14-18, une épopée belge

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Un épisode méconnu de la Première Guerre mondiale inspire Cafard, un film d’animation noir-jaune-rouge hautement original.

Ils étaient 444, belges et emportés dans la tourmente d’une Première Guerre mondiale en pleine et sanglante explosion. Il y avait parmi eux le champion de lutte Constant le Marin, le poète et futur militant wallon Marcel Thiry ainsi que Julien Lahaut, futur député communiste, assassiné le 18 août 1950 (lire Le Vif/L’Express du 14 août dernier). Ces 444 Belges formaient le corps d’armée ACM (pour autos-canons- mitrailleuses) et ne combattirent que brièvement sur le front de l’Yser avant de prendre, avec leurs blindés, le chemin de l’Est de l’Europe où, dès la fin de 1915, ils affrontèrent l’ennemi allemand et austro-hongrois. Plus tard, en 1917, ils furent pris dans la guerre civile et la Révolution russe, avant de revenir en Belgique par Vladivostok et… San Francisco, où ils furent reçus en héros !

L’histoire est peu connue et si singulière qu’elle méritait assurément d’inspirer le cinéma. De manière inattendue, c’est d’un film d’animation qu’il s’agit. Le réalisateur Jan Bultheel y évoque librement, en changeant le nom des personnages principaux, l’aventure extraordinaire de ces Belges promenés de front en front jusqu’à ne plus bien savoir ce qu’ils combattent dans une guerre aux horreurs et à l’absurdité de plus en plus accablantes. La technique utilisée pour Cafard (lire aussi la critique dans Focus Vif, page 39) est celle du  » motion capture « , où les images des comédiens réels, filmés en action, sont traitées sur ordinateur pour créer une contrepartie visuelle 3D aussi réaliste dans le mouvement que manipulable dans la forme. L’acteur Wim Willaert se voit ainsi affublé du physique imposant d’un champion mondial de lutte… Une palette de couleurs réduite et soigneusement composée offre par ailleurs au film un look très bédé.

Un auteur obstiné

Jan Bultheel a fondé la société Tondo Films spécialement pour produire Cafard. Avec sa partenaire Arielle Sleutel, il entend y mener la mission de  » permettre à des auteurs obstinés de faire leur truc « . Pas forcément facile, en effet, de trouver le financement nécessaire à un film d’animation pour public adulte, un spectacle venant rappeler ce que l’occupation allemande eut de terriblement brutal (avec, en prologue saisissant, le viol d’une adolescente par la soldatesque teutonne) avant de livrer une vision apocalyptique de l’Europe ravagée par la guerre… Bultheel est actif dans l’animation depuis le début des années 1980, se consacrant essentiellement aux clips vidéo, à la publicité, et à quelques séries télévisées pour jeunes spectateurs. Pour son premier long-métrage, il a visé haut et fort, bataillant des années durant pour mener à bon port le projet qui lui tenait à coeur. Le résultat peut être inégal, avec notamment des pointes d’humour gras pas forcément heureuses. Il n’en reste pas moins qu’il écrit une page singulière de la déjà riche histoire du cinéma d’animation made in Belgium. Tout en confirmant la validité d’un choix créatif restant atypique malgré les précédents marquants de Persepolis, de Marjan Satrapi et Vincent Paronneau, et surtout, du très impressionnant Valse avec Bachir de l’Israélien Ari Folman, évocation d’une autre guerre, celle du Liban.

Louis Danvers

A San Francisco, les combattants belges de l’ACM seront reçus en héros

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