Le 12 juillet, Bernie Sanders offrait son soutien à Hillary Clinton. Pour autant, la partie n'est pas encore gagnée pour la candidate démocrate. © REUTERS

Pourquoi les Américains détestent Hillary Clinton ?

Les Américains ne l’aiment pas. Mais pour quelles raisons profondes ? La candidate démocrate a franchi tous les obstacles, sauf celui de son impopularité.

Alors que Hillary Clinton réalise l’exploit de devenir la première femme à remporter l’investiture d’un parti majeur à l’élection présidentielle américaine, sa candidature a été loin, bien loin, de susciter la même ferveur que celle de Barack Obama il y a huit ans. Pourtant, tout comme pour le premier candidat noir de l’histoire américaine, il s’agit de briser un plafond de verre réputé incassable. Bien sûr, comme l’a dit si joliment Hillary Clinton elle-même, 18 millions de fissures apparurent lors de sa première campagne pour les primaires démocrates de 2008 – allusion au nombre de voix qu’elle avait alors obtenu contre Barack Obama. L’objectif de 2016 est bien de réparer l’injustice historique d’une Amérique représentée jusqu’alors par 43 présidents masculins, afin que la Maison-Blanche reflète enfin une société américaine dans laquelle les femmes ont déjà été candidates à la vice-présidence (Geraldine Ferraro, Sarah Palin), speaker de la Chambre des représentants (Nancy Pelosi), PDG de grandes entreprises (Indra Nooyi, Meg Whitman), patronne de la Réserve fédérale (Janet Yellen) ou juges à la Cour suprême (Sandra Day O’Connor, Ruth Bader Ginsburg).

Mais l’accueil populaire de cet avènement est sans commune mesure avec son importance historique. Au mieux, les Américains se montrent indifférents à Hillary Clinton ; au pire, ils lui sont hostiles. Il y a bien des admirateurs de cette femme au CV incomparable – première dame, sénatrice de New York, secrétaire d’Etat – et des partisans qui apprécient la dignité avec laquelle elle mène ses combats politiques, sa prudence, sa discrétion sur sa vie privée, sa fidélité en amitié, son professionnalisme ainsi que sa rigueur.

Toutefois, malgré sa nomination officielle, qui lui vaut de devoir s’opposer à un candidat républicain dont le grotesque et la vulgarité sont sans pareils, Hillary Clinton ne s’est imposée ni dans son camp ni dans le coeur des Américains. En théorie, la candidate part favorite. D’une part, les démocrates jouissent d’un avantage comparatif lors de la présidentielle, du fait de leur domination dans les grands Etats de l’Est et de l’Ouest (ce qui leur garantit une avance sur les républicains en termes de grands électeurs) ; d’autre part, Donald Trump est détesté par les minorités (86 % des Noirs en ont une opinion défavorable, de même que 77 % des Latinos et 70 % des femmes). Pourtant, Hillary Clinton n’est pas assurée de l’emporter. Un scénario dans lequel Donald Trump la coifferait de justesse dans quelques Etats de la Rust Belt, la  » ceinture de la rouille  » postindustrielle (Ohio, Pennsylvanie…), décrochant l’élection par une addition favorable de grands électeurs sans emporter le vote populaire, est encore tout à fait possible.

« Hillary, la corrompue »

Alors que les Français voient cette élection comme un référendum sur Donald Trump, la présidentielle 2016 pourrait bien être davantage un référendum sur Hillary Clinton. Pour le moment, la candidate démocrate n’est même pas le choix par défaut, dans cette élection où une grande partie des électeurs sombrent dans le  » ni-ni  » : ils ne voteront ni pour Trump ni pour Clinton. Le sondage CBS/New York Times du 14 juillet donne une égalité parfaite aux deux candidats, avec 40 % d’intentions de vote pour chacun, alors que Hillary Clinton menait de 6 points il y a un mois. De surcroît, 8 % des électeurs indiquent qu’ils ne savent pas pour qui voter et 7 % avouent qu’ils n’iront pas voter, ce qui est exceptionnellement élevé. A la même phase, en 2008, Barack Obama menait sur John McCain avec 53 % des intentions de vote contre 46 %, avec seulement 1 % d’indécis ou de réfractaires au vote.

Pourquoi tant de haine ? Vu d’Europe, le rejet massif de Mme Clinton est mal compris et, en tout cas, sous-estimé. Si Donald Trump parvenait à l’emporter en novembre, ce serait surtout parce que sa concurrente souffre d’une image particulièrement négative, qui lui colle à la peau. Elle est perçue comme menteuse, malhonnête et intrigante, manipulatrice au coeur d’un système qu’elle connaît par coeur ; elle serait parvenue aux affaires seulement préoccupée de son enrichissement personnel et de celui d’une clique de courtisans. Ce n’est pas un hasard si le génie du marketing qu’est Donald Trump l’affuble du surnom  » Crooked Hillary « ,  » Hillary la corrompue « . Selon un sondage Quinnipiac de début juillet, seuls 37 % des Américains la jugent  » honnête et digne de confiance  » ; tandis qu’ils sont 45 % à penser cela de Donald Trump.

Cette représentation délétère se nourrit d’une longue liste d’affaires et de scandales qui impliquent le plus souvent les deux Clinton, mais qui ont terni tout particulièrement l’étoile de Hillary, depuis ses débuts de première dame jusqu’à son passage au Département d’Etat, et au-delà. Il y a désormais tant d’éclaboussures qu’il est devenu rébarbatif de les recenser. On se souvient des anciens dossiers, qui datent parfois de l’arrivée à la Maison-Blanche et dont on sait à peine quoi penser (Whitewater, Vince Foster, Travelgate…), mais qui nourrissent parfaitement le récit d’un duo de politiciens complices, les  » Billary « , arrivistes, nouveaux riches, capables de tout, au service d’une ambition démesurée.

Un sentiment diffus de méfiance chez les électeurs

Il y a, bien sûr, les scandales sexuels impliquant le gouverneur puis président Bill Clinton. Longtemps, Hillary Clinton a été vue comme une victime des frasques de son mari, subissant les pires humiliations avec dignité. Certaines Américaines lui en ont voulu à l’époque de ne pas divorcer, mais une nouvelle génération de militantes féministes va aujourd’hui plus loin et l’accuse de s’être montrée complice, réduisant au silence des femmes auxquelles est désormais conféré le statut de victime. A leurs yeux, l’élection de Hillary Clinton ne sera pas une avancée, juste la perpétuation d’un système de domination masculine.

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Enfin, il y a les polémiques plus récentes, concernant l’époque où Hillary Clinton était secrétaire d’Etat : l’affaire de l’attaque terroriste du consulat de Benghazi (a- t-elle commis des erreurs sans lesquelles aurait pu être épargnée la vie de l’ambassadeur ?), les relations avec la Fondation Clinton (a-t-elle abusé de son poste pour la favoriser ?) et le dossier des e-mails (a-t-elle commis un crime ou au moins une négligence en détournant ses messages du Département vers un serveur privé ?) Alors que tous ces scandales, passés ou présents, sont techniquement clos, ils restent comme d’innombrables taches dans l’esprit des électeurs américains, qui ont le sentiment diffus qu’ils ne peuvent pas faire confiance à Clinton.

Mais l’antipathie que soulève Hillary Clinton est plus profonde que les affaires qui la concernent. Au-delà de ces dernières, il réside dans une large partie de l’opinion un sentiment préexistant. Celle que tout le monde appelle désormais simplement Hillary a les atours d’une star et toutes les caractéristiques d’une personnalité qui fait la une des journaux depuis plus de vingt-cinq ans. C’est une de ces célébrités que les gens adorent détester. Il ne fait aucun doute que cette animosité est entretenue par la droite américaine, par le Parti républicain bien sûr, mais aussi par les médias ou par les organisations politiques civiles (Stop Hillary PAC). La haine contre Hillary ne date pas d’hier. Dans un article du New Yorker, titré  » Détester Hillary « , on lisait déjà, en 1996 :  » Comme les courses de chevaux, haïr Hillary est devenu un de ces passe-temps nationaux qui unissent les élites et le peuple.  »

Enfin, peut-être est-elle si mal-aimée pour n’avoir pas voulu respecter son rang, et se contenter d’être une première dame. Dès l’élection de son mari, elle a voulu se mêler de politique. Elle s’est attaquée, dans les années 1990, à la réforme de la santé, elle s’est battue pour devenir sénatrice, puis présidente. Chacun de ses combats a fait resurgir sa pugnacité, sa volonté, son ambition. Contrairement à bien des hommes politiques, elle est souvent très populaire lorsqu’elle est en fonction, tandis que son impopularité explose quand elle est en campagne. Quelque part, les Américains lui en veulent d’être ce qu’elle est, une femme qui se bat pour le pouvoir ; et ils pourraient bien la punir pour son ambition en ne la choisissant pas en novembre prochain. L’ironie de l’histoire veut que, si elle parvenait à l’emporter malgré tout, l’Amérique serait très fière et très émue de pouvoir applaudir la première femme présidente des Etats-Unis.

Par Célia Bélin, chercheur associée au centre Thucydide de l’université Panthéon-Assas, à Paris, docteur en sciences politiques, spécialiste des Etats-Unis.

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