Carte blanche

Gaza : Sauver des jambes, un acte de résistance humanitaire

Un an après le début de la Grande Marche du retour, les professionnels de la santé de Gaza sont confrontés à un défi sans précédent : sauver les jambes des manifestants visés par les forces de sécurité israéliennes

En un an, plus de 29 000 personnes ont été blessées, dont plus de 7 000 par des munitions militaires et beaucoup par des snipers de l’armée. Environ 90 % des blessés par balle ont été touchés aux membres inférieurs.

Les balles de sniper, conçues pour tuer à des distances de 1 000 mètres, sont tirées depuis beaucoup moins loin. Les blessures qui en résultent sont si dévastatrices que chaque patient a besoin de cinq à neuf opérations chirurgicales en moyenne pour récupérer. Un tel traitement dure au minimum deux ans.

Ces blessures sont infligées aux manifestants en réponse à leurs appels à un retour sur leurs terres et à la fin du siège de Gaza, qui dure depuis plus de dix ans. Il est particulièrement cynique de viser les jambes de personnes qui manifestent en marchant vers la barrière de leur prison.

La semaine dernière, MSF a organisé une réunion d’experts médicaux à Bruxelles pour discuter du défi que constitue l’offre d’interventions de chirurgie reconstructrice à ces patients. Sur la base des données fournies par des chirurgiens palestiniens et des organisations internationales actuellement actives à Gaza, de 800 à 1 200 jeunes Palestiniens attendraient actuellement de subir une opération de reconstruction d’un membre inférieur. Des chirurgiens palestiniens de l’hôpital al-Shifa, le plus grand hôpital de Gaza, ont signalé que la plupart des personnes blessées au niveau des membres inférieurs étaient touchées dans le bas de la cuisse ou à l’arrière du genou. À ces endroits, une seule balle peut endommager à la fois les nerfs, les artères et le genou.

En un an, plus de 29 000 personnes ont été blessées, dont plus de 7 000 par des munitions militaires et beaucoup par des snipers de l’armée.

Les blessures sont si dévastatrices que de 20 à 40 % des patients environ contractent une infection osseuse bactérienne, ce qui complique encore davantage la prise en charge de leurs plaies et fait pression sur un système de santé déjà en grande difficulté. La présence de bactéries multirésistantes rend le traitement de ces infections à la fois complexe et coûteux. Or, si elles ne sont pas traitées rapidement, elles peuvent conduire à une amputation. Jusqu’à présent, 124 Palestiniens ont déjà dû être amputés d’un membre irrécupérable. De plus, 15 % des patients (environ 980 personnes) souffrent d’une lésion nerveuse irréversible, encore plus invalidante.

Les habitants de Gaza sont pris pour cible car ils manifestent contre le siège et pour le droit au retour. La disproportionnalité est ici à son comble. Le fait de sauver ces membres visés par les forces israéliennes constitue un acte de résistance humanitaire.

En réponse au besoin d’opérations spécialisées de chirurgie reconstructrice des membres, MSF a triplé sa capacité à fournir des activités médicales dans la bande de Gaza. L’un de ses projets, mené en partenariat avec l’Union of Health Work Committees, vise à mettre en place une unité spécialisée de réparation des membres au sein de l’hôpital al-Awda, dans le camp de Jabaliya, au nord de la bande de Gaza. Des professionnels de la santé palestiniens et internationaux, toutes disciplines et spécialisations confondues, travaillent ensemble pour fournir des soins médicaux complexes visant à rendre ces blessures les moins invalidantes possible pour le plus grand nombre de jeunes, auparavant valides.

Ces activités sont organisées dans le contexte d’un système de santé déjà sous pression. Les pénuries d’électricité, les ruptures de stock de fournitures médicales, l’importante surpopulation, les graves dommages aux infrastructures et le chômage sont autant de défis infligés par la politique israélienne, qui aggravent encore l’impact de l’occupation. Dans ces conditions, les blessures par balle peuvent avoir des conséquences dramatiques.

Les laissés-pour-compte de Gaza ne peuvent pas compter sur une « communauté internationale » pour résoudre la crise. De nombreux intérêts politiques entrent en jeu, et le plus puissant d’entre eux soutient pleinement l’occupation. Alors qu’un niveau sans précédent d’aide bilatérale est acheminée vers Israël, elle est totalement dissociée des mécanismes humanitaires nécessaires pour gérer les conséquences d’une occupation et d’un siège sans fin.

Tout ce que les professionnels de la santé peuvent faire, c’est défier ces politiques en continuant à atténuer les souffrances. Dans le cas de Gaza, cela signifie sauver les membres qui sont visés dans l’intention d’affaiblir les Palestiniens.

Jonathan Whittall, directeur du département d’analyse, MSFGhassan Abu-Sitta – co-directeur du programme de médecine de conflit, Global Health Institute, Université américaine de Beyrouth (AUB)

Portraits de 3 patients suivis par les équipes MSF à Gaza et leurs conditions de vie suite aux blessures reçues lors de ces manifestations.

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