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Les Indignés pourront-ils changer le monde ?

La vague de contestation des Indignés est restée timorée en Belgique. Vincent de Coorebyter (Crisp) explique la difficulté de durer pour un mouvement sans leaders et sans revendications.

Que ceux qui ne sont pas indignés lèvent la main ! Il ne se passe plus un jour, désormais, sans qu’un Belge connu n’exprime publiquement son « indignation ». Gino Russo, l’archevêque André-Joseph Léonard, l’écrivain flamand David Van Reybrouck ou encore le magistrat Christian Panier ont fait leur le cri de Stéphane Hessel : « Indignez-vous ! »

En revanche, la vague de contestation qui se propage à travers le monde depuis six mois reste timorée chez nous. Il y a d’abord eu deux campements, l’un à Liège, l’autre à Saint-Gilles, à la fin du mois de mai. Puis une manifestation, qui a rassemblé 7 000 personnes à Bruxelles, le 15 octobre. L’ambiance, ce jour-là, reflétait bien le désarroi d’une jeunesse qui ne croit plus dans les anciennes formes de militantisme. Avec tous les paradoxes que cela implique, comme le relève Vincent de Coorebyter, directeur du Centre de recherche et d’information socio-politiques (Crisp). « Quand vous voulez protester contre le système, vous le faites à partir de ce que le système a fait de vous. Donc vous vous indignez selon des modalités typiques du système. Or le système nous a tous transformés en individus nomades, habitués à une liberté de choix permanente, rétifs à tout engagement trop contraignant. Les indignés disent : nous ne voulons pas adhérer à un parti, ni à un syndicat, nous voulons qu’on nous entende, mais pas question de jouer le jeu des institutions. Ce faisant, ils contestent le système en l’incarnant à leur manière. »

A la fin des années 1990, les altermondialistes avaient l’ambition de porter une alternative globale et s’accordaient autour de quelques propositions phares (la création d’une taxe Tobin, par exemple). Les Indignés, eux, n’ont ni leaders, ni revendications concrètes. « Cela peut les rendre impuissants, note Vincent de Coorebyter. Car, qu’ils le veuillent ou non, le mode de décision politique est resté grosso modo inchangé. Pour modifier le cours choses, il faut toujours passer par des décisions législatives, avec une enveloppe budgétaire correspondante, des arrêtés d’exécution, etc. »

« Dans un système essentiellement représentatif, si on veut peser sur les décisions, il faut accepter de devenir soi-même un des rouages du système, poursuit Vincent de Coorebyter. Ces rouages sont avant tout politiques, mais ce sont aussi d’autres rouages, plus participatifs, ceux de la société civile organisée : syndicats, organisations environnementales, groupements agricoles, associations professionnelles, etc. »

Là sans doute réside le défi des Indignés : inventer un mode d’action qui ne dénature pas leur mouvement, tout en parvenant à infléchir la marche du monde. Sinon, leur révolte ne restera qu’un cri, un témoignage. Et le système qu’ils exècrent tant continuera de prospérer.

FRANÇOIS BRABANT

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