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Vers une solution pour Chypre?

Laura Dhaese Collaboratrice Knackweekend.be

Sous tutelle des Nations-Unies, les deux dirigeants chypriotes Mustafa Akinci du côté turc, et le Grec Nicos Anastasiades cherchent une nouvelle fois une solution pour mettre fin à la division de leur île. Comme ils restent tous deux sur leurs positions, les négociations risquent de se révéler difficiles.

Ce mercredi 28 juin, les leaders se sont réunis une nouvelle fois pour chercher une solution fédérale à la division de leur île. La rencontre a eu lieu dans le cadre d’une conférence à Genève organisée par les Nations-Unies. Bien qu’un accord n’ait jamais été autant à portée de main, on s’attend à ce que les négociations ne se passent pas sans difficulté.

Les Chypriotes turcs souhaitent une présidence tournante et les Chypriotes grecs exigent le retrait des troupes turques au nord du pays. Les deux partis refusent d’accéder aux souhaits principaux de l’autre, ce qui complique les négociations de paix.

Deux zones, une capitale divisée et une ligne verte à travers le pays. Voilà à quoi ressemble Chypre depuis l’invasion de la Turquie en 1974. En un clin d’oeil, 180 000 personnes se sont vues obligées de quitter leurs maisons. Alors que les Chypriotes grecs fuyaient vers le sud, les Turcs se sont installés en Chypre du Nord.

L’invasion turque a fait des milliers de victimes dans les deux camps et aujourd’hui il y a toujours 2000 disparus. Depuis, le pays se compose d’une partie grecque, membre de l’Union européenne depuis 2004, et une partie turque uniquement reconnue par la Turquie, mais considérée au niveau international comme une zone occupée.

Malgré les nombreuses tentatives de réconciliation, Chypre est toujours le seul pays européen à posséder une capitale divisée. Dans la rue Ledra, une rue commerciale très fréquentée, on traverse soudain la frontière et les différences de culture sautent aux yeux. Les textes de graffiti et les manifestations spontanées indiquent que le conflit à Nicosie trouble les habitants. Des militants aspirent à une solution et des organisations de bénévoles qui tentent de rassembler des gens deux côtés.

Unite Cyprus Now

« L’initiative citoyenne Unite Cyprus Now permet aux Chypriotes turcs et grecs de lutter pour la fin d’une Chypre divisée », raconte Esra Aygin. Elle est l’une des rares journalistes qui travaillent tant pour les médias chypriotes turcs que chypriotes grecs. À côté de son emploi officiel, elle s’engage activement pour le groupe d’action.

Esra Aygin
Esra Aygin© Laura Dhaese

« À l’aide de manifestations quotidiennes dans la zone tampon, nous voulons montrer notre façon de gérer la situation chypriote. Les manifestations y appellent à une amélioration et plaident en faveur d’une Chypre réunifiée. D’après nous, c’est la meilleure solution pour rendre stable la situation sur l’île. »

Dimitriou Ntinos, l’un des manifestants, a sa propre vision de la situation. « Dans l’armée grecque chypriote, il y a une règle principale : « Si vous voyez un Turc en zone dangereuse, ne posez pas de questions et abattez-le. » Les Chypriotes turcs font d’ailleurs exactement la même chose. »

« Le problème, c’est qu’il n’y a pas d’équilibre entre les deux populations », poursuit Ntinos. « Les Chypriotes du Nord souhaitent une réunification, mais comme leurs conditions sont injustes, le problème traîne depuis 43 ans. Depuis 1974, le nord de Chypre est occupé illégalement. Les Turcs n’avaient pas le droit de nous envahir, mais comme nous n’avons pas de pétrole ou d’autres produits d’export importants, l’Occident se moque de ce qui se passe à Chypre. Pourquoi mettraient-ils du temps, de l’argent et de la peine dans notre île ? Finalement, c’est chacun pour soi et nous devons nous débrouiller. »

Il y a également des officiers des Nations-Unies présents aux manifestations. Ils surveillent tout attentivement et font en sorte que la situation reste sous contrôle. La Force des Nations unies chargée du maintien de la paix à Chypre a été créée en 1964 après l’éclatement de violences entre les habitants grecs et turcs de l’île.

Depuis, elle n’est jamais partie, ce qui en fait une des plus longues missions des Nations-Unies qu’il n’y ait jamais eu. Tant que le conflit n’est pas résolu ou au moins stabilisé, la mission est prolongée tous les six mois par le Conseil des Nations-Unies. Outre de veiller au respect du cessez-le-feu, la surveillance de la zone tampon constitue l’une des principales tâches de l’ONU sur l’île.

Fatima Hajdarevic, originaire de Bosnie-Herzégovine, est un des officiers des Nations-Unies qui sécurise la région pendant les protestations de Unite Cyprus Now. « Au fond, je ne peux m’exprimer sur le conflit et les protestations, mais j’ai moi-même vécu la guerre civile de Bosnie de près et je comprends la colère des manifestants. S’ils persistent, ils pourront peut-être faire évoluer la situation. »

Fatima Hajdarevic
Fatima Hajdarevic© Laura Dhaese

Un modèle pour l’avenir de Chypre

Les positions de l’initiative citoyenne Unite Cyprus Now ont été reprises par Home for Cooperation, un centre communautaire non gouvernemental et intercommunal situé en plein milieu de la zone tampon de Nicosie. Le centre a ouvert ses portes en 2011 et depuis il fait principalement office de lieu de rencontre pour les Chypriotes turcs et grecs.

« Nous organisons des activités culturelles et soutenons les projets créatifs et intercommunaux depuis ce bâtiment », raconte Hayriye Rüzgar, responsable de communication pour Home for Cooperation. « Les leçons de langue, les ateliers de tango et de salsa sont quelques-unes de nos activités à succès. Nous organisons aussi de plus petits événements tels que des soirées de musique live jouée par des groupes chypriotes turcs ou grecs. »

Home for Cooperation tente de faire entrer les deux groupes de population en contact à l’aide d’intérêts communs indépendants de leurs opinions politiques. C’est le seul centre communautaire de la zone tampon accessible à tous. D’après Hayriye, il sert de modèle pour l’avenir de Chypre.

Balles perdues

Le Home for Cooperation n’est pas le seul bâtiment en pierre de la zone tampon. Le bâtiment jaune entouré de barbelés attire immédiatement l’attention de tous les passants. C’est la résidence des officiers des Nations-Unies. Les impacts de balles perdues tirées dans les années 90 sont toujours visibles.

« Ici, les agents de l’ONU sont en vacances », déclare un Turc chypriote qui vit également dans la zone tampon. « Ils profitent de leur séjour en Chypre. Ils ne doivent pas faire grand-chose, car il n’y a plus de violence. À présent, c’est la guerre froide entre les deux côtés. »

« Tant le Sud que le Nord ne sont pas prêts pour un accord. On ignore s’ils le seront un jour », ajoute-t-il. « Entre-temps, les circonstances ont à ce point changé que plus personne ne peut encore se qualifier de chypriote. On est soit un Chypriote du Nord, soit un Chypriote du Sud. Soit turc, soit grec. Les différences entre les deux peuples sont trop grandes pour encore placer les habitants sous le même dénominateur commun. On ne peut plus parler de deux régions différentes. Il s’agit de différentes nationalités, cultures et religions. Pour cette raison, une réunification chypriote est pratiquement impossible. Des citoyens à ce point différents ne peuvent vivre ensemble en paix. C’est pourquoi beaucoup de Chypriotes turcs préféraient se joindre à la Turquie. Une union avec ce pays est beaucoup plus réaliste. »

Dans l’intérieur du pays, les désaccords sont moins visibles. Les gens y vivent selon leurs propres cultures et traditions même si là aussi des activistes et des politiques s’occupent de la question.

Les Loups gris

Les Loups gris ou les Bozkurtlar sont un mouvement turc d’extrême droite fondé pendant la première moitié des années ’70. Leur but principal est de lutter contre tous les groupements de gauche, et donc surtout le communisme. L’organisation est très nationaliste et possède un nombre élevé de sympathisants, surtout en Turquie.

« Les Loups gris qui vivent au nord de Chypre sont pour la plupart des étudiants turcs. Une petite partie du mouvement est chypriote turque, mais accorde beaucoup de valeur à la Turquie », explique Ibrahim Ayberk, étudiant en doctorat et assistant à la Near East University en Nicosie du Nord. « Personne ne peut dire le nombre de Loups gris avec certitude. Si on leur demande, ils vous donnent un chiffre beaucoup plus élevé que le nombre réel. Ils veulent se sentir plus puissants qu’ils ne le sont. »

« Ce qui est caractéristique des Loups gris de Chypre, c’est leur vision de la population. Ils considèrent les Chypriotes du Nord comme des Turcs à part entière et estiment donc comme leur devoir de protéger la République turque de Chypre du Nord (RTCN). Certains considèrent même la région comme la 82e province de Turquie », raconte Ayberk. « Aujourd’hui, la popularité du mouvement néo-fasciste en Chypre a déjà fort baissé. Son apogée était dans les années 90, quand il était très actif et exerçait une influence sur la société ».

Tout comme les autres groupements radicaux nationalistes, les Loups gris menaient également des actions terrifiantes pour convaincre d’autres personnes de leur cause. En 1996, ils ont tué deux jeunes Chypriotes grecs dans la zone tampon de l’ONU entre les deux parties du pays. Pour faire part de leur résistance à la reconnaissance de la RTCN, les jeunes activistes ont tenté de traverser la frontière avec beaucoup d’autres. » Les deux assassinats ont laissé des traces profondes du côté grec et on en parle encore beaucoup aujourd’hui.

Un Vlaams Belang chypriote

Face aux Loups gris du côté turc, il y a ELAM du côté grec. Le parti politique nationaliste se compare au Vlaams Belang. ELAM a été fondé en 2008, au mécontentement de l’approche d’autres politiques du pays. « Notre but principal consiste à former un état unitaire et à mettre fin à l’état fédéral », explique Petros Argousti, représentant du parti.

« Nous souhaitons une autre solution pour la division de Chypre. ELAM défend l’oligarchie, même si cela ne signifie pas que nous voulions minimiser le rôle du peuple. Ce n’est pas pour rien si notre parti s’appelle le National People’s Front. Les citoyens doivent vraiment être au centre. ELAM souhaite braquer les projecteurs sur les problèmes méconnus, tels que l’immigration illégale. Avant que nous manifestions, personne ne se posait de questions. Nous souhaitons réveiller les gens. En outre, cela nous permet de faire pression sur les plus grands partis pour qu’ils entrent en action », raconte Argousti.

Petros Argousti
Petros Argousti© Laura Dhaese

« Une solution où les deux parties de l’île forment une fédération ne fera que renforcer les divisions. ELAM souhaite évidemment la réunification du Nord et du Sud, mais uniquement à condition qu’elle soit juste. Une solution fédéraliste signifierait que nous reconnaissons le nord comme zone turque, ce que nous n’accepterons jamais. La solution n’est pas de réunifier deux peuples, mais de mettre fin à l’occupation turque illégale. Si les troupes turques se retirent et que les Chypriotes turcs reconnaissent la République de Chypre, ils sont plus que les bienvenus de faire partie de la société en tant que minorité. Tous les Turcs qui ne possèdent pas la nationalité chypriote doivent retourner dans leur pays. La Turquie est obligée de les accepter et le Sud doit payer des indemnités. »

Tout cela est-il réaliste? « Ce ne sont pas des immigrants », explique Argousti. « Ce sont des colons et d’après la législation internationale de l’ONU ils sont obligés de retourner. Honnêtement, je m’en moque. Si nous avons le pouvoir, nous les renvoyons en Turquie. »

« L’occupation turque est le plus grand obstacle au compromis »

Suite à la conférence de l’ONU, Petros Argousti du mouvement ELAM réfléchit à l’avenir du pays. « La conférence ne servira à rien tant que Mustafa Akinci (le président chypriote turc, NDLR) et Nicos Anastasiades (le président chypriote grec, NLDR) continuent à se focaliser sur le mauvais problème. Ils continuent à parler des différences entre les deux peuples, alors qu’au fond l’occupation turque est au fond le plus grand obstacle à un compromis. »

« Je souhaite voir mon pays libre, mais également suffisamment fort sur le plan économique, démographique et militaire, de sorte qu’un jour nous puissions nous asseoir à la table des négociations confortés par les relations internationales pour trancher à notre avantage. Les dirigeants actuels n’ont pas le cran pour prendre l’initiative et se mettent la tête dans le sable dans l’espoir que le conflit se résoudra de lui-même » conclut Argousti.

À l’instar de l’île, les avis sur la question chypriote sont partagés. Alors qu’un groupe vise un pays unifié, les autres souhaitent que la frontière demeure inchangée. Une chose est sûre : les habitants attendent le résultat de la Conférence de Genève avec espoir. Y aura-t-il enfin une solution au conflit de longue durée ? Ou la décision des leaders risque-t-elle à nouveau de faire dégénérer la situation? Les citoyens n’ont aucune certitude. Seul l’espoir est toujours présent.

Le début de la zone tampon du côté grec
Le début de la zone tampon du côté grec © Laura Dhaese

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