Jacques Sapir, directeur de l'Ehess à Paris. © dr

Jacques Sapir (EHESS): « Un cadeau à la Ligue »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le gouvernement Draghi devra faire des choix politiques et Matteo Salvini pourrait en tirer profit, selon Jacques Sapir, directeur de l’Ecole des hautes études en sciences sociales de Paris.

La nomination d’économistes sans affiliation politique comme chefs de gouvernement peut-elle se justifier?

Mario Draghi apparaît plus comme un homme politique que comme un économiste « sans affiliation ». On ne préside pas la Banque centrale européenne pendant des années, après avoir dirigé pendant près de dix ans le Trésor italien, sans faire de la politique ; beaucoup de politique. Nous ne sommes pas, ici, dans le cas de figure d’un gouvernement dit « technique », mais dans le choix d’un président du Conseil particulier, alors que l’Italie va affronter l’Allemagne au sein de l’UE. Les problèmes que rencontre l’Italie sont d’ailleurs politiques et non techniques. Dans l’attente du « plan de relance » européen, qui n’entrera réellement en oeuvre que l’année prochaine, l’Italie doit faire face immédiatement à une situation économique dramatique. Doit-elle, comme le demande Matteo Renzi (NDLR: le leader du parti Italia Viva à l’origine de la crise), faire appel au Mécanisme européen de stabilité? C’est une question essentiellement politique et non technique. Ce qui apparaît dès lors intéressant dans le gouvernement Draghi est son soutien très large, de la gauche à la Ligue. Cette « union nationale » qui ne dit pas son nom recouvre des projets politiques différents. Seul celui de la Ligue apparaît comme cohérent.

Salvini soutient Draghi comme la corde soutient le pendu.

Le recours à des « techniciens » ne consacre-t-il pas une défaite de la démocratie?

Effectivement, le recours à un « gouvernement technique » est, bien souvent, une tentative de la part des élites pour s’extraire d’un rapport de force politique devenu trop défavorable. C’est une manière de faire de la politique sans dire que l’on fait de la politique afin d’éviter la responsabilité de certains choix. En ce sens, c’est bien une défaite de la démocratie. Mais ce n’est pas exactement la configuration du gouvernement Draghi. Tout le monde sait que ce gouvernement devra faire des choix qui sont éminemment politiques.

Le populisme pourrait-il être conforté?

Ce n’est pas impossible. Il faut se rappeler du sourire de Matteo Salvini, le dirigeant de la Ligue, quand il a appris que le président de la République avait appelé Mario Draghi à la présidence du Conseil. Il soutient Draghi comme la corde soutient le pendu. Que Draghi aille à l’affrontement avec l’Allemagne et Bruxelles, et il dira que Draghi fait la politique de la Ligue. Que Draghi échoue, et il dira que seule la Ligue peut conduire une politique d’affrontement et qu’elle a, ayant soutenu Mario Draghi, la légitimité et la crédibilité pour le faire. La nomination de Draghi a été en fait un cadeau politique à la Ligue.

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