Thierry Bellefroid

« La puissance du tyran, du maître ou du roi repose sur le consentement populaire »

Cher Etienne de la Boétie, comment, âgé d’à peine 18 ans, avez-vous pu rédiger un texte qui, cinq siècles plus tard, résonne encore si justement ?

De votre Discours de la servitude volontaire, on peut relever le propos subversif, presque anarchiste. Henry David Thoreau et Gandhi ne s’en sont-ils pas inspirés pour créer une philosophie de la désobéissance civile ? Mais on peut aussi – et surtout – y déceler une fine analyse de nos sujétions aux puissants. Pour résumer ce pamphlet publié après votre mort, par votre ami Montaigne, on pourrait écrire que la puissance du tyran, du maître ou du roi repose sur le consentement populaire. Si le peuple refuse cette domination, dites-vous, le pouvoir s’écroule.  » Si on ne leur donne rien, si on ne leur obéit point, sans combattre, sans frapper, ils demeurent nus et défaits et ne sont plus rien « , notez-vous. Voilà qui ne manque pas de sel au lendemain de la réélection triomphale de Vladimir Poutine. Poutine, l’homme qu’on aime détester. Poutine, le nom qui fait peur ou qui fascine. Un tyran ? Sans doute ne correspond-il pas tout à fait à la définition de ce mot. Mais on ne peut pas ignorer les restrictions de liberté, les éliminations d’opposants politiques, les procès factices, les empoisonnements – y compris à l’étranger – d’anciens espions et on en passe : bref, tous les signes qui font de la Russie d’aujourd’hui une bien étrange démocratie.

Elle vous intéresserait sûrement, cette Russie, mon cher Etienne. Vous y verriez sans l’ombre d’un doute l’un des exemples les plus parlants de la justesse de votre théorie. Poutine ne s’est pas imposé aux siens par la force. Il les a subjugués. Certes, en éliminant les rivaux potentiellement dangereux. Mais les électeurs qui l’ont porté au pouvoir pour un quatrième mandat l’ont fait consciemment, et sans céder à une menace directe sur leur liberté ou leur vie. Ils l’ont élu parce qu’ils ont conscience qu’abandonner une part de leur liberté est un mal nécessaire. Ils l’ont élu comme vous le disiez, cher Etienne, en abdiquant par habitude, presque amnésiques de leur condition originelle. Ils l’ont élu en se laissant manipuler, en participant à une structure pyramidale telle que vous la décrivez dans votre Discours :  » … Ceux qui sont possédés d’une ambition ardente et d’une avidité notable se groupent autour de lui et le soutiennent pour avoir part au butin et pour être, sous le grand tyran, autant de petits tyranneaux « , précisez-vous.

Lorsqu’on contrôle toute l’économie avec quelques amis, il est en effet plus facile de régner sur un pays. Et même, de ne pas trop améliorer la situation des classes moyennes pour qu’elles n’en viennent pas à réclamer davantage de liberté. Quand on cherche de quoi mettre dans l’assiette, on a moins de temps pour penser à penser, hein, mon bon Etienne.  » […] Ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a dérobé sa base, de son poids même, fondre en bas et se rompre « , dites-vous à propos du maître dominant. Pour le moment, de Moscou à Saint-Pétersbourg, de Vladivostok à Volgograd ou d’Irkoutsk à Norilsk, on en est loin ! Aurait-on oublié de vous traduire en russe ?

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