Dans son pays, le président kazakh Noursultan Nazarbaïev (ici à Sotchi, en octobre dernier) a muselé presse, justice et opposition. © MIKHAIL SVETLOV/GETTY IMAGES

Nazarbaïev, autocrate policé des steppes du Kazakhstan

Le Vif

Noursoultan Nazarbaïev, qui a annoncé mardi sa démission surprise, a dirigé le Kazakhstan pendant trois décennies, s’imposant comme un autocrate policé dont l’atout principal face aux accusations de despotisme était d’être à la tête de l’économie la plus prospère d’Asie centrale.

Cet homme de 78 ans au visage rond, avare en sourires et au regard vif, a commencé sa carrière comme ouvrier dans la métallurgie avant de grimper les échelons du Kazakhstan soviétique pour en devenir en 1989 le n°1, premier secrétaire du Parti communiste local.

Elu président en 1991, dans un scrutin où il était seul candidat, il s’est ensuite accroché fermement au pouvoir, remportant les quatre élections suivantes dès le premier avec au moins 80% des voix et 97,7% lors de la présidentielle de 2015. Malgré une indéniable popularité, il n’aura jamais organisé d’élections libres, selon l’OSCE et les observateurs.

En 2011, il avait rejeté une proposition du Parlement d’organiser un référendum lui permettant de se maintenir à la présidence jusqu’en 2020. Pour déclarer aussitôt qu’il était prêt à rester indéfiniment au pouvoir.

« Je suis prêt à travailler autant que je le pourrais, si mon état de santé me le permet », avait alors déclaré Nazarbaïev.

Apparatchik soviétique typique, Noursoultan Nazarbaïev a opéré comme d’autres dirigeants locaux une mue politique à la chute de l’URSS en 1991, quand le Kazakhstan a accédé à l’indépendance.

Il s’est converti au capitalisme, a imposé peu à peu sur la scène internationale sa vaste république désertique, riche en hydrocarbures et minerais, encadrée par les géants russe et chinois.

Noursoultan Nazarbaïev
Noursoultan Nazarbaïev © afp

– Politique « multivectorielle »-

Malgré son autocratie, le Kazakhstan a obtenu la présidence 2010 de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Car Nazarbaïev, jouant d’une politique étrangère « multivectorielle », selon la terminologie officielle, a su se lier d’amitié aussi bien avec Moscou et Pékin qu’avec Washington.

Il réussit même à placer son pays sur la carte du monde diplomatique en accueillant, depuis 2017, des pourparlers de paix sur la Syrie réunissant l’Iran, la Turquie et la Russie.

Pour maintenir cet équilibre, Nazarbaïev a utilisé avec pragmatisme ses énormes réserves d’hydrocarbures, accordant aux uns et aux autres concessions pétrolières et oléoducs, tout en agitant la menace d’amendes ou d’expropriations pour protéger les intérêts kazakhs.

Le résultat a été spectaculaire: jusqu’à 2008, le Kazakhstan a enchaîné une décennie de croissance flirtant avec les 10% annuels.

Depuis, la machine s’est grippée et le pays souffre de la chute des prix des hydrocarbures en 2014, provoquant des mouvements sociaux jusqu’alors inédits qui avaient notamment poussé le président kazakh à repousser en 2016 une impopulaire réforme agraire.

Dans ce contexte, Noursoultan Nazarbaïev avait limogé fin février son gouvernement, se disant insatisfait des performances économiques du pays.

Noursoultan Nazarbaïev
Noursoultan Nazarbaïev © afp

– Culte de la personnalité –

Noursoultan Nazarbaïev, auquel a été accordé en 2010 –officiellement contre son gré– le titre de « Père de la Nation » lui conférant des pouvoirs et une immunité à vie, a une face plus sombre.

Plusieurs de ses opposants sont morts dans des circonstances troubles, d’autres ont été emprisonnés ou contraints à l’exil et plusieurs médias d’opposition ont été interdits, souvent accusés « d’extrémisme ».

Depuis la répression dans le sang d’une émeute d’ouvriers en grève du secteur pétrolier à Janaozen (ouest), qui avait fait 14 morts en 2011, les poursuites contre l’opposition n’ont fait que s’accroître.

Comme ses voisins d’Asie centrale, Noursoultan Nazarbaïev n’a pas oublié d’imposer son culte de la personnalité. A Astana, capitale depuis 1997, il a forgé une ville extravagante à coup de milliards, élevant des gratte-ciel biscornus, une pyramide, un musée à sa gloire et d’autres bizarreries architecturales censées incarner la réussite kazakhe.

La photo du président, omniprésent à la télévision, s’affiche aussi le long des routes et ses citations s’étalent dans les localités kazakhes. Dans la constitution, il figure même comme co-auteur de l’hymne national.

Depuis 2012, le Kazakhstan célèbre également le « Jour du premier président », commémorant la première élection du président Nazarbaïev le 1er décembre 1991.

Sa réputation aura néanmoins été ternie au début des années 2000 par un scandale de corruption pour l’attribution de concessions pétrolières. Conséquence d’une procédure judiciaire, ce « kazakhgate » l’empêchera pendant six ans de se rendre aux Etats-Unis.

Le Kazakhstan, puissance pétrolière fragilisée d’Asie centrale

Une économie plombée

Le Khazakstan, première économie d’Asie centrale et habitué par le passé à des taux de croissance à deux chiffres, souffre de la baisse des prix du pétrole et de la crise économique de son voisin russe, qui a mené à la dévaluation du tenge kazakh et entraîné une forte inflation.

L’or noir représente environ le quart du Produit intérieur brut kazakh et la majorité de ses recettes budgétaires. Premier producteur mondial d’uranium (fournisseur des centrales atomiques françaises), le Kazakhstan regorge de manganèse, de fer, de chrome et de charbon.

Le Kazakhstan a étroitement lié le futur de son économie à la Chine en investissant massivement dans les routes, les chemins de fer et les infrastructures portuaires qui devraient faciliter les liens commerciaux.

– Une ex-république soviétique –

Ce territoire peuplé de nomades fut peu à peu conquis aux XVIIIe et XIXe siècles par l’Empire russe dont les colons fondent Alma-Ata (aujourd’hui Almaty), la principale ville et ex-capitale, détrônée en 1997 par Astana, une cité futuriste surgie des steppes.

La résistance au nouveau régime bolchevique durera jusqu’en 1920. République autonome en 1924, le Kazakhstan devient en 1936 l’une des 15 républiques fédérées de l’URSS avant de proclamer sa souveraineté le 26 octobre 1990 et son indépendance le 16 décembre 1991.

Le pays abrite depuis l’époque soviétique le cosmodrome russe de Baïkonour, seul endroit au monde d’où décollent les vaisseaux transportant les astronautes vers la Station spatiale internationale (ISS).

– Vaste territoire désertique –

Situé au carrefour de l’Europe, de la Russie et de la Chine, le Kazakhstan est le 9e plus grand pays au monde, occupant une superficie de 2,72 millions de km2.

Il s’étend de la mer Caspienne aux montagnes de l’Asie centrale.

Ce vaste territoire de steppes est entouré par la Chine à l’est, le Kirghizstan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan au sud et la Russie au nord et à l’ouest.

Sa population, à majorité musulmane, s’élève à quelque 18 millions d’habitants (Banque mondiale, 2017).

Près de 10% du territoire a été irradié par quelque 490 essais nucléaires réalisés entre 1949 et 1989 dans la région de Semipalatinsk (nord-est).

– Jihadisme et pourparlers de paix –

Des milliers de personnes originaires d’Asie centrale et du Caucase parmi lesquelles des centaines de Kazakhs se sont rendues en Syrie depuis le début du conflit dans ce pays en 2011 pour rejoindre l’organisation Etat islamique (EI) et d’autres groupes extrémistes.

Début 2019, quarante-sept Kazakhs dont 30 enfants ont été évacués de Syrie après y avoir été détenus comme « otages par des terroristes », selon le président kazakh.

Le Kazakhstan, qui s’efforce d’ériger sa capitale Astana en plateforme pour la paix, accueille depuis 2017 des pourparlers sur la Syrie parrainés par la Russie et l’Iran — alliés du régime de Damas — et la Turquie.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire