© reuters

Huit questions pour comprendre la procédure de destitution contre Trump

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

Les démocrates veulent destituer Donald Trump, soupçonné d’avoir demandé au président ukrainien d’enquêter sur son rival politique Joe Biden. Il s’agit d’une procédure rare et explosive. A-t-elle des chances d’aboutir, que va-t-il se passer maintenant ? Le point.

Qu’a annoncé Nancy Pelosi, la présidente démocrate de la Chambre des représentants?

La démocrate Nancy Pelosi a annoncé l’ouverture d’une enquête formant la première étape d’une procédure de destitution visant le président américain Donald Trump.

« Les actes du président jusqu’à ce jour ont violé la Constitution« , a accusé la « speaker » de la Chambre des représentants. « Aujourd’hui, j’annonce que la Chambre des représentants ouvre une enquête officielle en vue d’une procédure de destitution« , a-t-elle annoncé.

Il s’agit de l’ensemble des faits qui devraient aboutir à l’acte d’accusation, ce qu’on appelle les articles de mise en accusation. Il s’agit donc d’une première étape nécessaire, qui ne doit pas nécessairement conduire à une destitution.

Pelosi a aussi déclaré que les six commissions parlementaires qui enquêtent déjà sur les activités de Trump devraient continuer à le faire « sous l’égide d’une destitution ». Concrètement, cela signifie que, si les commissions rassemblent suffisamment d’éléments à charges, elles pourront rédiger des articles de mise en accusation, qui seront soumis au vote en séance plénière. Les démocrates disposant d’une majorité à la Chambre, le président Trump court un risque important d’être mis en accusation, ce qui n’est arrivé qu’à deux de ses prédécesseurs dans toute l’histoire des Etats-Unis.

Que reprochent précisément les Démocrates à Trump ?

Le 9 septembre, l’inspecteur général des services de renseignement a informé le Congrès qu’il avait été saisi un mois plus tôt d’un problème « urgent » par un lanceur d’alerte « crédible », lui-même membre de la communauté du renseignement. Mais l’administration de Donald Trump a refusé de transmettre aux parlementaires le contenu de ce signalement.

Les médias américains ont alors enquêté sur cet énigmatique lanceur d’alerte. Selon eux, il s’était inquiété, entre autres, du contenu d’une conversation téléphonique entre Donald Trump et son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky, survenue le 25 juillet.

Acculé par de nombreuses fuites, le président américain a reconnu dimanche avoir évoqué lors de cet entretien le favori de la primaire démocrate pour la présidentielle de 2020, Joe Biden, et son fils Hunter. Mais il a assuré que l’échange était « irréprochable » et s’est engagé à rendre son contenu intégralement public.

Quelques jours avant cet échange, Donald Trump avait ordonné le gel de près de 400 millions de dollars d’aide militaire à l’Ukraine finalement débloqués, sans plus d’explications, le 12 septembre.

Jugeant « la séquence » troublante, l’opposition démocrate le soupçonne d’avoir utilisé ces fonds pour pousser M. Zelensky à lancer une enquête pour corruption sur Joe Biden et son fils Hunter, qui a fait des affaires en Ukraine.

« Je n’ai mis aucune pression sur » l’Ukraine, a rétorqué Donald Trump, qui assure avoir bloqué cette aide pour inciter d’autres pays occidentaux à contribuer au budget militaire de l’Ukraine.

Nancy Pelosi, la cheffe de la majorité démocrate à la Chambre des représentants.
Nancy Pelosi, la cheffe de la majorité démocrate à la Chambre des représentants. © BELGA

Désireux de retourner la situation, Donald Trump martèle que Joe Biden et son fils sont « corrompus », que leur conduite en Ukraine est « scandaleuse ». Le président accuse son rival d’avoir demandé le limogeage d’un procureur ukrainien, afin de protéger les affaires de son fils.

Avocat et investisseur, Hunter Biden a bien siégé de 2014 à 2019 au conseil de surveillance du producteur de gaz ukrainien Burisma. Cette entreprise a, un temps, été la cible d’une enquête pour corruption mais Hunter Biden n’a jamais été publiquement mis en cause.

Quant à son père, en tant que vice-président américain, il a effectivement plaidé en 2015 pour le limogeage du procureur général Viktor Chokine, et utilisé des menaces financières pour le faire tomber. Mais ses appels s’inscrivaient dans le cadre d’efforts coordonnés avec l’Union européenne et le FMI, notamment, pour écarter ce procureur, accusé de couvrir la corruption dans son pays et de saboter les réformes du gouvernement mis en place après un soulèvement populaire en 2014. Joe Biden assure ne jamais avoir été informé des affaires financières de son fils à l’étranger. Pour lui, Donald Trump a « abusé de son pouvoir » parce qu' »il se sent menacé ».

Pourquoi enclencher la procédure maintenant ?

Depuis des mois, l’aile gauche du Parti démocrate (ainsi qu’une pétition avec plus d’un million de signatures), souhaite ouvrir une procédure de destitution, notamment suite aux interférences prêtées à Moscou lors de la présidentielle 2016 au bénéfice de Trump, ainsi que l’enquête du procureur spécial Robert Mueller qui en a découlé. Les nouvelles accusations ont rallié de nombreux modérés à leur cause.

La cheffe de la majorité démocrate à la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a été longtemps réticente, même après que Robert Mueller eut suggéré que la destitution était le seul moyen de punir le président (pour obstruction au cours de la justice). Pelosi avait peur des conséquences politiques d’une telle procédure, craignant que son parti ne soit considéré comme trop fanatique par les électeurs du centre. Ce sont précisément les représentants démocrates modérés qui ont ravi de nombreux sièges aux républicains en 2018 qui en souffriraient. Mais hier, sept démocrates modérés, certains sont d’anciens militaires ou agents du renseignement, ont écrit dans une carte blanche publiée dans le Washington Post que le scandale ukrainien était la goutte d’eau qui faisait déborder le vase et qu’il était maintenant temps d’agir.

Lundi, après avoir longuement consulté les membres de son caucus, Nancy Pelosi a finalement décidé de passer à l’action. La pression était de plus en plus forte sur elle. Plus de 150 membres de son caucus (qui en compte 235) lui demandaient d’agir. Pelosi a donc pris acte de ce basculement suite à l’affaire ukrainienne et a annoncé l’ouverture formelle d’une enquête en vue de destituer Trump.

Joe Biden et Donald Trump.
Joe Biden et Donald Trump. © reuters

Comment fonctionne une procédure d’ « impeachment » ?

Pour lancer une procédure d’impeachment, les deux chambres du Congrès interviennent : la Chambre des représentants (la chambre basse) et le Sénat (la chambre haute). Il est d’usage de dire que la Chambre des représentants représente le peuple, et le Sénat, les Etats.

La destitution d’un président se déroule comme un procès politique, dans lequel la Chambre des représentants joue le rôle de procureur et le Sénat celui de juge. L’acte d’accusation officiel de la Chambre des représentants est la destitution ; ce n’est que lorsque le Président est reconnu coupable par le Sénat qu’il doit démissionner. Le président sortant doit être déclaré coupable à la majorité des deux tiers du Sénat, actuellement toujours sous contrôle républicain, avant de pouvoir être destitué. Il n’y a pas d’appel possible à la condamnation.

La procédure peut aussi s’appliquer aux hauts fonctionnaires du gouvernement : vice-président, juges fédéraux et membres des cabinets. Elle n’est pas limitée dans la durée, elle peut prendre quelques jours comme plusieurs mois.

Que va faire Trump?

Donald Trump a promis que la transcription « complète, totalement déclassifiée et non expurgée » de son entretien serait rendue publique mercredi, et qu’elle montrerait que cette conversation était « totalement appropriée ». Ces derniers jours, il a répété à plusieurs reprises qu’il s’agissait d’un « merveilleux » appel téléphonique, mais il a également admis qu’il y parlait de Biden.

UPDATE: L’entretien a été divulgué. Donald Trump a bien demandé à son homologue ukrainien d’enquêter sur son rival Joe Biden, selon la transcription de l’ appel téléphonique entre les deux dirigeants rendue publique mercredi par la Maison Blanche.

La plainte du lanceur d’alerte sera-t-elle divulguée ?

La loi américaine stipule que la plainte du lanceur d’alerte concernant cet appel téléphonique entre le président Donald Trump et son homologue ukrainien Volodimir Zelenski, aurait dû être envoyée au Congrès. Ne pas l’avoir fait est probablement un délit punissable. Cependant, le ministre de la Justice de Trump, William Barr, estime que le président jouit d’un très haut niveau de privilège exécutif, ce qui signifie que tout ce qu’il dit et fait peut rester secret à la Maison Blanche, simplement parce qu’il est le président.

Joseph Maguire, le responsable par intérim des agences de renseignements américains, qui a bloqué la plainte, devra venir l’expliquer au Congrès jeudi. Selon les derniers rapports, la Maison-Blanche s’apprête à divulguer d’ici la fin de la semaine la plainte du lanceur d’alerte a annoncé un responsable.

La Maison blanche va probablement aussi autoriser le lanceur d’alerte, qui appartient à la communauté américaine du renseignement, à rencontrer les enquêteurs du Congrès, a précisé le responsable, qui s’exprimait sous le sceau de l’anonymat.

La pression du Sénat, où les républicains sont majoritaires, est frappante. Le sénat a en effet voté à l’unanimité en faveur d’une résolution demandant la divulgation de cette plainte.

Dans le cas du dossier ukrainien, mis à part le sénateur de l'Utah et ancien candidat présidentiel Mitt Romney, très peu d'élus républicains se sont indignés.
Dans le cas du dossier ukrainien, mis à part le sénateur de l’Utah et ancien candidat présidentiel Mitt Romney, très peu d’élus républicains se sont indignés. © REUTERS

Les républicains vont-ils laisser tomber Trump?

Beaucoup d’entre eux suivent encore fidèlement la rhétorique de Trump. Mais en même temps, ils prennent la question plus au sérieux que le dossier sur l’ingérence russe. Et c’est bien là l’ironie du sort : un simple coup de fil semble faire plus de mal à Trump que le réseau complexe d’interactions entre l’équipe-Trump et les Russes en 2016, analyse De Morgen. La différence : Trump est maintenant président. Il a beaucoup plus de pouvoir qu’à l’époque, et donc beaucoup plus de pouvoir dont il peut abuser.

Quand on observe le paysage politique actuel, il est difficile d’imaginer que Donald Trump sera réellement démis de ses fonctions à la fin de tout ce processus. Cette procédure de destitution engagée par les démocrates a peu de chances d’aboutir à la destitution effective du président américain. Pour qu’une destitution se concrétise, il faut que les deux tiers des sénateurs la confirment. Présentement, le Sénat est contrôlé par les républicains. Ses répercussions politiques sont aussi très incertaines et pourrait même servir à la réélection de Trump (voir aussi ci-dessous).

Dans le cas du dossier ukrainien, mis à part le sénateur de l’Utah et ancien candidat présidentiel Mitt Romney, très peu d’élus républicains se sont indignés. Depuis le début de sa présidence, Donald Trump a réussi à coaliser son parti derrière lui.

Trump pourrait-il en sortir gagnant ?

Plus que de rester en poste, Donald Trump espère même que l’affaire l’aidera à briguer un deuxième mandat. Le président, parle déjà de « harcèlement » et de « chasse aux sorcières » à son encontre. Une position proclamée de victime face aux accusations des démocrates qui lui a déjà servi par le passé.

Son équipe de campagne a même commencé à en faire un enjeu électoral visant à mobiliser sa base, en envoyant des courriels pour recueillir des fonds, ou en publiant une vidéo publicitaire à la fin de laquelle on peut lire : « Pendant que les démocrates ont pour seul but de combattre Trump, le président Trump se bat pour vous. » Le pays est toujours politiquement très divisé. Au sein de la population, l’idée de la destitution est loin de faire l’unanimité, analyse de son côté Radio Canada.

(Avec l’AFP)

Lire aussi : Une destitution, le désir profond de Trump?

Les procédures d’ « impeachment » dans l’histoire des USA

Dans l’histoire des Etats-Unis, dix-neuf procédures d’impeachment ont été lancées depuis l’entrée en vigueur de la Constitution, en 1789. Elles l’ont été majoritairement envers des juges fédéraux. Trois seulement ont été engagées contre des présidents.

La Chambre des représentants a voté une mise en accusation en 1868 d’Andrew Johnson pour être passé outre une procédure de nomination des hauts postes de l’exécutif qui venait d’être votée.

En plein scandale du Watergate, c’est la préparation d’une procédure d’impeachment la plus célèbre, celle contre Richard Nixon en 1974. Elle n’a pas abouti, Nixon ayant préféré démissionner que d’être humilié. Une destitution était d’autant plus plausible que sous cette législature, les deux chambres étaient à majorité démocrate.

Plus récemment, en 1998, l’affaire Monica Lewinsky fait scandale. Bill Clinton est renvoyé devant le Sénat par le Congrès pour « parjure devant le grand jury » et « obstruction à la justice ». En janvier 1999, il est acquitté par le sénat.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire