Nicolas Sarkozy et Damien Loras. © DR

Kazakhgate :  » J’ai beaucoup d’estime pour Monsieur Chodiev « 

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Dans le Kazakhgate, ou l’affaire Sarkozy-Chodiev-De Decker, l’ancien conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy pour l’Asie mineure, Damien Loras, a-t-il joué un rôle déterminant ? La note confidentielle du préfet Jean-François Etienne des Rosaies, envoyée à l’ancien ministre de l’Intérieur Claude Guéant, le 28 juin 2001, ne laisse transparaître aucun doute là-dessus.

Dans cette note, des Rosaies décrit comment l’équipe pilotée par Loras, aujourd’hui consul de France à Sao Paulo (Brésil), a permis à Chodiev et au reste du trio kazakh (Machkevitch et Ibragimov) de bénéficier de la nouvelle loi belge sur la transaction pénale, pour échapper à un procès public à Bruxelles. La note des Rosaies relate que, dans cette équipe, on retrouvait l’avocate niçoise Catherine Degoul et l’ex-sénateur Armand De Decker (MR).

En janvier 2013, Le Vif-L’Express avait également glané des informations sur les relations entre Loras et Chodiev, via un informateur proche des deux hommes. Selon ce dernier, Loras avait notamment reçu du milliardaire une montre Jacques Droz (en or blanc et bracelet crocodile) de 44 000 euros. Le Vif en avait publié la facture (n° du 25 janvier 2013), tout en interrogeant Damien Loras sur ce cadeau, mais aussi sur ses vacances supposées passés sur le yacht de Chodiev ainsi que sur la note confidentielle de des Rosaies. Au bout du fil, à Sao Paulo, le consul était visiblement ennuyé par nos questions. Il a abrégé l’interview lorsque nous avons évoqué Armand De Decker. Voici l’intégralité de cette conversation de janvier 2013, avec Damien Loras.

Le Vif/L’Express : Avez-vous reçu une montre de Patokh Chodiev d’une valeur de 44 000 euros en septembre 2009, facturée par le bijoutier parisien Kronometry 1999 ?

Damien Loras : Cette montre m’a, en effet, été offerte par Monsieur Chodiev. Je ne l’ai pas acceptée. Elle a été stockée dans un coffre de l’Elysée où elle se trouve toujours. Les cadeaux, on en reçoit souvent. Le tout est de savoir ce qu’on en fait. Ici, la montre se trouve dans un coffre de l’Elysée (ndlr: vérification faite par la rédaction de L’Express, la montre se trouve bien à l’Elysée au service des cadeaux, de même qu’une deuxième montre du même type offerte à l’épouse d de Damien Loras).

Avez-vous passé une partie de vos vacances de l’été 2012, avec votre femme, sur le nouveau yacht de Monsieur Chodiev ?

Euh, mais… Je ne vois pas pourquoi vous me posez ce genre de question. Je ne sais pas qui vous informe. Ou plutôt, je sais. Cette personne est mal intentionnée car elle a voulu se poser comme intermédiaire dans les relations franco-kazakhes, mais nous l’avons exclue. Elle nous en a tenu rancune.

Donc, vous n’avez pas passé vos vacances sur le yacht de Chodiev ?

Je n’ai pas à rendre compte de ce que je fais de mes vacances. Monsieur Chodiev est un interlocuteur important du gouvernement français et une personnalité importante au Kazakhstan. J’ai eu des relations avec lui. Sur ce qui concerne ce que je fais de manière privée, je ne vous réponds pas. Mais ne prenez pas mon absence de réponse comme une confirmation. Je ne veux pas rentrer dans ce jeu.

Même chose pour la soirée de gala, le 11 août 2012, à l’hôtel Casa Di Volpe en Sardaigne en présence de Messieurs Chodiev et Machkevitch ? Y étiez-vous ?

Encore une fois, je ne réponds pas à des questions d’ordre privé. En ne répondant pas, ça ne veut pas dire que je confirme. Je refuse de me prêter à ce jeu. Surtout vis-à-vis d’une personne malveillante.

Mais, quand Chodiev vous offre une montre de 44 000 euros, cela signifie quoi pour vous ?

Je trouve curieux que vous m’interrogiez sur ses motivations. Je peux juste vous renseigner sur les miennes. Peut-être que des gens riches ont l’habitude de faire ce genre de cadeaux à leurs interlocuteurs. L’important est que le fonctionnaire qui le reçoit le refuse.

Mais pourquoi ne pas avoir rendu la montre ?

Si, demain, je vous envoie une boîte de caviar à plus de 500 kilomètres de distance, vous aurez du mal à me la renvoyer. C’est la même chose pour la montre. Je l’ai fait stocker devant témoins dans un coffre à l’Elysée. En France, on n’a pas de règle. C’est une déontologie personnelle.

Concernant la note confidentielle de Jean-François Etienne des Rosaies qui vous désigne comme pilote du dossier…

Il y a des gens dans cette affaire qui ont voulu se gonfler, se donner un rôle qu’ils n’avaient pas. Je n’ai pas piloté quoique ce soit. J’ai juste fait mon boulot.

Mais vous étiez au courant des ennuis judiciaires de Chodiev ?

Oui, bien sûr. Mais je n’ai pas piloté quoique ce soit pour le sortir de là. Je n’en avais ni la capacité ni l’expertise.

Vous n’avez pas été en contact avec Catherine Degoul ?

Ecoutez, je connais des Rosaies, je connais Catherine Degoul, je connais Monsieur Chodiev pour qui, par ailleurs, j’ai beaucoup d’estime. Il a contribué, à sa façon, au développement des relations entre la France et le Kazakhstan, d’une façon parfaitement honorable. Donc, je ne dis pas ne pas connaître ces gens. Mais la présentation qui en est faite comme quoi il y aurait eu pilotage de l’Elysée est de l’affabulation.

Ce qu’Etienne des Rosaies écrit dans la note confidentielle à Claude Guéant, c’est pour se gonfler alors ?

On voit bien l’objectif d’une telle démarche. En tout cas, moi, je le vois.

Avez-vous intenté une action quelconque contre lui ? Comptez-vous le faire ?

Je n’ai pas vu cette lettre. Pour moi, c’est un non-sujet. Je ne comprends pas le bruit qu’on veut faire autour d’une non-affaire. Il y a un processus qui a suivi son cours en Belgique et voilà. Après, que des gens se posent des questions, c’est comme ça.

Quelle relation aviez-vous avec Catherine Degoul ?

Je la connais. Elle m’a été présentée par Etienne des Rosaies. Mon travail consiste à être informé quand je reçois des interlocuteurs. Il y a des gens de bonne volonté qui veulent bien m’informer. Et voilà. Mon travail consiste à recevoir des gens comme ça.

Vous étiez donc bien informé des ennuis judiciaires de Chodiev en Belgique ?

Oui. On fait attention à qui on reçoit, c’est normal. Même si c’est des gens proches de chefs d’Etat étrangers. Pour ne pas établir de relations avec des gens qui ne sont pas fréquentables. J’étais au courant. Mais il n’y a rien eu d’autre.

Cela s’est arrêté là ? Il n’y a eu aucune intervention vis-à-vis de la Belgique ?

Evidemment non. Même s’il y avait eu la volonté, je ne vois pas comment on aurait fait.

Et le sénateur belge Armand De Decker, vous le connaissez ? L’avez-vous rencontré ?

C’est un personnalité connue en Belgique. Je l’ai certainement croisé dans mes fonctions. J’ai rencontré tellement de gens. Si vous me demandez si j’ai rencontré Monsieur De Decker dans le cadre des affaires de Monsieur Chodiev, je vous réponds non.

Quand vous l’avez rencontré, c’était en 2011 ? En 2010 ?

Sincèrement, je ne sais plus. Il était vice-président du Sénat, à ce moment-là.

Et vous n’avez pas évoqué Chodiev avec lui ?

C’est possible. Dans une conversation, cela a pu être le cas. Sans qu’il y ait aucune conspiration pour autant.

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