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La campagne américaine change de dimension

Le Vif

Donald Trump s’est prononcé samedi pour un remplacement rapide de la juge à la Cour suprême Ruth Bader Ginsburg, icône décédée de la gauche américaine, un choix qui promet une fin de campagne présidentielle acharnée et passionnelle aux Etats-Unis.

Donald Trump a affirmé dans la nuit de samedi à dimanche qu’il proposerait rapidement un nom, celui d’une femme, pour remplacer la juge à la Cour suprême Ruth Bader Ginsburg, icône de la gauche américaine décédée vendredi.

La volonté affichée du locataire de la Maison Blanche d’aller vite, en dépit des critiques démocrates, promet une fin de campagne présidentielle électrique aux Etats-Unis. « Je pense que cela va aller très vite », a déclaré M. Trump depuis les jardins de la Maison Blanche, évoquant une annonce « la semaine prochaine ».

En soirée, lors d’un meeting en Caroline du Nord, il a précisé: « Ce sera une femme. Une femme très talentueuse, très brillante, que je n’ai pas encore choisie – mais nous avons beaucoup de femmes dans notre liste ».

La juge « RBG », comme elle était surnommée, s’est éteinte vendredi des suites d’un cancer du pancréas à l’âge de 87 ans. Sa mort a suscité une vague d’émotion dans le pays et aussi une immense inquiétude dans le camp démocrate, doublée d’un tir de barrage politique.

Car l’arrivée d’un nouveau juge nommé par Donald Trump ancrerait le temple du droit américain dans le camp conservateur pour longtemps.

45 jours

A 45 jours de l’élection présidentielle, le candidat démocrate Joe Biden et l’ex-président Barack Obama ont immédiatement mis en garde Donald Trump.

« Les électeurs doivent choisir le président, et le président doit proposer un juge au Sénat », a dit Joe Biden. Barack Obama a appelé son successeur républicain à s’abstenir alors que « des bulletins de vote sont déjà déposés » pour le scrutin du 3 novembre, par anticipation ou par correspondance.

Les neuf juges de la Cour suprême sont nommés à vie, et Donald Trump a déjà procédé à deux nominations, celles des conservateurs Neil Gorsuch et Brett Kavanaugh. Son camp dispose actuellement de cinq juges.

L’enjeu est considérable puisque la Cour tranche les principales questions de société, comme l’avortement, le droit de porter des armes ou les droits des homosexuels, qui sont souvent aussi les lignes de fracture d’une société américaine plus divisée que jamais. La haute cour a aussi le dernier mot sur les litiges électoraux, comme lors de la présidentielle de 2000 finalement remportée par George W. Bush face à Al Gore.

Sur le papier, rien n’empêche en effet Donald Trump de nommer un nouveau juge. Il y est prêt et avait présenté début septembre une liste de 20 noms de personnalités qu’il pourrait présenter en cas de vacance à la Cour. Parmi eux, deux sénateurs ultra-conservateurs, Ted Cruz et Tom Cotton.

Le chef de la majorité au Sénat Mitch McConnell a prévenu dès vendredi soir qu’il était disposé à aller de l’avant dans le processus de nomination. Dans des circonstances comparables, il y a quatre ans, il avait pourtant bloqué la désignation d’un juge par Barack Obama.

Trump en campagne

Donald Trump aura de nouveau l’occasion de s’exprimer dans la journée de samedi. Il sera en campagne dans l’Etat très disputé de Caroline du Nord.

Il y donnera en fin de journée un meeting devant ses supporteurs à qui il rappelle régulièrement que son objectif est de nommer le plus possible de juges conservateurs à tous les échelons de l’appareil judiciaire.

Il dispose d’une majorité républicaine de 53 contre 47 au Sénat, mais une poignée de sénateurs modérés pourraient faire défaut, notamment ceux confrontés à des réélections difficiles dans des Etats modérés. L’équation politique est donc complexe.

De son côté, la Première dame Melania Trump s’est associée à l’émotion dans le pays. La mort de RBG est « une immense perte », a-t-elle dit, rappelant « la ténacité et la force » ainsi que « l’intellect et la compassion » de la juge.

Dès vendredi soir, une foule de plusieurs centaines de personnes s’était rassemblée devant la Cour suprême pour s’incliner devant la mémoire de RBG, née en 1933 à Brooklyn dans une famille juive américaine et morte le jour de Rosh Hashana, le nouvel an juif. « Je suis venu ici car j’estime que RBG représente tout ce pour quoi l’Amérique devrait se mobiliser », expliquait Erin Dunn, étudiante de 19 ans.

Une pionnière

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.© Reuters

Samedi matin de nouveau, de nombreux Américains affluaient devant le bâtiment de marbre blanc. Parmi eux, la colistière de Joe Biden, Kamala Harris, venue se recueillir avec son mari. « RBG était pour moi une pionnière, une icône, une combattante. Elle était une femme à tous les sens du terme », a-t-elle confié à une journaliste de l’AFP.

Ruth Bader Ginsburg gardera une place à part dans l’histoire de la conquête des droits et de la lutte contre les discriminations.

Avocate, elle obtint de la Cour suprême le démantèlement des lois discriminatoires à l’encontre des femmes. Entrée à la Cour suprême il y a 27 ans sur nomination de Bill Clinton, elle fait l’objet d’un culte aux Etats-Unis.

Sa vie a inspiré des films, des documentaires et même des livres pour enfants. Sa petite silhouette frêle, et son visage mince barré de grandes lunettes étaient connus de tous les Américains.

Aucun détail n’était connu samedi sur l’organisation de ses obsèques.

Qui pour remplacer « RBG » à la Cour suprême américaine ?

La décès à 87 ans de la juge progressiste de la Cour suprême Ruth Bader Ginsburg offre à Donald Trump l’occasion de nommer pour la remplacer un magistrat défenseur des valeurs chrétiennes conservatrices, même si les démocrates vont engager une bataille de tranchées pour entraver le processus.

La campagne américaine change de dimension
© Reuters

Le président réaliserait alors sa troisième intronisation à la Cour suprême en un mandat à la Maison Blanche, ancrant durablement à droite la plus haute institution judiciaire du pays. M. Trump compte sur la majorité républicaine au Sénat, l’organe chargé de confirmer le juge désigné.

L’exécutif a eu tout son temps pour se préparer au remplacement de « RBG », qu’on savait malade depuis longtemps. Donald Trump a même publié le 9 septembre une liste affinée de candidats potentiels, un geste de campagne destiné à rassurer ses alliés et mobiliser ses électeurs, notamment ceux opposés au droit à l’avortement.

Sa liste de personnalités n’est qu’indicative. De fait, les deux juges nommés par le milliardaire républicain, Neil Gorsuch (2017) et Brett Kavanaugh (2018), ne figuraient pas sur une première liste publiée en 2016 par celui qui était à l’époque candidat à la Maison Blanche.

Voici quelques noms parmi les favoris:

Amy Coney Barrett, une défenseure de la religion

Si elle est nommée, Mme Barrett deviendrait la seule magistrate conservatrice de la Cour suprême, les deux autres femmes de la haute cour étant progressistes.

La magistrate de 48 ans a grandi dans une banlieue de La Nouvelle-Orléans. Après avoir étudié dans un lycée catholique pour filles en Louisiane, elle a suivi des études brillantes dans une institution dépendant de l’Eglise presbytérienne dans le Tennessee puis à l’université Notre Dame, dans l’Indiana.

Elle a travaillé comme assistante d’Antonin Scalia, un pilier conservateur de la Cour suprême décédé en février 2016.

Elle est réputée pour ses articles de doctrine juridique, dans lesquels elle professe des opinions largement influencées, selon ses détracteurs, par ses valeurs religieuses traditionalistes.

Thomas Hardiman, un farouche militant du port d’arme

Juge à la cour d’appel fédérale de Pittsburgh, en Pennsylvanie, il s’est fait connaître en estimant par exemple que le premier amendement de la Constitution américaine n’autorisait pas les citoyens à filmer les policiers.

Fils d’un chauffeur de taxi, il a passé son enfance dans le Massachusetts. Premier de sa famille à aller à l’université, il a financé ses études à l’université de droit de Georgetown en conduisant un taxi.

Ancien militant républicain, solide conservateur, le juge Hardiman a siégé avec la soeur de Donald Trump, la juge Maryanne Trump Barry, qui en aurait fait l’éloge.

Dans plusieurs dossiers concernant des condamnés à mort, il s’est rangé du côté des procureurs cherchant à appliquer le châtiment suprême.

Il s’est déclaré en faveur d’une fouille poussée des détenus nouvellement arrivés dans les prisons, même s’ils ne sont écroués que brièvement et ne posent aucun risque en terme de sécurité.

Joan Larsen, un pilier conservateur

Cette magistrate de 51 ans siégeant à la cour d’appel de Cincinnati s’est bâti au fil des ans une réputation de solide conservatrice, opposée à l’extension des droits des homosexuels et partisane de fermeté en matière de détention pénale.

Elle a également travaillé comme assistante d’Antonin Scalia, comme professeure de droit à l’Université du Michigan et a officié à la Cour suprême du Michigan.

Raymond Kethledge, un gardien de la Constitution

Cet homme de 53 ans a grandi dans le Michigan, dans la région des Grands Lacs, Etat sous la juridiction de la cour d’appel où il siège après y avoir été nommé par George W. Bush.

Fervent militant de la libre entreprise et des droits individuels, notamment celui de la propriété privée et du port d’arme à feu, le juge Kethledge appartient à l’école de jurisprudence américaine originaliste, qui soutient que la Constitution doit être interprétée conformément à son sens à l’époque de son adoption.

Un sénateur ?

Les sénateurs républicains Ted Cruz, Tom Cotton ou Joshua Hawley figurent également sur la dernière mouture de la liste de Donald Trump. Choisir l’un de ces élus serait considéré comme une nomination encore plus politique que la désignation d’un magistrat actuellement en fonction.

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