© FRÉDÉRIC MOREAU DE BELLAING

Anthony Bellanger

Secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes (FIJ).

Les chaînes de télévision NBC News ou ABC News ont-elles eu raison d’interrompre Donald Trump lorsqu’il affirmait que les élections qu’il venait de perdre avaient été truquées?

C’était une erreur. La première mission des journalistes, c’est de rapporter les faits, puis de les expliquer comme l’a fait CNN. On peut avoir un avis sur Trump, mais considérer aussi que les citoyens ne sont pas stupides. On a bien vu que l’audience des journaux de qualité avait augmenté sous le mandat de Donald Trump. S’il avait saisi le Conseil de déontologie journalistique belge, il aurait obtenu gain de cause. La première responsabilité sociale du journaliste est d’informer. A posteriori, il peut prendre du recul et expliquer pourquoi les propos de Trump étaient faux. Quand on a affaire à des gens dont on sait qu’ils peuvent déraper (insultes, apologie du négationnisme…), on peut aussi éviter le direct. La Belgique francophone est le seul pays dans lequel la chaîne publique a établi un cordon sanitaire médiatique autour de l’extrême droite, en s’interdisant le direct. Ce n’est pas abusif. En France, l’extrême droite a eu très tôt un accès direct aux médias et le résultat est assez clair.

Si Trump avait saisi le Conseil de déontologie journalistique belge, il aurait obtenu gain de cause.

L’éditorialiste Bari Weiss a démissionné du prestigieux New York Times, parce que, selon elle, l’autocensure y était devenue la norme. Qu’en pensez-vous?

Pour ne pas avoir vu venir le succès de Donald Trump lors des précédentes élections présidentielles, le New York Times s’est remis en question et a décidé d’ouvrir ses pages à une plus grande diversité d’opinion. Après la mort de George Floyd, il a donné la parole à un sénateur républicain qui conseillait d’envoyer l’armée contre les manifestants. Cela pose la question de la responsabilité sociale: peut-on dire n’importe quoi? A la suite de quoi, le rédacteur en chef de la page éditoriale du NY Times a démissionné, puis, dans la foulée, Bari Weiss, un centriste qui avait déjà subi les foudres de l’extrême gauche. Moi, par principe, je suis pour la liberté d’expression. Je sais que le NY Times est un journal de qualité, mais je ne sais pas si la direction a eu raison de laisser passer cette carte blanche.

Les journalistes forment-ils un cluster partageant globalement les mêmes opinions et origines?

C’est très souvent le cas, même si je ne veux pas généraliser. Les journalistes qui ont du poids dans la société sont souvent des hommes blancs de 45-55 ans. En 2016, dans la nuit qui a suivi l’élection de Donald Trump, le journaliste Jim Rutenberg a fait son mea culpa au nom de la presse qui avait donné Hillary Clinton vainqueur. Selon son expression, le journalisme était resté sourd au grondement du pays, alors que son rôle est de chercher la vérité et d’en tirer des leçons. Aujourd’hui, il y a une volonté de sortir de cet entre-soi.

Le soutien public aux médias est-il souhaitable? N’y a-t-il pas un risque de dépendance rédactionnelle?

Cela dépend de l’Etat. En 1944, le Conseil national de la résistance en France a décidé d’une aide à la presse pour assurer le pluralisme de celle-ci. Aujourd’hui, il faudrait y ajouter des critères éthiques et sociaux.

Les médias sont de plus en plus sollicités pour lutter contre les fake news…

Les nouvelles fausses existent depuis la nuit des temps. Avec le recul, tous les mécanismes inventés par les techno- crates ou les politiques pour lutter contre celles-ci ont été inutiles. En revanche, le fact-checking constitue un vrai travail de journalisme.

Les réseaux sociaux ont-ils eu raison du journalisme traditionnel?

Le combat est inégal, mais le fait d’avoir un téléphone portable ne fait pas de vous un journaliste. Pour cette raison, il faut être très prudent avec les réseaux sociaux. Rappelez-vous l’emballement après la dépêche de l’AFP annonçant l’arrestation, en Ecosse, de Xavier Dupont de Ligonnès, en octobre 2019. L’AFP avait vérifié l’info quatre fois, mais auprès de la même source. Tout le monde l’a reprise sans aller sur place.

Une note d’espoir?

Dans certains pays, les journalistes font face à de telles difficultés – ils sont tués, menacés physiquement, leur famille aussi… – qu’on a du mal à se tirer de cette réalité-là. Mais j’ai confiance dans la profession. La nouvelle génération de journalistes vit des choses que personne n’a connues jusqu’à présent et elle saura les tourner en positif.

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