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Une destitution, le désir profond de Trump?

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

Les démocrates ont lancé à Washington la première étape d’une mise en accusation solennelle de Donald Trump, soupçonné d’avoir demandé au président ukrainien d’enquêter sur son rival politique Joe Biden. Il s’agit d’une procédure rare et explosive. Mais, au final, être destitué, n’est-ce pas le désir profond du président américain?

En dépit des nombreuses affaires qui ont secoué les premières années de la présidence de Donald Trump, ce coup de tonnerre politique représente l’attaque la plus frontale contre le milliardaire républicain. « Une chasse aux sorcières de caniveau », a immédiatement dénoncé le président, depuis New York où il s’était rendu pour l’Assemblée générale de l’ONU.

Que Donald Trump veuille être destitué est une idée que Ben Domenech, l’éditeur du Federalist, un magazine américain spécialisé en politiques, met en avant depuis un certain temps. Pour cet expert, le président ne recule pas devant une destitution, mais est, en fait, impatient d’y être confronté.

Dans sa newsletter de lundi, Ben Domenech évoque les derniers jours d’agitation liée à l’Ukraine comme une justification. Pour lui, les audiences du Congrès transformées en vrai cirque, les scènes où Joe Biden parle de corruption plutôt que de soins de santé ou d’économie, les démocrates à la Chambre qui vacillent et qui sont forcés de se faire mettre en accusation par leurs collègues et électeurs en colère…Tout ce show, cette agitation est exactement ce que désire Trump.

Le président ne recule pas devant une destitution, mais est, en fait, impatient d’y être confronté.

L’éditorialiste Ross Douthat du New York Times émet aussi la suggestion que le président américain désire, en fait, se faire destituer. Il est toutefois d’avis que cette volonté est surestimée, car un « impeachment » implique, selon ses dires, « un but stratégique, une intention permanente et un état mental stable, ce qui ne devrait pas être supposé dans l’analyse du président des États-Unis ». Il ajoute : « Mais allons aussi loin avec Domenech : Un président qui échappe indemne à une enquête sur la collusion de sa campagne avec un gouvernement étranger et qui, le lendemain du témoignage de Robert Mueller, téléphone à un gouvernement étranger pour l’aider dans sa campagne présidentielle – ce président a-t-il l’air d’un homme qui craint particulièrement d’être destitué ? Qui se soucie terriblement d’éviter le dépôt d’articles, un procès au Sénat, etc. Je dirais que… non ».

Et pourquoi Trump serait-il si insouciant se demande le journaliste? Peut-être pense-t-il simplement que les démocrates sont trop lâches pour défendre la Constitution, trop faibles pour s’opposer à son anarchie, avance le journaliste du prestigieux quotidien américain. Pour lui, si l’on assume maintenant la rationalité du président qu’il vient de mettre en doute, il est envisageable que Donald Trump puisse voir certains avantages qu’une destitution et un procès pourraient lui apporter, commente-t-il.

Trump aimerait être destitué. Parce que le « show » est la partie de la politique qu’il aime le plus viscéralement.

En faisant abstraction de l’évolution de ce dossier avec l’Ukraine, le fait que les démocrates lancent cette mise en accusation sera considéré comme impopulaire alors que, pour le moment, dans l’opinion publique, les candidats démocrates ont tous un avantage en popularité par rapport à Trump. Tout ce qui peut envoyer les démocrates du mauvais côté de l’opinion publique peut paraître mieux, aux yeux de Trump, que le statu quo, estime le journaliste.

Joe Biden et Donald Trump.
Joe Biden et Donald Trump. © reuters

Trump semble aussi heureux d’opposer ses abus de pouvoir flagrants à la corruption passive de ses ennemis. C’est un aspect du Trumpisme que les critiques du président trouvent particulièrement exaspérant : la façon dont il attaque ses rivaux parce qu’ils sont hypocritement corrompus mais que de son côté, il use et abuse de façon bien plus flagrante de son pouvoir. Trump s’est toujours présenté comme le candidat d’une forme « honnête » de pots-de-vin. Il estime, lui-même, son cynisme comme préférable à une auto-transaction soigneusement légale.

Dans cette optique, Trump peut estimer tout à fait normal que le fils du vice-président (NDLR : Hunter Biden) soit payé des centaines de milliers de dollars par les Ukrainiens ou les Chinois tant que chaque formulaire de divulgation est rempli et que son père ne lui parle pas de business.

Corruption transparente

En réalité, estime Ross Douthat, dans ce genre de situation politique, l’hypocrisie vaut, au contraire, mieux que le vice mis au grand jour, la corruption passive vaut mieux que la corruption plus transparente, et ce que le président semble avoir fait en s’appuyant sur le gouvernement ukrainien est bien pire que les arrangements de Hunter Biden à l’étranger. Mais personne ne devrait s’étonner qu’à notre époque de méfiance, de division et de désespoir, certains électeurs préfèrent des histoires « honnêtes » de pot-de vin, comme celles de Trump.

En effet, l’histoire regorge d’hommes politiques autoritaires qui s’en sont sortis en misant sur la corruption transparente parce qu’ils étaient considérés comme l’alternative efficace à une élite hypocrite et arrogante. La faiblesse politique cruciale de Trump est que, contrairement à ces personnages politique, il n’a pas été si transparent avec ses électeurs.

Trump pourrait bien sortir gagnant d’un « impeachment » et il pourrait même le savourer.

Cela pourrait toutefois le rendre d’autant plus désireux de revenir à une politique de corruption comparative, d’ouvrir à nouveau le débat avec cette interrogation en toile de fond : est-il vraiment plus contesté sur le plan éthique que ses rivaux politiques ?

Trump pourrait bien sortir gagnant d’un « impeachment » et il pourrait même le savourer. Il sait qu’il pourrait perdre les prochaines élections, mais il n’y a aucune raison qu’une simple défaite l’empêche d’exercer le pouvoir sur le Parti républicain, via Twitter et d’autres moyens, pendant de nombreuses années encore.

L’éditorialiste émet une dernière raison pour laquelle Trump aimerait être destitué. Parce que le « show » est la partie de la politique qu’il aime le plus viscéralement. Tout au long de l’enquête Robert Mueller, Trump a été plus engagé, plus vivant qu’à tout autre moment des batailles législatives sur la réforme fiscale ou sur l’abrogation de l’Obamacare. Alors que l’enquête Mueller était une enquête tout à fait légale, qui pouvait envoyer des personnes du cercle restreint de Trump en prison.

Lire aussi: Huit questions pour comprendre la procédure de destitution contre Trump

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