisons du déclin structurel de certains salons sont nombreuses. Souvent, leur trajectoire illustre simplement l’évolution du secteur qu’ils représentent. C’est l’exemple du salon professionnel Agribex, dont la fréquentation suit pratiquement la courbe descendante du nombre d’exploitations agricoles en Belgique. Parfois, c’est la fragmentation croissante du marché qui pénalise davantage les locomotives historiques. En particulier dans la construction, avec la multiplication d’événements plus petits, plus spécialisés (Energie & Habitat, Bois & Habitat, journées professionnelles) ou régionaux (Batimoi, Bis, Wonen…), dont certains souffrent également. Enfin, il arrive que des organisateurs aient tout simplement éteint la flamme, en raison d’un concept obsolète ou de prix prohibitifs, tant pour les visiteurs que pour les exposants. « Pendant soixante ans, Batibouw a maintenu la formule qui faisait son succès, sans oser se remettre en question », acquiesce Frédéric François, son directeur depuis l’année dernière. D’où la perte de visiteurs, et le changement de cap stratégique décidé depuis lors.

Le marché se divise en fait en deux mondes très différents. D’un côté, les rendez-vous dédiés aux professionnels, dits B2B (business to business), qui représentent près de 40% des événements en Europe. De l’autre, ceux adressés aux particuliers, dits B2C (business to consumers), qui comptent pour 30% du total. Quant aux 30% restants, ils jouent comme Batibouw sur les deux tableaux, dans des proportions variées. « La transformation n’épargne pas les deux mondes, mais elle est plus violente dans le B2C, constate Eric Everard. Probablement parce que le consommateur a de nouvelles habitudes. Dans ce contexte, croire que la notoriété reste acquise est une grave erreur. »

Rares sont les salons en récession qui parviennent à renouer avec l’affluence d’antan.

Surtout pour les salons d’image, où la représentation d’une marque ou d’une enseigne prime sur la conclusion de contrats de vente. « Il y a beaucoup de canaux pour faire de l’image, poursuit Eric Everard. Vendre, en revanche, c’est la clé. » Bien plus que l’attachement persistant du Belge à la voiture, c’est toute la plus-value du Salon de l’auto de Bruxelles par rapport à ceux de Francfort et Genève. « Les salons sont assimilés à toute autre opération marketing, confirme à cet égard le groupe PSA (Citroën, DS, Opel et Peugeot). Un retour sur investissement est donc à assurer, comme pour toute opération. Ce n’est pas « par habitude » que l’on doit y être. » Logiquement, les salons principalement axés sur l’image sont davantage exposés à l’effet domino des désistements d’exposants: quand une entreprise se décide à faire l’impasse, ses concurrentes sont d’autant plus enclines à suivre le mouvement. Ce n’est pas un hasard si les quatre grandes enseignes de la brique qui ont quitté Batibouw cette année se sont entendues en ce sens.

Batibouw, Salon de l'Auto... Pourquoi ils sont sur le déclin?
© SOURCES: COMMUNIQUÉS DES ORGANISATEURS ET EURO FAIRS STATISTICS 2017

L’exemple des musées

Comment relever la barre? Rares sont les salons en récession qui parviennent à renouer avec l’affluence d’antan. Mais le nombre de visiteurs cumulés ne constituent plus nécessairement le Graal ultime, tant que l’expérience est un succès, au même titre que les retombées directes pour les exposants. « Il faut être obsédé par le fait de servir les visiteurs, indique Eric Everard. En donnant de la valeur au temps qu’ils ont passé. Les consommateurs ne peuvent pas quitter nos salons sans en avoir été impactés dans leur vie. » Quitte à ce que l’événement soit plus modeste. « Je n’aurais aucun problème à proposer un salon Batibouw plus petit et même un peu moins fréquenté si la satisfaction des visiteurs et des exposants est au rendez-vous, affirme Frédéric François. Auparavant, beaucoup d’événements étaient très statiques. Ceux qui se remettent en question aujourd’hui investissent dans l’événementiel au salon. Il faut faire participer les gens avec des séminaires, des workshops, des démonstrations… » Emile de Cartier prend l’exemple des musées. « Tout comme ils ont dû se moderniser pour proposer autre chose que des objets derrière des vitrines, les salons ne peuvent plus se contenter de miser sur un enchaînement de stands les uns à côté des autres », résume Emile de Cartier.

Moins de locomotives, plus de wagons rénovés, agréables et bien remplis. Telle est la grande tendance, certes fatale à certains, qui guide désormais le marché des salons. Où les plus audacieux ne seront jamais les plus faibles.

Batibouw: les vraies raisons des départs

Cette édition 2020 sera marquée par l’absence des quatre plus grandes entreprises de la brique : Wienerberger, Nelissen, Vandersanden et Vande Moortel. Elles ne constituent toutefois qu’une petite partie des absents, nous confie-t-on. Au total, c’est 80% de la surface du palais 5 qui ne se représente pas. Officiellement, le groupe Fisa, organisateur de Batibouw, attribue ces départs à l’évolution du marché de la construction, toujours plus tourné vers le clé sur porte. L’argument est recevable. Mais, d’après les confidences de l’une des sociétés concernées, ce départ concerté est surtout le résultat d’un ras-le-bol commun.

La fin des journées professionnelles. « Elles étaient importantes pour nous », confirme un producteur de briques. Cette année, Fisa a remplacé les deux journées professionnelles par un palais qui leur sera exclusivement dédié. D’après Frédéric François, COO de Fisa et directeur de Batibouw, cette décision est le fruit d’une enquête menée auprès des exposants. Impossible, logiquement, que la nouvelle formule convienne à tous. « Au total, nous compterons finalement 860 exposants, soit dix de plus qu’en 2019, souligne-t-il. Cela nous permet de récupérer les sociétés qui se sont exclusivement recentrées sur le B2B (NDLR: business to business). »

Moins de visiteurs mais plus coûteux. « Au fil des ans, on a vu la baisse de fréquentation de Batibouw : quand ce n’est pas à cause du mauvais temps, c’est à cause du beau temps », ironise l’ex-exposant. Mais le prix des stands, en revanche, a continué à grimper. « C’était vrai jusqu’à cette année, admet Frédéric François. Nous avons diminué le prix au mètre carré des stands d’environ 15%, tout en proposant des prix planchers pour les journées professionnelles. Mais certaines sociétés doivent aussi rompre avec la logique de la course au plus grand stand. »

L’arrogance de Fisa. « Depuis des années, l’organisateur se comporte comme un dictateur, avec une extrême arrogance, poursuit l’entreprise. On nous a trop longtemps fait comprendre que c’était à prendre ou à laisser. » Une mauvaise réputation que ne nie pas Frédéric François: « Ceux qui disent cela ont hélas raison. C’était connu dans le milieu et c’est ce que je m’attelle à changer depuis un an et demi. » Un mea culpa salutaire pour l’édition 2021?

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire