Autour du lit de mort du Front national

Michel Delwiche
Michel Delwiche Journaliste

Ils ont toujours été de si grands admirateurs du FN de France, et c’est de celui-là même qu’est venu le coup de grâce : il n’y aura pas de candidats étiquetés FN en octobre dans nos villes et nos campagnes, puisque même Marine Le Pen les trouve infréquentables. Mais ils sont plusieurs à s’arracher les dépouilles.

C’est la justice belge qui a interdit au Front national belge l’usage de la marque FN « , précise le politologue Jean Faniel, du Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politique). La présidente du FN français a en effet dû saisir la justice pour faire respecter sa volonté d’interdire l’usage de la marque Front national en Belgique. Marine Le Pen avait déjà tenté de faire respecter son interdiction en demandant à la ministre de l’Intérieur Annemie Turtelboom (Open VLD), puis à Joëlle Milquet (CDH) qui lui a succédé, qu’aucune liste à ce nom ne puisse être déposée lors d’élections. Le FN français avait produit la preuve du dépôt de la dénomination du parti, du sigle FN et de l’emblème de la flamme tricolore auprès du bureau Benelux des marques. La ministre s’était engagée à intervenir auprès des Régions, compétentes pour les scrutins communaux.

La référence explicite

Mais, entre-temps, la cour d’appel de Liège a tranché : le 15 mars dernier, elle a reconnu à Marine Le Pen la propriété de la marque FN et a interdit son utilisation en Belgique, sous peine d’une astreinte de 10 000 euros par jour. Début 2011, Marine Le Pen avait pourtant en quelque sorte adoubé un frontiste belge, Charles Pire, avec lequel elle avait signé une convention lui permettant l’usage des attributs du FN à condition qu’il développe le parti en Belgique. Elle espérait sans doute un résultat auprès des 130 000 électeurs français du Royaume. Charles Pire, ancien député wallon, qui se définissait comme nationaliste démocratique, s’était déclaré partisan d’une ligne moins dure que celle des autres  » cadres  » du parti, dont il avait pris la présidence, et il s’était rapproché de Marine Le Pen. Mais il est décédé en janvier dernier.

 » La France a toujours été la référence explicite du FN belge, explique Jean Faniel. Tout comme du Vlaams Blok d’ailleurs, inspiré à ses origines par la Nouvelle Droite française. Il y avait une blague – belge – qui circulait dans les milieux frontistes français, selon laquelle les membres du FN belge prenaient tellement exemple sur leurs homologues français qu’ils votaient pour des candidats… français ! « 

Quand il a fondé le FN belge en 1985, Daniel Féret faisait déjà allégeance au parti de Jean-Marie Le Pen dont il voulait  » favoriser la diffusion des thèses, opinions et publications « . Autoproclamé  » président à vie « , il mènera le FN dans une aventure cahotante, au gré des ralliements (Front de la jeunesse, Parti des forces nouvelles), des divisions, des dissidences, et de ses multiples condamnations judiciaires personnelles pour faux, escroqueries, abus de confiance, détournement de fonds, etc.

 » Cet attrait pour la France était à sens unique, poursuit le politologue, même s’il y a eu des moments où le FN français a apporté sa « caution ». Mais il y a rapidement eu du côté belge une telle pagaille que les Français ont préféré reprendre leurs distances. Ironie de l’histoire : c’est la volonté de respectabilité de Marine Le Pen, sa volonté de sortir du coin, d’être fréquentable qui l’a poussée à se démarquer des Belges.  » Elle estimait en effet que le seul but de ceux-ci, et encore plus à l’approche de la présidentielle, était de profiter de sa notoriété et de celle de son parti pour en tirer avantage, et que leur discours raciste, populiste ou simpliste n’était plus en phase avec la nouvelle image qu’elle voulait donner de son parti.

FN, les  » lettres magiques « 

La médiatisation du FN français à la présidentielle et aux dernières législatives, avec notamment le duel Mélenchon-Le Pen à Hénin-Beaumont, juste à côté du Hainaut belge, ne profitera donc pas autant qu’espéré aux candidats belges qui s’en réclameraient.  » Le potentiel d’électeurs pour le Front national, il est là, il n’y a pas de doute, dit Jean Faniel, mais les lettres magiques FN ne pourront plus être utilisées. La question est dès lors de savoir où ce potentiel va se reporter. Sachant que l’opinion a changé. Nous ne sommes plus uniquement dans un climat d’opposition à la venue des étrangers, une protestation anti-immigrés, xénophobe classique pourrait-on dire. A tout cela s’est ajoutée la peur du terrorisme, après les attentats du 11-Septembre, l’Irak, l’Afghanistan… Dans les années 1990, une partie de la population identifiait une menace contre nos valeurs, déjà, mais aujourd’hui il y a en plus la peur de « ces fous furieux qui sont ca- pables de se faire sauter ». Et l’amalgame immigration, insécurité, islam, les trois « i » relevés par certains. « 

Ce réservoir de voix va-t-il profiter au PTB ? L’extrême gauche n’a pas vocation à recueillir les votes anti-immigrés, au contraire. Ce n’est pas non plus le fonds de commerce du RWF (Rassemblement Wallonie-France). Démocratie nationale, qui se proclame  » le seul vrai successeur du Front national en Belgique « , ce qui démontre à quel point l’héritage est divisé, ne pourra se servir du sigle FN. Les autres groupuscules issus de la mouvance – Nation, Solidarité unitaire, ou la Fédération des nationalistes wallons -, même s’ils appellent à la constitution de listes ici et là, ne semblent pas être en mesure de s’organiser pour occuper le terrain. Wallonie d’abord, également fondé par des anciens du FN, a adopté un langage plus policé, plus réservé, joue la carte régionaliste wallonne plutôt que le nationalisme belgicain, et dit vouloir s’opposer à la N-VA. Tout dans son programme semble pesé pour qu’on ne puisse le classer dans l’extrême droite. Mais il y a le passé de ses dirigeants, qui ont tout de même du mal à rendre leur revirement crédible. Et aussi cette curieuse analogie, fait remarquer Jean Faniel, entre la présentation de son site ou de son affiche avec le site et l’affiche du mouvement Alsace d’abord, qui s’affirme, lui, résolument identitaire, veut  » mettre fin à l’immigration non européenne  » qui pose de graves problèmes de sécurité, qui souhaite  » l’expulsion de tous les clandestins « , qui  » s’oppose à l’extension du droit de vote aux résidents non européens « , et refuse que l’islam,  » qui n’est pas et ne sera jamais une religion européenne « , puisse bénéficier du moindre soutien des pouvoirs publics. Alsace d’abord dont le site Internet renvoie vers ceux du FPÖ autrichien de feu Jörg Haider, de la Ligue du Nord en Italie, de Pro Deutschland et du Vlaams Belang… Il n’en faut pas plus pour se faire une idée.

Ne pas vendre la peau de l’ours…

… Ni prendre ses désirs pour des réalités. Ses opposants de toujours enterrent peut-être un peu vite le FN, ses membres et surtout ses électeurs. Les derniers grands sondages, hors tension électorale vive, mentionnent bel et bien une présence des anciens du Front national. Selon l’enquête RTBF -La Libre (publiée en mai), 5,9 % des futurs électeurs se prononceraient pour le FN (dont ils ne savent pas encore la disparition), et Wallonie d’abord atteindrait 1,7 %. Selon RTL -Le Soir (en juin), Wallonie d’abord obtiendrait 3,1 %, et Démocratie nationale, 1,4 %. Rien à voir avec un score bleu marine, mais une présence tout de même. Il ne faut pas oublier non plus que 10 % des Bruxellois et 12 % des Wallons, interrogés avant la présidentielle, avaient répondu qu’ils auraient voté Le Pen s’ils avaient été concernés.

S’il n’y a plus de Front national, il y a le Parti populaire, crédité, dans l’ordre, de 2,6 % et de 1,6 % par les deux sondages. Il n’a pas exactement le même profil que le FN, il ne se prononce pas nécessairement pour la défense de l’identité ou la préférence nationale.  » C’est un parti de droite, très à droite, estime Jean Faniel, mais qui ne dispose pas d’ancrage local, qui n’a guère de crédibilité dans les médias, dont le parcours est depuis le départ chaotique, avec la présence puis l’exclusion de Rudy Aernoudt ou les dérapages de Laurent Louis dont l’exclusion a privé le parti de sa dotation. Il aura du mal à déposer des listes aux communales.  » Le Parti populaire n’en annonce à ce stade qu’une quinzaine, à Bruxelles, Molenbeek, Dinant, Liège, Huy… avec l’espoir avoué par son président Mischaël Modrikamen de  » participer à la constitution de majorités « . Mais lui-même n’en sera pas, afin de mieux mettre le PP en ordre de marche pour les élections régionales de 2014… s’il tient jusque-là. Les communales représentent, pour lui, un enjeu national, et le PP entend devenir le  » partenaire de la N-VA « . La récupération maximale des dépouilles du FN fait partie de sa stratégie, le PP ne s’en cache d’ailleurs pas.

MICHEL DELWICHE

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